Pouvoirs
La loi, sans laxisme ni excès
Depuis plusieurs mois, des individus en mal d’audience dressent un tableau sombre de l’avenir du pays.
La dérive a atteint ses limites. Les fondamentaux même du Royaume sont attaqués.
Des citoyens s’élèvent pour demander que ces attaques soient réprimées comme le prévoit la loi.
Quand Ahmed Herzenni, ancien prisonnier politique et militant de la gauche, s’est arrêté, il y a quelques jours, devant le kiosque où il achète ses journaux, sa curiosité de lecteur a fait place à «un sentiment d’indignation». Plusieurs titres prédisent en effet «la fin de la monarchie» et «un avenir sombre et incertain»… Depuis plusieurs mois, le kiosque marocain est déprimant. Ces derniers temps, il y a comme une course à l’exagération, une surenchère dans l’amplification. Désormais, ce sont les fondamentaux qui sont directement visés.
L’agitation sporadique au Sahara, les déclarations de Nadia Yassine, tout comme les articles ou commentaires d’une certaine nouvelle presse, alimentent les conversations. Au sein de l’opinion, nul besoin d’un sondage à grande échelle pour constater une demande de grande fermeté dans la réaction.
Chez Ahmed Herzenni naît l’idée d’interpeller les Marocains afin de les appeler à verbaliser leur sentiment de révolte vis-à-vis des dernières dérives. C’est comme cela qu’est élaborée une pétition signée par des personnes diverses issues de la société civile, appelant à la défense des acquis démocratiques et à la vigilance face à toute entreprise de subversion interne ou externe. Cet «appel citoyen» est né de la volonté d’hommes désireux de rétablir une certaine vérité. Il se veut une exhortation aux citoyens afin qu’ils ne succombent pas aux prédictions funestes.
Les thuriféraires de l’apocalypse
En effet, depuis quelques semaines, un tableau sombre de l’avenir du pays est brossé par une certaine presse qui a ouvert ses pages à tous ceux qui veulent «sauver le Maroc de la catastrophe» promise. Ce ne sont plus des critiques constructives et objectives qui sont formulées, mais une course effrénée à la déprime générale… Une attaque frontale contre la monarchie et l’intégrité territoriale du royaume. Tout est utilisé afin de démontrer aux Marocains qu’ils vivent sous le joug d’un pouvoir à la fois absolu et impuissant. Toutes les avancées réalisées depuis une décennie sont reléguées aux oubliettes… Tous les sacrifices consentis depuis des générations afin de jouir d’un Etat de droit sont piétinés… Rien ne trouve grâce aux yeux des nouveaux thuriféraires de l’apocalypse ou plutôt si, une poignée de séparatistes manipulés depuis l’extérieur et une islamiste en mal de cause et d’audience…
Nadia Yassine, porte-parole officieuse de l’association tolérée Al Adl Wa Al Ihssan, prédit le pire et chante les louanges d’une république qui, selon elle, serait le régime idéal pour le Maroc. Le mot république, dans la bouche de la fille du guide d’Al Adl wa Al Ihssan, renvoie à un régime où une théocratie digne de «Talibanland» régnerait en maître absolu sur la destinée d’un peuple qui aspire à plus de modernité et de démocratie. Une république où les femmes seraient reléguées au rang de quantité négligeable… Une république où le cheikh discuterait sur internet avec ses ouailles de leurs rêves, même les plus absurdes… Une république qui serait dirigée par un cheikh qui estime que la démocratie est haram et que les élections sont une bidaâ… Une république où l’on couperait les mains et les têtes, «ensevelirait» les femmes et où l’on interdirait les fondements de toute économie moderne. C’est cela la république que Nadia Yassine promet aux Marocains.
C’est contre ce modèle promis aux Marocains que les signataires de «l’Appel citoyen» veulent s’élever. On peut y lire : «(…)de là à croire que la vocifération, l’excès, le mensonge et la surenchère peuvent être des arguments de promotion ; de là à ne pas hésiter à se jouer de l’intégrité territoriale ; de la paix civile et de la stabilité politique du pays et à oser “faire de l’oeil” à des puissances étrangères, il n’y a qu’un pas que seul des irresponsables et des inconscients peuvent franchir».
Confusion entre droits de l’homme et non respect de la loi
«Il me semble que madame Yassine ne suit plus l’évolution du pays depuis des années. Ces propos sont anachroniques et inappropriés», s’emporte le cinéaste Saâd Chraïbi. «Arrêtons de noircir le tableau. Le Maroc ne va pas à la catastrophe. On est un pays en transition avec tout ce que cela implique comme lenteur et imperfection. On en est conscient, mais ce n’est pas une raison pour dramatiser et plomber le moral des gens», s’indigne Sanna El Ajji, romancière et autre signataire de l’appel.
Le constat est là. Les Marocains sont conscients de la jeunesse et de la fragilité de leur démocratie. C’est pourquoi, rien ne doit être ménagé afin de la consolider et de l’enrichir. «Si nous avons signé cet appel, c’est bien pour prévenir toute surenchère ou tout chantage qui pourraient plomber la paix sociale. La loi est au-dessus de tout le monde et elle doit être appliquée à tout le monde aussi», renchérit Tayeb Alami, avocat au barreau de Casablanca. D’ailleurs, toute la problématique est là. Comment peut-on promouvoir un Etat de droit et punir les dépassements criminels sans s’exposer aux dérapages sécuritaires et aux critiques d’une opinion internationale prompte à dégainer sans chercher à aller au fond des choses ? «Il faudrait appliquer la loi sans laxisme ni excès de zèle. Cela ne veut pas dire que nous demandons à l’Etat un tour de vis supplémentaire, mais il ne faut pas que des gens qui ne respectent pas la loi trouvent devant eux un boulevard au nom des droits de l’homme», recommande Herzenni.
Brûler le drapeau national et attaquer les forces de l’ordre est considéré partout dans le monde comme un crime passible de sanctions. Il ne relève nulle part de la liberté d’expression et encore moins d’une quelconque liberté publique. Appeler au remplacement d’un régime n’est pas un luxe académique. Il relève d’atteinte à la sécurité de l’Etat et tombe sous le coup de la loi. C’est dans ce cadre que l’«appel citoyen» rappelle que, dans un Etat de droit, «il y a des droits mais aussi des obligations applicables à tous sans distinction aucune. Tout le monde sait que ces droits ont été obtenus aux prix de lourds sacrifices.»
Rien ne trouve grâce aux yeux de ces Cassandre, sauf peut-être une poignée de séparatistes manipulés et une islamiste en mal d’audience.
