Pouvoirs
La Femme égale à l’homme pour témoigner devant les Adouls
L’avant-projet de loi relatif à l’organisation de la profession des adouls corrige une aberration de taille: il donne à la femme le droit de faire valoir sa voix. La décision est née d’un consensus entre le ministère, les oulémas et les adouls.

Une nouvelle étape dans la consécration des droits des femmes. Si jusqu’à présent dans le témoignage collectif devant un notaire religieux, «lafif adli», le témoignage d’un homme valait celui de deux femmes, le nouveau projet de loi relatif à la réglementation de la profession des adouls met fin à cette situation discriminatoire. Le ministère de la Justice a répondu favorablement à la demande de la profession qui est, depuis janvier 2018, ouverte aux femmes. Cette décision du ministère, cautionnée, faut-il le préciser, par le Conseil supérieur des oulémas, corrige une anomalie injustifiée.
L’accès des femmes à la profession d’adoul est un choix moderniste du Maroc en matière de promotion des droits de la femme et de la lutte contre toutes les formes de discrimination. Rappelons que cette profession de notaire de droit musulman a été ouverte aux femmes suite à une décision du Roi Mohammed VI. Une démarche clairvoyante de la part du Commandeur des croyants qui avait déjà permis auparavant de voir des femmes devenir Morchidates et même membres du Conseil des oulémas.
Nouvelle étape franchie
Cette nouvelle disposition contenue dans l’avant-projet de loi relatif à la réglementation de la profession – aujourd’hui encore chez le Secrétariat général du gouvernement – est «applaudie» par l’Association nationale des adouls. Pour son président, Bouchaib Fadlaoui, «la décision répond à notre demande, car souvent sur le terrain, on ne trouvait pas le nombre exact de témoins hommes. Donc cette nouveauté est la bienvenue». Pour M. Fadlaoui, le genre importe peu. Dans le milieu associatif féministe, cette disposition est jugée «juste et égale. A défaut, ce serait une contradiction de taille, voire une aberration. Désormais, les femmes adouls jouissent des mêmes droits que leurs confrères et peuvent faire entendre leur voix !».
Cette nouvelle étape franchie dénote d’un changement de mentalités au niveau de la société marocaine, selon des femmes avocates, qui estiment que «jusqu’ à présent le fait de s’appuyer sur des dispositions religieuses rigides fermait la porte aux femmes dans plusieurs situations».
Pourquoi 12 témoins ?
Poussant plus la réflexion, ces mêmes sources précisent que le témoignage collectif est un procédé traditionnel bien ancré dans les coutumes de la société marocaine, cependant le nombre de 12 témoins ne se justifie pas.
En effet, le rite malekite (qui ne reconnaît pas d’ailleurs à la femme le droit de témoigner, sauf en l’absence d’hommes) ne précise pas du tout le nombre. «C’est une disposition du droit marocain et nous avons d’ailleurs demandé une réduction des témoins de 12 à cinq ou six. Une revendication qui pour l’heure n’a pas été retenue dans l’avant-projet en cours de discussion», explique Bouchaib Fadlaoui qui ne manque pas de souligner «que le nombre de témoins et leur sexe importent peu. Ce qu’il faut plutôt signaler c’est que les femmes ont toutes les compétences pour être témoins. Elles sont précises, rigoureuses et ne cèdent pas facilement aux éventuelles pressions». Autant de qualités requises, selon le président de l’Association des adouls, en matière de témoignage collectif qui reste nécessaire pour dénouer des situations conflictuelles en matière de statut personnel (mariage, divorce, reconnaissance de paternité et héritage) ou encore pour des litiges fonciers impliquant des ayants droit ou des héritiers.
Une profession qui attire de plus en plus de femmes
C’est suite aux instructions du Roi Mohammed VI que l’ouverture de la profession aux femmes a eu lieu avec un premier concours d’admission en 2018. Deux ans plus tard, les premières femmes adouls prêtaient serment : elles sont 18 sur les 45 adouls que comptait la promotion de cette année-là. Aujourd’hui, 220 femmes exercent ce métier aux côtés de leurs confrères hommes. Selon le président de l’Association nationale des adouls, «la collaboration se passe très bien sur le terrain. Preuve en est, on compte plusieurs bureaux de adouls hommes et femmes». Ce qui dénote, selon notre source, d’un changement de mentalités majeur au sein de cette corporation. «Les familles marocaines acceptent de les voir établir des actes de mariage sans problème. Alors qu’auparavant, cela était inimaginable», affirme, de son côté, un juge.
