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Le boycott politique, serait-ce l’arme des faibles ?

La menace de boycott des élections par l’Istiqlal et l’USFP n’est qu’une surenchère politique, selon les analystes.
Dans l’histoire du Maroc, bien des partis ont boycotté le processus électoral, le fonctionnement des institutions ne s’en est pas pour autant altéré.
Seuls les partis sans véritable assise populaire prennent encore cette décision radicale.

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Bureau de vote maroc 2014 06 27

«Les deux partis (ndlr : l’Istiqlal et l’USFP) (…) sont aujourd’hui prêts à assumer leurs responsabilités nationales, à travers la proposition à leurs organes décisionnels respectifs d’une option de boycott des prochaines élections au cas où il y aurait davantage de preuves que le pays se dirige droit vers des élections orientées». Cette phrase qui clôt un long communiqué des deux partis n’est pas passée inaperçue. C’est sans doute cela l’objectif visé par les deux alliés. Car, à en croire les analystes politiques, cette menace n’est, après tout, rien de plus qu’une menace en l’air. Un coup de semonce, tout au plus.

Bien entendu, les deux formations ont pris soin de rappeler qu’ils ont eu, pendant de longues décennies, à recourir à l’arme du boycott «pour faire face à la fraude électorale et à l’absolutisme». Or, et l’histoire politique du Maroc l’a montré, le boycott n’a jamais abouti aux résultats attendus. Les élections ont toujours eu lieu, les textes constitutionnels ont toujours été votés, voire plébiscités avec des taux de participation remarquables, et les institutions qui en ont découlées ont toujours fonctionné. La seule fois où les institutions ont été gelées remonte à la période de l’Etat d’exception, entre 1965 et 1970. Même les deux partis qui menacent aujourd’hui de boycotter les élections gardent encore un vif souvenir des retombées politiques de leur montée au créneau du début des années 90. C’était pour ainsi dire le point culminant du processus contestataire de la Koutla d’alors, dont l’Istiqlal et l’USFP étaient les principaux animateurs.

Le refus de cautionner la Constitution de 1992, la candidature commune aux législatives une année plus tard et surtout la déclinaison de l’invitation de feu Hassan II de former un gouvernement d’alternance ont marqué cette période. Le PPS qui s’est désolidarisé de la Koutla en demandant à ses électeurs un vote affirmatif pour la Constitution, l’a payé cher. Son attitude a valu son éviction temporaire de la Koutla. Finalement, tout cela aura été presque vain, puisque, selon un dirigeant de la défunte Koutla, les deux partis ont voté pour la Constitution de 1995 qui «ne diffère de celle de 1992 que par l’introduction du principe de la régionalisation et le retour du bicaméralisme. Sur le fond, c’est presque le même texte. Bien plus, les deux partis ont accepté, en 1998, de former un gouvernement d’alternance avec bien plus de contraintes que ce qui leur a été proposé cinq ans plutôt».
Même le PJD s’y est essayé

L’histoire retiendra également cette décision de l’USFP, alors au firmament de sa popularité, de boycotter le Parlement en 1981. Le défunt monarque a eu recours à ses pouvoirs extraconstitutionnels et usé de ses prérogatives de Commandeur des croyants et du contrat d’allégeance qui le lie à tous les Marocains pour contraindre les socialistes à retourner à l’hémicycle. C’était l’un des rares usages des prérogatives de la commanderie des croyants dans un acte purement politique. En remontant plus loin dans l’histoire, en août 1960, feu Mohammed V avait désigné un comité constitutionnel dont la mission était de rédiger le premier texte fondamental du Maroc indépendant.

L’UNFP a boycotté le nouvel organisme présidé par Allal El Fassi. D’autres formations, comme le Mouvement populaire et le Parti démocratique de l’indépendance (PDI), feront de même, bien que ce fut pour des raisons d’opposition à la prépondérance du Parti de l’Istiqlal. Là on est presque tenté de faire le parallèle avec l’hégémonie du PJD d’aujourd’hui. Bref, le projet de Constitution proposé au vote en 1962 a été finalement rédigé par un comité d’experts. Il a été plébiscité, malgré une farouche campagne de boycott menée par l’UNFP et l’UMT. Depuis, l’UNFP est devenu champion invétéré du boycott au Maroc. Il ne reste de lui que le nom puisqu’il ne participe plus à aucune action politique.

En mars 1972, une nouvelle Constitution a été approuvée par un autre référendum-plébiscite. La Koutla considérera ce texte comme étant régressif et boycottera la consultation organisée pour sa ratification, mais elle finira par l’admettre de façon conjoncturelle quelques années plus tard.  

Il faut dire que le boycott n’est pas l’apanage des partis dits nationalistes. Il y a à peine quelques années, à la veille des élections anticipées de novembre 2011, le PJD menaçait, lui aussi, de boycotter le processus électoral, le premier sous la nouvelle Constitution qui allait justement lui donner la place qui est la sienne aujourd’hui. Il n’en a rien été, ces élections dont il avait appréhendé de l’irrégularité et la non-transparence, l’ont promu à la tête des affaires du pays. Ainsi, l’histoire, relativement courte, du parti islamiste a montré que la menace de boycott n’est rien de plus qu’une surenchère politique maladroite.

Les élections communales de juin 1997 offrent une preuve édifiante en ce sens. Les islamistes du Mouvement Unité et Réforme (MUR), qui venaient de faire une OPA sur le MPDC (Mouvement populaire démocratique et constitutionnel), ne voulaient pas rater cette occasion de tester leur popularité et de s’insérer dans la vie partisane. Abdelkrim El Khatib avait pourtant pris la décision de boycotter ces élections. Le président et fondateur du MPDC, qui va devenir par la suite le premier secrétaire général du PJD, a expliqué alors le boycott des élections par le fait que son parti n’a pas été invité à participer aux travaux de la commission de suivi des élections.

Les membres du MUR, futurs dirigeants du PJD, ont fini par présenter près de deux mille candidats sous l’étiquette SAP (sans appartenance politique). Lors de cette première participation électorale, ils ont obtenu une centaine de sièges de conseillers électoraux et trois sièges de présidents de communes, faisant ainsi leur entrée dans les institutions de l’Etat.

Ne parlons même pas de ces petites formations, principalement de la gauche radicale, mais aussi de certaines tendances politiques non reconnues, dont le boycott des élections est devenu le sport préféré. Là, explique cet analyste politique, rien d’étonnant, «le boycott, c’est l’arme politique de tous ceux qui ne disposent pas d’une assise populaire et électorale. Tous ceux qui ne peuvent pas mobiliser les masses se réfugient dans le boycott. D’abord, c’est une réaction radicale, simple, qui ne coûte rien et qui est surtout très attractive, notamment aux yeux des observateurs étrangers, et ses retombées sont très importantes en terme de capital sympathie, voire image et notoriété».

L’appel au boycott est puni par la loi

Une notoriété dont ils ne pourraient même pas rêver s’ils étaient un simple élément dans une population de plus de 30 formations qui évoluent sur l’échiquier politique dans une course électorale. Mais c’est là une autre caractéristique de notre paysage politique.
Par ailleurs, il faut préciser que même sur le plan légal, le boycott des élections est répréhensible.

Le boycott est de facto un délit en droit marocain. En effet, explique ce juriste, l’article 55 du Code électoral énonce que «le vote est un droit et un devoir national», mais sans que la violation de ce devoir ne soit sanctionnée. Mais un peu plus loin, l’article 90, lui, sanctionne de facto la campagne en faveur du boycott des élections ou d’un référendum.

Il prévoit comme peines «un emprisonnement de 1 à 3 mois et une amende de 1 200 à 5 000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, détourne des suffrages ou incite un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter». Ce qui n’est, cependant, pas pénalisé, c’est la non-participation aux élections. Et pour comprendre la nuance entre les deux il faut revenir à cette réunion du conseil national du PSU à la veille des élections de nombre 2011 où les 78 membres ont été invités à choisir entre la «participation», la «non-participation» et le «boycott» des élections.

La majorité des membres a voté pour le boycott. C’est que, explique le politologue Tarik Tlaty, ne pas participer, c’est une décision interne. Le parti ne disposant pas de moyens humains ou logistiques, bref, étant incapable de faire face aux élections, peut ne pas y participer. Le boycott est, par contre, un acte politique exprimé par le parti. C’est souvent une décision négative.

En définitive, le temps du boycott est révolu. Le processus de transformation politique radicale qu’a connu le Maroc est indéniable. Et toute formation politique appelant à une attitude radicale est sans doute dans l’erreur. Et c’est une erreur stratégique que de boycotter les élections et donc les institutions sur lesquelles elles débouchent dans le Maroc de l’après-2011.

Une menace en l’air, sans plus

Maintenant, quel crédit faut-il accorder à la menace des deux formations de la néo-Koutla ? Il faut d’abord préciser qu’il ne s’agit plus des mêmes formations que celles d’avant les années 90. L’USFP comme l’Istiqlal ont vu leur morphologie changer depuis le gouvernement d’alternance. L’accession de deux personnalités comme Hamid Chabat et Driss Lachgar au poste de commandement est une manifestation de cette profonde métamorphose.

Les deux hommes, dont la désignation à ce poste est contestée au sein même de leurs partis, ne voudraient certainement pas rater l’occasion des élections pour montrer leur popularité, leur maîtrise des rouages de leurs formations et surtout la justesse de leur choix comme leaders. Cela d’autant que l’un comme l’autre ont promis à leurs camarades de redorer le blason de leurs partis et les propulser au devant de la scène politique. Cela d’une part. D’autre part, les deux formations risquent de se vider de leurs notables si une telle menace était mise à exécution et l’une comme l’autre sait combien cette catégorie des politiciens est vitale pour remporter les élections.

En outre, boycotter les élections locales c’est ne pas faire partie du chantier de construction de la régionalisation avancée et snober la deuxième Chambre dans sa nouvelle mouture. «C’est une erreur d’appréciation aux conséquences fâcheuses», affirme Tarik Tlaty. Autre risque, celui de perdre de fait les élections législatives. Car, tout le monde le sait, les élections locales sont la porte d’accès au Parlement.

Comment donc expliquer cette sortie des deux partis ? Pour ce politologue, la réaction de l’USFP et de l’Istiqlal est normale, elle intervient suite aux déclarations, anormales, du chef du gouvernement à propos des élections. «Les deux formations ont connu les élections, même lorsque leur organisation était plus que douteuse du temps du défunt ministre de l’intérieur Driss Basri, ils ont participé aux élections et fait avec leurs résultats, même s’ils en ont contesté la régularité. Les deux formations ont toujours tenu à contribuer au processus de réforme depuis l’intérieur des institutions». Aussi, observe-t-il, cette dernière sortie est-elle lourde de signification.

«Elle atteste, d’abord, du niveau très avancé de coordination entre les deux membres de la nouvelle Koutla et exprime le ras-le-bol face à un chef du gouvernement et sa formation qui considèrent que le Maroc ne compte que deux partis, l’un pour la réforme et l’autre contre. Cela tout en considérant que le PJD est un don du Ciel. Il est tout à fait naturel que ce genre de discours provoque des réactions radicales, et l’appel au boycott en est une».

Cela dit, «même si un courant politique a tendance à dérailler, ces deux formations n’iraient certainement pas jusqu’au bout dans leur menace. Il faut dire, s’agissant de l’USFP, que ses chances sont grandes aux prochaines élections. De même pour l’Istiqlal dont les chances sont encore plus grandes. Cela d’autant que ce dernier, particulièrement, ne peut pas se permettre de laisser le terrain vide aux islamistes, sachant qu’il revendique le même référentiel religieux avec beaucoup plus d’ouverture bien sûr».

A moins, évidemment, que les deux formations n’appréhendent une fulgurante victoire pour les islamistes au pouvoir ou d’autres formations que les électeurs n’ont pas encore vu aux affaires. Ce qui risquerait d’être un désaveu des partis nationalistes traditionnels.