Pouvoirs
Le contexte spécial d’une rentrée politique et sociale pas comme les autres
• Les concertations se poursuivent entre le ministère de l’intérieur et les partis politiques à propos des lois électorales.
• Régionalisation avancée, réforme de l’administration, réformes sociales…, les chantiers de la rentrée du gouvernement.
• Lancement attendu de la deuxième phase de l’accord social d’avril 2019 avec la mise sur la table de la loi sur la grève, la réforme du code du travail et la loi sur les syndicats.
D’habitude, la rentrée politique, ou ce qu’on peut considérer comme tel au Maroc, démarre avec la rentrée parlementaire, le deuxième vendredi d’octobre. Cette année, avec les élections, la situation s’annonce différente. A cela s’ajoutent bien évidemment les impératifs d’une conjoncture inédite où tout doit être fait différemment et dans des conditions exceptionnelles. Une année électorale, et donc, un marathon en terme de préparations. Cela commence avec les traditionnelles tractations entre le gouvernement représenté par le ministère de l’intérieur, avec les partis politiques autour des lois électorales. Les deux parties s’y sont mises assez tôt et à l’heure qu’il est le ministère devrait annoncer les résultats de négociations et les points qu’il a retenus des propositions qui ont été soumises par les différentes formations politiques, de la majorité comme de l’opposition, ou encore celles qui ne sont pas représentées au Parlement. Ces rencontres, rappelons-le, qui visent à bien préparer l’ensemble des prochaines échéances électorales, ont démarré début juillet. Le ministre de l’intérieur a reçu à tour de rôle les chefs de partis de la majorité, ceux de l’opposition ensuite, et en dernier lieu les responsables des formations non représentées au Parlement. C’était le début effectif du chantier de concertations portant sur les élections avec pour objectif de «poursuivre le renforcement des réformes politiques entamées par le Royaume et apporter une dynamique nouvelle au travail politique et aux institutions politiques de manière à répondre aux aspirations des citoyens», comme l’a notamment souligné le ministère. Cette première phase s’est soldée par la soumission au ministère des propositions des partis relatives aux différents aspects du processus électoral. On notera au passage que, selon certaines sources, contrairement aux trois formations de l’opposition, l’Istiqlal, le PAM et le PPS, qui ont présenté des propositions communes, dans un mémorandum conjoint, la majorité y est allée en rangs dispersés. Les propositions présentées par l’USFP sont par exemple à l’opposé de celles, soumises au ministre par le PJD. Il faut dire que le PJD fait aujourd’hui carrément cavalier seul, notamment pour ce qui est du mode de scrutin. Entre autres questions électorales qui reviennent souvent dans ces rencontres, et les dernières en date ne font pas exception, les listes électorales, le découpage électoral, le mode de scrutin, la liste nationale et dernièrement, surtout depuis l’adoption de la Constitution de 2011, le vote des MRE.
Les partis se préparent
Cette année, le changement du jour du scrutin a été soulevé tout comme la possibilité, ou non, d’organiser les trois suffrages directs en une seule journée. Ce dernier point a été soulevé en raison du caractère exceptionnel des élections de 2021. Celles-ci en effet englobent aussi bien les élections communales, régionales que législatives –dans les trois cas il s’agit de suffrage direct, mais également les élections professionnelles (des délégués des salariés et des Chambres professionnelles), des conseils provinciaux et préfectoraux ainsi que de la deuxième Chambre. Une fois que les partis et le ministère de l’intérieur, représentant le gouvernement, seront arrivés à un accord, interviendra le rôle des élus et du Parlement qui vont donner corps, quand cela s’impose, à cette entente à travers l’amendement des lois concernées. Mais l’essentiel du travail sera fait par le gouvernement à coup de décrets.
Pour les partis politiques, et au delà de ces concertations, il doivent avoir un agenda très chargé. Indépendamment de la capacité de couverture des circonscriptions électorales de chacun, il s’agit bien de trouver des candidats pour 515 sièges au Parlement, dont 395 à la première Chambre, en plus de 31 000 dans les communes et quelque 678 sièges dans les conseils régionaux, sans compter bien sûr les conseils provinciaux et préfectoraux et les Chambres professionnelles. Tout un travail pour les commissions électorales des partis et le casse-tête habituel des accréditations, les fameuses «tazkiate». C’est une véritable problématique chez nos partis qui doivent gérer les égos et les ambitions des uns et des autres tout en veillant à présenter des candidats crédibles qui peuvent assurer la gestion des affaires publiques. Cette gestation s’accompagne aussi de son lot de mécontentements, d’apparition de clans avec une force de nuisance non négligeable et même de départs dans le cadre de la transhumance politique.
Certains partis sont beaucoup plus exposés que d’autres, mais aucun n’y échappe réellement. Notons à ce propos que le PAM est la première formation politique à avoir annoncé l’organisation et la composition de sa commission électorale, une démarche qui va de soi après la désignation d’une nouvelle direction à la tête du parti quelques mois plus tôt. Toujours à propos de cette question de candidats, les partis auront également pour souci de trouver les bons profils.
A la quête des compétences et des jeunes
On parle actuellement d’une dotation substantielle accordée par le ministère de l’intérieur pour recruter, à défaut de former, des «compétences». Rappelons à cet effet que le Souverain avait appelé, à l’occasion du discours d’ouverture de l’année législative, en octobre 2018, à une augmentation du soutien public accordé aux partis, «en veillant à ce qu’ils en allouent une fraction aux compétences qu’ils mobilisent pour des missions de réflexion, d’analyse et d’innovation». Cette rallonge budgétaire se traduira-t-elle, par de «nouvelles» têtes sur les listes des candidats aux prochaines élections ? On le saura dans moins d’une année. En restant dans cette démarche électorale et outre les candidatures, les partis doivent également produire non pas un seul mais trois programmes électoraux. Et ce n’est pas une affaire de jours ou de semaines. Cela fait près d’une année par exemple que le RNI a lancé son programme «100 jours, 100 villes», qui se poursuit depuis quelques semaines en visioconférence après un arrêt imposé par le déclenchement de l’état d’urgence en mars dernier. Les dernières étapes ont été, il y a quelques jours, Midelt et Tiflet, après avoir touché une semaine auparavant les villes de Skhirat, Témara, Kénitra ou encore auparavant Bouknadel, Oulad Berhil et plusieurs autres villes et centres urbains. Au delà du souci de retrouver les citoyens, écouter leurs doléances, et aussi leurs attentes, et s’assurer une présence permanente sur le terrain, le parti profitera de ce programme et des données collectées pour élaborer des programmes électoraux spécifiques à chaque ville, à chaque commune et à chaque région. C’est pour dire qu’il n’est pas chose aisée d’élaborer un vrai programme électoral. A fortiori quand il en faut un pour pratiquement chaque commune…, le Maroc en compte un peu plus de 1 500, un pour chaque région et un programme électoral national qui servira, éventuellement, de base pour un programme du gouvernement qui sera issu des élections législatives.
Du pain sur la planche…
En temps normal, plusieurs partis, la plupart de ceux représentés au Parlement en fait, devraient entamer les préparatifs de leurs congrès nationaux. D’après la loi organique des partis politiques, loi N° 29-11 de 2011, les formations politiques doivent organiser leurs congrès nationaux une fois tous les quatre ans. En principe, l’USFP, le PJD, le RNI et l’Istiqlal devront organiser le leur en 2021, soit quatre ans après leurs derniers congrès tenus au cours de l’année 2017. Pour l’UC, il est carrément hors délai, puisque son dernier congrès date de 2015. Le PPS et le PAM ont encore quelque temps devant eux. Dans le cas de la FGD c’est un peu compliqué. Du point de vue légal, la fusion effective n’a pas encore eu lieu, on parle encore d’une alliance de partis. Le processus entamé, en 2014, avec l’adoption du nom de la «Fédération de la gauche démocratique», n’a pas encore abouti. L’Exécutif, pour lequel c’est une année de fin de mandat, doit mettre les bouchées doubles. En plus de gérer la relance de la machine économique, il devra s’atteler à la finalisation de son programme, sur la base duquel il a été investi par le Parlement. L’Exécutif qui n’a pratiquement pas chômé ces derniers mois, du moins c’est le cas de certains de ses membres, devait adopter jeudi un décret portant sur la composition et les modalités de fonctionnement de la commission interministérielle permanente chargée du suivi et de l’évaluation de la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe. C’est la dernière étape réglementaire dans la mise en œuvre de l’article 5 de la Constitution. Ce qui reste à faire relève plutôt de la pratique et de la concrétisation sur le terrain d’un processus qui a suscité beaucoup de débat et de polémiques aussi. Le gouvernement devrait également poursuivre le parachèvement de la mise en œuvre d’un autre processus qui a également pris du temps, la régionalisation avancée. Dans sa note de cadrage du PLF 2021, le chef du gouvernement insiste, en effet, sur la finalisation du chantier de la déconcentration administrative, l’une des dernières pierres à apporter à cet édifice. En parlant de l’Administration, il sera aussi question de sa réforme avec la mise en œuvre de la loi sur la simplification des procédures administratives et la poursuite, voire la généralisation, de la digitalisation de l’administration et des services publics. L’accélération de ce dernier chantier a d’ailleurs été imposée par la crise sanitaire que traverse le pays et le monde entier.
La loi sur la grève et les syndicats, le gouvernement osera-t-il le forceps ?
Sur le plan social, le discours du Trône a tracé les contours d’une rentrée sans précédent. La généralisation de la couverture sociale et médicale démarre dès 2021, est-il précisé dans ce discours. Cela suppose non seulement la mise en place des mécanismes de fonctionnement, mais également le dispositif législatif qui devrait l’encadrer. Certains textes de lois ont déjà été adoptés, notamment la loi N° 72.18 relative au système de ciblage des bénéficiaires des programmes d’appui social et portant création de l’Agence nationale des registres –laquelle loi nécessite certainement l’adoption de décrets d’application- d’autres textes complétant la loi 65-00 relative à l’AMO et les régimes de retraite devrait surement être soumis au Parlement dans les semaines à venir. Sur le plan social toujours, mais aussi et surtout économique, le gouvernement continuera à faire face aux retombées de la crise sanitaire avec des plans de relance dont le financement et le déploiement nécessiteront certainement un réaménagement légal et dont l’intervention du Parlement. Cela en plus, bien sûr, de la continuité de la mise en œuvre des clauses de l’accord social signé entre les partenaires sociaux, le gouvernement, le patronat et les syndicats, en avril de l’année dernière. En ce sens, le gouvernement, et plus particulièrement le ministère du travail et de l’insertion professionnelle, tente toujours d’aboutir, avec les syndicats et la confédération du patronat, à un consensus sur la loi organique relative à l’exercice du droit de la grève. Le texte a été déposé au Parlement en juin 2016, mais depuis, il est resté bloqué pendant très longtemps. L’Exécutif, à travers le même ministère, essaiera également d’arracher aux syndicats leur feu vert pour le dépôt au Parlement d’une loi relative à l’organisation syndicale, à l’image de celle qui encadre les partis politiques depuis 2006. Les partenaires sociaux devraient également aborder la réforme du code du travail, avec notamment, entre autres aspects, la question du télétravail.