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Pouvoirs

La danse des partis a commencé…

Le PJD et le PPS se disputent le sérieux et la crédibilité dans la politique. L’Istiqlal dispute aux islamistes la référence aux «valeurs» et à  la «morale».

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PJD et PPS 2015 06 07

Cela n’a rien de surprenant. Ce sont les huit premiers partis politiques, qui ont récolté près de 90% des votes aux dernières législatives de 2011, qui accaparent aujourd’hui la scène politique. Ils sont omniprésents partout, certains beaucoup plus que les autres, dans les institutions, dans les médias et sur le terrain. Cela ne veut pas dire pour autant que leur discours a gagné en maturité et en profondeur. Loin de là. Mais c’est là une autre histoire. Le fait est que, approche des élections oblige, chacun des partis tente, autant que faire se peut, d’être encore plus visible. Leurs démarches diffèrent selon qu’ils sont au gouvernement ou dans l’opposition. Certains doivent leur présence surtout médiatique aux talents oratoires de leurs leaders, d’autres, un peu malgré eux, à cause de leurs luttes intestines. Ainsi, d’un côté se trouvent le PJD et le PPS, alliés indéfectibles. Le premier l’a montré en prêtant main forte au second lors des dernières élections partielles qui ont failli lui faire perdre son groupe parlementaire. Le second en soutenant la politique gouvernementale du premier quitte à susciter l’ire des ses anciens alliés de la défunte koutla et ses alliés objectifs de la gauche démocratique. Les deux partis capitalisent sur un bilan gouvernemental qu’ils continuent à considérer, mordicus, comme positif et honorable. Les deux formations ont à leur tête d’excellents orateurs, populistes à souhait en ce qui concerne les islamistes. Ces derniers n’hésitent pas à surfer sur la vague de la morale et des «valeurs de la société marocaine» pour amasser autant que possible des voix électorales. Le PPS joue plutôt la partition de principes et acquis démocratiques. Cette démarche débouche à maintes occasions sur des divergences d’opinion, voire des clashs. Plusieurs textes ont ainsi été gelés au niveau du conseil du gouvernement à cause notamment de ces divergences de points de vue. Cela dit, les deux formations surfent également sur le concept du «maâqoul» (crédibilité et sérieux). Un slogan largement accepté auprès de la masse des électeurs et du grand public. Il arrive que le PJD en abuse même. Ce qui a valu, tout récemment, une mise en garde de son allié. «L’maâqoul» n’est pas une invention du PJD, il n’a pas le monopole du sérieux et de la crédibilité, a lancé en substance le secrétaire général du PPS à l’occasion de l’un de ses récents et multiples meetings populaires. Cela étant, la lutte contre la corruption et la prévarication («l’fassad» selon la terminologie consacrée), n’est pas non plus l’apanage des islamistes. Leurs alliés socialistes le leur ont fait comprendre à plusieurs reprises.

Globalement, les deux partis se présentent comme défenseurs d’une éthique politique irréprochable, à même de réconcilier une partie de la population, surtout les jeunes, avec la chose politique. Les deux promettent une percée électorale à l’occasion des prochaines élections locales et régionales. Une sorte de revanche par rapport au scrutin de 2009 à l’issue duquel ils se disaient très lésés. Et si le PPS lui dispute le monopole du concept du «sérieux» et de la «crédibilité», un autre parti, l’Istiqlal en l’occurrence, tente, comme il peut, lui ravir un autre fonds de commerce : les valeurs et la morale.

Gardiens des valeurs et de la morale

L’Istiqlal, d’un autre côté, allié dans la première version du gouvernement Benkirane, a quitté tôt le gouvernement, mi-2013. Suffisamment tôt pour dissocier son image de celle du PJD et du gouvernement. Les deux puisent dans le même référentiel. Abdellah Bakkali, actuel membre du comité exécutif du parti, n’a-t-il pas déclaré à la veille des élections de novembre 2011 que «l’Istiqlal est un parti islamiste» ? Les récentes sorties de la jeunesse du parti et de certains de ses cadres relatives au dernier opus de Nabil Ayouch et à la retransmission en direct sur 2M de l’ouverture de la 14e édition de Mawazine montre que les deux formations se disputent, en partie, le même électorat. Les groupes parlementaires des deux partis se sont empressés de poser une question orale à la première Chambre pour interpeller le ministre de tutelle sur cette initiative de la chaîne. Ils ont été les seuls à agir ainsi avant de se raviser et retirer leur question moins de 24 heures plus tard. C’est clair, l’Istiqlal a décidé que ce qu’il considère comme la défense des «valeurs» et de la «morale» ne doit plus être l’apanage du PJD. En tout cas en cette saison électorale. Cela dit, avec un peu de recul, la décision de quitter le gouvernement a été jugée intelligente dans le sens où la direction du parti a anticipé les élections et s’est assuré un positionnement relativement confortable sur l’échiquier politique.

Bien plus, depuis ce départ, il ne cesse de livrer un combat sans merci contre le PJD et plus particulièrement contre son chef Abdelilah Benkirane. Mais au-delà de cette tactique, et comme le soutient Ahmed Bouz, professeur de sciences politiques à l’Université MohammedV de Rabat, «l’Istiqlal est un cas particulier. Il dispose de sa propre “clientèle“ électorale». Ce sont des clients-électeurs fidèles qui lui assurent une assiette électorale stable. Le parti estactuellement victime de dissensions internes, mais qui ne risque pas d’avoir un grand impact sur ses prouesses électorales.

Le legs socialiste disputé

Au sein de l’Istiqlal on finit toujours par aboutir à un consensus interne qui préserve le parti. En effet, ce n’est pas pour rien que contrairement aux dissidents de l’USFP qui ont décidé de créer leur propre parti, ceux de l’Istiqlal n’ont jamais pensé à le quitter, bien qu’ils aient pu mettre en place une structure parallèle au parti dans le parti, c’est-à-dire une association-courant qui dispose de son propre conseil national et ses propres instances décisionnelles. Ils ne veulent surtout pas risquer de reproduire l’expérience du parti socialiste. C’est que l’USFP a sérieusement souffert de la contestation interne. Le bras de fer entre la direction et les dissidents, membres du courant «Ouverture et démocratie», a nui énormément au parti. Ses répercussions électorales risquent d’être encore plus graves. Car ce n’est pas d’un courant interne qu’il s’agit, mais d’un nouveau parti politique qui revendique l’héritage ittihadi. Les compagnons de feu Ahmed Zaidi, initiateur de cette fronde, s’apprêtent, en effet, à déposer une demande de constitution de parti politique auprès des autorités concernées, après avoir constitué un dossier satisfaisant aux conditions requises par la loi et réuni le nombre de signatures exigées. En même temps, l’USFP tente de se tenir à flot. Son premier secrétaire, Driss Lachgar, est un excellent orateur doublé d’un homme d’appareil. Et c’est cet avantage qui manque à ses détracteurs. Il a repris en main les médias du parti à la tête desquels a été installé Habib El Malki. Il garde son positionnement de parti de gauche. Dès son élection à la tête du parti, le premier secrétaire a pris son bâton de pèlerin pour ne plus s’en défaire. De tournées en meetings, en passant par la présidence de congrès régionaux, Driss Lachgar a supervisé lui-même la remise sur selle du parti dans différentes régions du pays. Une soixantaine, au moins, de congrès régionaux et provinciaux ont ainsi été tenus en plus de l’activation des organisations parallèles (jeunesse, femmes, syndicat et forums professionnels). Mais tout leader de la gauche qu’elle est, l’USFP sera certainement, selon Ahmed Bouz, «le grand perdant des futures élections».

Une légitimité populaire à conserver

La fusion avec le PT et le PS pouvait, certes, drainer une masse électorale appréciable mais il semble que le parti ait mal géré l’intégration des militants de ces deux partis. La preuve, ils le quittent aujourd’hui par centaines. Le départ des camarades de feu Ahmed Zaidi, dont certains disposent d’un électorat important, est un coup dur pour un parti qui s’est replié, depuis les élections de 2007, sur les petites villes et le monde rural.

L’USFP est quasi absent dans les grandes villes et leur gestion (Casablanca, Rabat, Fès, Tanger, Marrakech, Oujda, et bientôt Agadir et Tétouan). Le parti, affirme M. Bouz, «finira certainement par subir les conséquences du système de gouvernance de sa direction à sa tête Driss Lachgar». C’est que dans le passé, la réussite électorale de l’USFP, sa présence surtout dans les villes, était intimement liée à son image. Celle-ci a été largement entamée d’abord par ses  13 années de gouvernement et ensuite par ses actuels problèmes internes. Il n’en reste pas moins que le parti compte reconquérir son image, notamment en menant, avec son allié l’Istiqlal, une opposition farouche au gouvernement. L’autre allié de l’opposition, le PAM, tout en préférant prendre ses distances ces derniers temps, vis-à-vis des sorties de l’Istiqlal et de l’USFP, n’est pas, pour autant, moins présent sur la scène politique. Narguant ceux qui voulaient le faire taire, voire le faire disparaître, le PAM continue d’animer la scène politique. C’est qu’il a aujourd’hui une légitimité populaire à préserver et à renforcer. Il multiplie les meetings, mais aussi les journées d’études et d’information, notamment au niveau de ses deux groupes parlementaires, sur des sujets controversés ou d’actualité. Il se positionne comme défenseur d’une vision moderne de la société marocaine et espoir d’un large pan de cette même société qui ne se retrouve pas dans l’offre politique existante. Après avoir mis en place une structure solide à travers le pays complétée par des organes parallèles, jeunesse, femmes, étudiants, enseignants universitaires et tout un éventail de professions libérales et plus récemment le corps des petits commerçants, il ambitionne de réconcilier les Marocains avec la politique et mobiliser les jeunes dans l’action partisane.

Un regain d’intérêt pour la politique

Le PAM a fait également son entrée dans le domaine syndical en s’alliant à une centrale à la hauteur de ses ambitions, l’ODT. Ses détracteurs l’accusent de faire partie d’un scénario d’avant-2011, sa réponse ne s’est pas faite attendre. Et c’est sur le terrain qu’il l’a inscrite en attendant de la concrétiser aux prochaines élections. La présence trop voyante de ces quatre formations sur le terrain contraste avec la discrétion d’une autre formation et non des moindres, le RNI.

Le RNI ne tient presque pas de meeting populaire, mais ses dirigeants, principalement Rachid Talbi Alami et Mohamed Abbou, ne cessent de multiplier les contacts pour drainer de nouvelles adhésions, tout en faisant valoir la qualité des nouveaux membres plutôt que le nombre. Cependant, contrairement au PJD dont le secrétaire général n’arrive plus à dissocier sa fonction de chef du gouvernement de celle de patron d’un parti, le RNI souffre de l’absence de son président Salaheddine Mezouar, ministre des affaires étrangères pris par les missions à l’étranger inhérentes à ses charges de chef de la diplomatie. Mais le RNI qui est un parti de cadres et également d’entrepreneurs, rassure les hommes d’affaires et peut, le moment venu, faire valoir les résultats économiques et financiers qui sont curieusement au vert à chaque fois qu’il a été aux affaires. C’est ainsi que, comme sous Mezouar, les finances du pays ne se sont jamais aussi bien portées ces dernières années alors qu’un autre ministre RNI est à la tête de ce département. La gestion du RNI du portefeuille du commerce et de l’industrie est également aux antipodes de la direction naguère assurée par le PJD. Le bilan du secteur ne pourrait être que bénéfique pour l’image et la renommée du parti. En même temps, le RNI garde ses portes ouvertes même à ceux qui ont déjà tenté une expérience ailleurs et ne se retrouvent plus. Le ralliement de la famille Chaâbi, entre autres, au parti, a fait l’effet d’un coup de pub. Elle l’a toujours montré, cette formation ne manque pas de ressources pour maintenir, sinon améliorer, son standing électoral. En somme, que ces partis fassent l’actualité, que la chose politique est discutée et débattue par une large couche de citoyens, cela est, en soi, une chose positive. Ce qui est, sans doute, signe d’un début de réconciliation des citoyens avec la politique.

La manière dont sont gérées les affaires publiques, la lutte partisane prouvent à ne plus en douter que désormais le jeu politique est transparent, et surtout que les règles de ce jeu sont bien définies et connues de tous et que les élections sont crédibles. Et ce sont ceux qu’elles auront désignés qui seront portés aux commandes.