Pouvoirs
La mainmise de l’Istiqlal et de l’USFP sur les corps professionnels
Syndicat de l’enseignement supérieur, syndicat de la presse, barreaux du Maroc… Les deux partis maintiennent une présence historique au sein de ces corps de métier.
Souvent, la bataille est rude entre les deux partis pour placer leurs candidats.
La scène politique marocaine s’est longtemps réduite à une simple confrontation, parfois violente, entre la Monarchie et les partis politiques. Chacune des deux parties comptait ses soutiens. Si le Makhzen pouvait s’appuyer sur l’armée et l’appareil du ministère de l’Intérieur, les partis politiques puisaient, eux, dans les barreaux et le corps enseignant. Il est indéniable que l’élite intellectuelle urbaine était séduite par les partis de gauche et, dans une moindre mesure, par l’Istiqlal ou par le Mouvement populaire qu’elle assimilait à la bourgeoisie conservatrice et aux structures rurales archaïques.
«Lors des procès du début des années soixante-dix, il était impressionnant de voir le nombre d’avocats qui plaidaient en faveur des accusés», se rappelle un ancien détenu politique. Les partis politiques représentant la gauche comptaient à l’époque dans leurs rangs beaucoup d’avocats : des jeunes lauréats épris de justice et d’un idéal puisé dans les traités internationaux de droit. Ils comptaient également beaucoup d’enseignants universitaires. «On aurait dit qu’il y avait un partage des tâches au sein de l’élite marocaine. Les avocats, les enseignants et les ingénieurs d’un côté et puis toute l’élite rurale de l’autre», renchérit Mourad Bakkouri, avocat au barreau de Rabat. En plus, le fait que la majorité des chefs politiques de l’époque proviennent des barreaux et du corps enseignant démontre, si besoin est, l’ancrage de certains partis politique, dans certains corps de métiers. L’image d’un Abderrahim Bouabid, d’un Abderrahmane Youssoufi, d’un Abdellatif Semlali ou d’un Mhamed Boucetta plaidant en robe noire a certainement eu un grand impact sur beaucoup d’étudiants qui assimilaient le métier d’avocat au militantisme politique. De même, la notoriété de professeurs universitaires comme Mehdi Benberka (UNFP), Aziz Blal (Parti communiste marocain) ou encore Mohamed Lahbabi (USFP) n’a pu qu’impressionner leurs auditoires.
Chaque membre du parti doit militer au sein de son secteur d’activité
Les partis n’allaient pas laisser ces métiers qui les approvisionnent en cadres sans encadrement, d’autant plus que le Makhzen faisait tout pour les séduire de son côté. C’est dans ce cadre-là que s’inscrit la création du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNE-SUP). Créé au sein de la centrale syndicale de l’UMT, le SNE-SUP devient une année plus tard, «indépendant». C’est l’USFP qui fournira la majorité des secrétaires généraux de ce syndicat. Il en est de même pour l’Union des écrivains du Maroc. L’UEM, créée par Mohamed Aziz Lahbabi, philosophe éminent et indépendant, tombera très vite aux mains de l’Istiqlal qui mettra à sa tête Abdelkrim Ghellab. Le parti de Allal El Fassi n’allait pas la garder longtemps dans son giron puisque c’est l’USFP qui s’en accapare et qui en assure la présidence jusqu’à aujourd’hui.
Cela veut-il dire que seuls l’Istiqlal et l’USFP sont majoritaires dans ces corps de métier ? «Non, nuance Mohamed Salhi, président du département de langue espagnole à la faculté des lettres de Rabat, souvent, l’USFP était le parti accepté par l’Etat comme interlocuteur. Ce fut le cas à l’UNEM, où l’USFP n’était pas toujours majoritaire.»
Mais la course aux recrutements ne s’est pas seulement faite entre les partis et l’Etat. Elle le fut également entre les partis. Ainsi, quand l’UNFP fait sa scission et contrôle l’UNEM, l’Istiqlal réplique en créant l’Union générale des étudiants marocains. Pour certaines organisations syndicales, un compromis est trouvé entre l’USFP et l’Istiqlal. Le syndicat de la presse, lui, connaît, depuis sa création, une alternance parfaite. A Abdelkrim Ghellab succède Mohamed Elyazghi qui cède la place à Larbi Messari qui s’éclipse à son tour en faveur de Younès Moujahid.
Des corps de métier imperméables à la politique
Pour les autres métiers c’est la formule consacrée «Al mounadilou liqitaîih» qui prend le dessus. Ainsi, chaque membre du parti doit avant tout militer au sein de son secteur d’activité. On voit alors se multiplier plusieurs organisations partisanes qui encadrent les ingénieurs, les médecins ou encore les pharmaciens. Même les métiers régulés par un ordre obéissant à une loi réglementaire n’échappe pas aux visées des partis. L’Association nationale des barreaux du Maroc en est l’exemple le plus concret. Depuis sa création, en 1962, elle a vu défiler à sa tête des présidents appartenant à l’Istiqlal, à l’UNFP et à l’USFP, avec quelques «indépendants» pendant de brefs intermèdes. Aujourd’hui même, c’est Driss Aboulfadl, député USFP de Marrakech, qui en est le président.
Qu’en est-il alors pour d’autres corps de métier ? Les partis ont-ils échoué à les noyauter ou y a-t-il des métiers imperméables aux enjeux de la politique politicienne ?
M. Benabderrazak, ex-secrétaire général de l’Ordre des experts-comptables, est clair à ce sujet : «Le président de l’ordre est là pour représenter la profession. Notre ordre reste une institution très loin de la politique. Lorsqu’il y a des problèmes, nous nous adressons à tous les responsables de tous les bords afin de faire avancer les choses.» De là à parler de certaines professions qui préfèrent rester éloignées des joutes partisanes, il n’y a qu’un pas que les médecins et autres architectes n’hésitent pas à franchir.
Mais, s’il y a des professions qui refusent que leurs instances représentatives servent de tremplin pour les partis, il y a également des partis qui, malgré leur force électorale, trouvent beaucoup de difficultés à s’implanter au sein des organisations professionnelles. C’est le cas du PJD, dont le discours est loin d’être audible au sein de l’élite intellectuelle. Un déficit qui profite pour le moment à l’USFP et à l’Istiqlal.
