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Pouvoirs

Lahcen Haddad : «Tant que le Maroc dérange, il restera la cible des attaques»

Cabinets de lobbying, réseaux d’influence, groupes parlementaires et bien sûr d’énormes moyens financiers. Tout cela pour contrer les intérêts du Maroc au sein du Parlement européen. Et ce n’est pas près de s’arrêter.

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Le Parlement européen a voté coup sur coup deux résolutions ouvertement hostiles au Maroc. Elles ont été présentées par les groupes de gauche et radicaux et soutenues par des parties dans l’entourage de la présidence française.
Ce n’est pas un cas isolé, c’est un travail mené en coordination avec l’ambassade d’Alger à Bruxelles. Ce n’est pas non plus une première du genre. Pour le Maroc, c’est une bataille pour laquelle il est heureusement bien préparé.

Le Parlement européen vient de voter une nouvelle résolution qui cible le Maroc. Pourquoi le Maroc en particulier ?
L’institution parlementaire européenne vote des résolutions par rapport à d’autres pays aussi. Mais ce qui est spécifique par rapport au Maroc, c’est une campagne systématique menée par des députés d’extrême gauche proches du Polisario et de l’Algérie et encadrés par un bureau de lobbying à Bruxelles (lequel dispose de beaucoup de moyens et de facilités à partir de l’ambassade algérienne auprès de l’UE).
Cette campagne consiste en des attaques régulières via des amendements, des résolutions, des questions et des lettres. Le tout contre le Maroc. Un acharnement qui nuit au travail parlementaire et qui transforme le Parlement européen en une plateforme pour porter atteinte à l’image d’un pays lié avec l’UE par un partenariat stratégique et un statut avancé.

Est-ce qu’on peut parler justement d’une campagne au PE, minutieusement préparée et méthodiquement menée, ou juste des actions isolées ?
La campagne existe depuis 2016. Les attaques contre le Maroc se comptent par centaines. Mais une coalition de droite, centre, socialistes en plus des groupes Identité et Conservateurs européens rejetaient systématiquement les agissements des députés radicaux au service d’un agenda non européen. Cependant, la crise de corruption a froissé tout le monde : le Parti Populaire a refusé de prendre part dans les résolutions urgentes, les Socialistes vivent une crise à cause de la corruption parmi certains de leurs députés, les autres groupes sont divisés et personne ne voulait apparaître comme s’il soutenait un pays qu’on accuse d’ingérence. C’est comme ça que la résolution du 19 janvier est passée.

Comment expliquer justement le nombre important de députés qui ont voté pour ces résolutions ?
Ce n’est pas le cas. Seulement 50% ont voté pour. Les Socialistes espagnols et des députés d’Identité et des Conservateurs, soit se sont abstenus soit ont voté contre. Donc, en tamps de crise, et au moment où on accuse injustement le Maroc d’ingérence, on n’a obtenu que 50% de voix. Les radicaux sont déçus de ne pas avoir obtenu l’unanimité au sein du PE. En temps normal, ces mêmes radicaux n’obtiennent même pas 10% des votes. La résolution est passée, mais il n’y a eu ni consensus, ni majorité écrasante, juste une majorité numérique simple avec beaucoup d’absences, des abstentions et des voix contre.

A ce stade, est-ce qu’on peut soupçonner une partie précise d’être derrière cet acharnement ?
En plus du travail de lobbying insidieux mené à Bruxelles par le bureau qui travaille avec l’ambassade de l’Algérie, en s’appuyant sur «l’Intergroupe pour le Sahara» créé par la même ambassade et les amis du Polisario au sein du Parlement européen, il y a un travail qui a été diligenté par quelques éléments de l’appareil de l’État français. Ces derniers ne voient pas d’un bon œil ce que le Maroc est en train de réussir sur le plan sécuritaire, en Afrique et sur le plan international. Ce sont eux qui avaient essayé de nuire à un haut responsable des services de sécurité marocains, en passage à Paris il y a quelques années. Ce sont aussi eux qui ont aidé à monter les allégations de Forbidden Stories sur Pegasus et qui ont poussé à mentionner le nom «Maroc» dans les couvertures médiatiques de l’affaire de la corruption au sein du Parlement européen. Le président du Groupe libéral européen, Renew Europe, qui est Français et proche de la majorité présidentielle en France, a été l’un des architectes de la résolution du 19 janvier 2023 contre le Maroc. Renew n’est pas anti-marocain, mais son leader français l’a poussé à adopter des positions radicales qui proviennent généralement de l’extrême gauche.

Quel sera l’effet de ces résolutions du PE sur les relations entre le Maroc et l’Union européenne ?
C’est un effet minime. Les résolutions du PE ne sont pas contraignantes. L’initiative de législation appartient à la Commission et l’adoption des lois se fait à la fois au niveau des Conseils des ministres et au niveau du Parlement. Ce dernier fait beaucoup de bruit mais avec un pouvoir relativement limité. Les contacts du Maroc avec l’UE se poursuivent. Les visites de travail n’ont jamais cessé, un rapport sur l’impact positif du partenariat sur le Sahara marocain vient d’être publié par la Commission. Le Parlement marocain continue à interagir avec les experts de l’UE sur des questions qui intéressent les deux parties.

Y aura-t-il pour autant un impact sur l’accord d’association et différents accords sectoriels qui lient le Maroc à l’UE ?
Pas du tout. Le seul impact que ces résolutions auront, c’est au niveau des relations avec le Parlement marocain. Le statut avancé avait stipulé la création d’une Commission parlementaire mixte (CPM) pour servir de plateforme de débat et de travail commun entre les deux Parlements. Les Européens l’ont abandonnée au profit de surenchères politiciennes téléguidées. Donc, cet outil ne sert plus à rien et le PE doit assumer ses responsabilités dans la mise en panne d’un outil adopté par les deux parties pour renforcer le partenariat Maroc/Europe.

Quel est justement le poids du Parlement dans l’architecture du pouvoir à l’UE ? Ses décisions ont-elles un effet en termes du droit international ?
Le traité de Lisbonne a renforcé le pouvoir du PE en lui octroyant la mission d’approuver le budget de l’UE. Le Parlement partage l’approbation des lois avec les Conseils des ministres. Cependant, l’initiative de législation demeure chez la Commission. Et c’est le Conseil des chefs d’État et de gouvernement qui trace les orientations et priorités de la politique européenne. Le PE ne légifère pas et n’est pas une organisation internationale : donc ses résolutions n’ont pas de valeur jurisprudentielle.

Mais comment le Maroc pourrait-il quand même faire face à cette cabale menée contre lui au sein du PE ?
C’est une décision qui revient finalement aux deux Chambres du Parlement marocain et pas à moi en tant que président de la CPM. Mais, à mon sens, il faut d’abord renforcer le débat et le travail parlementaire sur les questions soulevées par les députés européens, même par ceux qui ont un agenda politique pro-algérien et qui instrumentalisent les droits de l’Homme et le Rif afin d’affaiblir la position du Maroc sur la question du Sahara. Il faut aussi faire une revue complète du partenariat PE/Parlement marocain.
Le PE doit assumer ses responsabilités en se laissant transformer en une plateforme d’attaques systématiques contre un partenaire qu’est le Maroc. Le PE a fait fi d’un outil convenu communément par les deux parties qu’est la CPM et a permis aux députés européens de monter aux enchères sans permettre au Maroc d’exprimer son point de vue. Il faut qu’il assume ses responsabilités s’il veut de ce partenariat. S’il ne peut pas, nous allons continuer de travailler avec le Conseil de l’Europe et les assemblées parlementaires nationales et avec les partis politiques européens et nationaux pour faire entendre notre voix. Mais comme j’ai dit, la décision se traitera au niveau des deux Chambres du Parlement.

Des démarches ont-elles été entreprises en ce sens, en dehors de la décision de l’institution parlementaire de reconsidérer ses relations avec le PE ?
Oui, il y avait une réunion des deux Chambres du Parlement marocain suite au vote du 19 janvier et un appel à la revue des relations entre les deux parties. Des réunions incluant les deux présidents, les bureaux des deux Chambres, les présidents des groupes, les membres de la CPM, ont été organisées pour entamer le travail d’évaluation du partenariat… Le travail d’évaluation a déjà commencé et il continue.

Et comment, au sein de la commission mixte, vous gérez cette situation ?
En communiquant. Mais aussi en expliquant à tout le monde que depuis que je suis président de la CPM, nous avons essayé de travailler avec la partie européenne, mais la co-présidence, côté européen, (celle-là même qui est accusée d’être en connivence avec le Maroc) nous boudait. Elle nous met les bâtons dans les roues et bloque notre travail.
Toutes les parties prenantes ont été averties par rapport à ce blocage. La partie européenne bloque le travail avec les parlementaires marocains pour une raison que je ne comprends toujours pas. C’est cette partie européenne qui se trouve maintenant en porte-à-faux avec la justice pour une affaire de corruption que l’on essaye, tant bien que mal, de coller sur le dos du Maroc. Il faut bien comprendre que la partie européenne, qui est devant la justice maintenant, nous a boudés tout le temps, nous les parlementaires marocains, elle nous sabotait. Si on les avait soudoyés, ils auraient pu être plus coopératifs. De quoi parle-t-on alors ?

Cela dit, le Maroc peut-il encore compter sur des amis au sein du PE?
Oui et nous en avons beaucoup. Il faut juste clarifier les choses. Et il faut aussi que tout le monde assume sa responsabilité, et que de part et d’autre on s’exprime d’une façon claire, qu’on se dise si oui ou non on veut de ce partenariat.
Et dans l’affirmative si on veut mettre en place de vrais mécanismes de partenariat basés sur des principes clairs acceptés des deux côtés. Une fois ce partenariat reconstruit, nous pouvons compter sur nos amis pour le reste du mandat (soit un peu plus d’une année).

A votre avis, cette campagne va-t-elle s’arrêter bientôt ou faut-il s’attendre, à l’avenir, à une escalade ?
Je pense que tant que le Maroc marche d’une façon indépendante, tant que le Maroc dérange par ses visées géostratégiques, tant que l’Algérie reste foncièrement et existentiellement perturbée, voire troublée, par ce que représente le Maroc – à qui elle a essayé de nuire depuis l’ère de Boumediene, en vain bien sûr -, il sera toujours la cible des attaques. L’Algérie dépense des milliards de dollars, non pas pour la réduction de la pauvreté et la lutte contre le chômage des jeunes, mais sur le Polisario et sur les cabinets de lobbying à travers le monde, même dans l’achat à prix d’or des espaces dans des supports médiatiques très connus, pour nuire au Maroc. Donc, elle n’est pas près de s’arrêter un de ces jours.
Pour autant, le Maroc doit être prêt à tout, en mettant en place des contre-attaques bien ordonnées auprès des médias mondiaux, sur les réseaux sociaux, etc. Une politique de nation branding est importante pour vendre l’image d’un Maroc ouvert, fort et qui bouge. Il faut également gagner la bataille académique sur la marocanité du Sahara : mobiliser des académiciens internationaux dans ce sens et disséminer des centaines de publications en plusieurs langues sur le sujet. La bataille est certes diplomatique, mais elle doit être livrée également au niveau de la communication, de l’image, du branding, du soft power et du travail intellectuel.