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Koutla : l’affaire El Ferraࢠsème la zizanie entre l’Istiqlal et l’USFP

La Jeunesse USFP intente un procès à  Hamid Chabat pour diffamation à  l’encontre de Mehdi Ben Barka.
Le secrétaire général de l’UGTM critiqué par les Istiqlaliens pour avoir entraîné le parti dans une querelle syndicale.

L’escalade entre l’Istiqlal et l’USFP ayant été rompue, le refroidissement des relations entre les deux partis est-il jugulé pour autant ?

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Hamid Chabat, secrétaire général de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) et membre du bureau politique de l’Istiqlal, aurait-il opté pour la fuite en avant ? Mardi 21 avril, il demandait officiellement un arbitrage du Premier ministre et numéro 1 de l’Istiqlal Abbas El Fassi dans le cadre de l’affaire El Ferraâ (voir encadré). «Nous réclamons seulement l’application de la loi», fait savoir le syndicaliste, qui insiste que le président déchu de la Mutuelle générale des fonctionnaires de l’administration publique (MGPAP) a le droit de se présenter aux élections des délégués du personnel de la mutuelle. Que le maire de Fès obtienne gain de cause ou pas, sa mobilisation risque de s’avérer coûteuse sur le plan politique. En effet, Hamid Chabat a suscité un véritable tollé, lorsque, en tentant d’établir une comparaison entre l’affaire de la mutuelle et certains évènements historiques, il avait laissé entendre que Mehdi Ben Barka, ex-dirigeant de l’Istiqlal et l’un des fondateurs de l’USFP, avait été mêlé à des assassinats de militants nationalistes dans les années cinquante. Des propos pour lesquels la Jeunesse de l’USFP a la ferme intention de lui intenter un procès pour diffamation à l’égard de l’icône des Ittihadis, ce vendredi 24 avril. «Il faut qu’il apporte la preuve que Ben Barka était un meurtrier. Nous avons confiance en la justice, c’est pour cela que nous avons directement opté pour le procès, afin qu’elle prenne la décision qui s’impose», signifie Mehdi Mezouari, secrétaire général adjoint de la Chabiba ittihadie. A l’heure où nous mettions sous presse, mercredi 22 avril, quatre avocats de l’USFP, dont 3 membres du bureau national de la Chabiba, s’apprêtaient ainsi à prendre l’affaire en main sans que le bureau politique de l’USFP ne lève le petit doigt pour les en empêcher.  
«Le problème concerne le Mouvement national, pas l’USFP. Ce parti n’a été créé qu’en 1974 alors que nous parlons là de la période 1956 – 1957. L’Histoire appartient aux Marocains, pas à une personne donnée», se défend Hamid Chabat.

Hamid Chabat lâché par Abbas El Fassi ?  
Du côté de l’Istiqlal, si la jeunesse ittihadie a été «amicalement approchée» par des Istiqlaliens qui auraient préféré ne pas voir «les choses en arriver là», la sortie de Hamid Chabat est vertement critiquée, et pas seulement parce que ses méthodes détonnent avec les usages du parti.
Plusieurs militants du parti de Abbas El Fassi considèrent, en effet, que Hamid Chabat est allé trop loin en mêlant l’Istiqlal à une affaire qui concernait à l’origine l’UGTM, et en semant ainsi le trouble entre les deux partis. Fait significatif, même le secrétaire général de l’Istiqlal, dont M. Chabat était présenté comme un successeur potentiel, a pris ses distances avec lui en qualifiant ses propos d’«irresponsables». «Nous ne sommes pas d’accord avec lui», aurait ainsi déclaré, le 15 avril, le patron des Istiqlaliens, rapporte le quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki. «M. Chabat ne s’est pas exprimé en qualité de responsable du parti, et l’Istiqlal a montré, de toutes les manières, par la voix de son secrétaire général et porte-parole officiel, qu’il n’est pas du tout d’accord avec le contenu de ses déclarations à l’encontre de notre allié l’USFP, concernant Mehdi Ben Barka ou autres», confirme de son côté ce cadre istiqlalien sous couvert d’anonymat. Comme si le désaveu du Premier ministre ne suffisait pas, les journaux du parti, qui ont toujours soutenu Hamid Chabat, même lorsque sa gestion de Fès avait été mise en cause par un rapport de la Cour des comptes, ont fait l’impasse sur ses déclarations. «Cela prouve que le parti ne les accepte pas», explique-t-on à l’Istiqlal.
Interrogé sur sa version des faits, Hamid Chabat minimise l’affaire : «Mes propos concernaient une étape historique bien précise. Nous avons dit qu’à l’époque des tueries de Souk Larbaâ, du Rif et de certains évènements, c’était en réalité Mehdi Ben Barka qui tenait les rênes de l’Istiqlal», explique le patron de l’UGTM qui déplore que «les frères ittihadis» en soient arrivés aux insultes alors qu’il n’a fait que parler d’une période historique bien déterminée et documentée. Il s’étonne que cette affaire ait suscité une réaction plus forte chez eux que l’affaire des caricatures danoises… Concernant l’affaire à l’origine du scandale, toutefois, il persiste et signe. Hamid Chabat accuse le ministre USFP de l’emploi et de la formation professionnelle, Jamal Rhmani, d’avoir outrepassé ses droits en reportant les élections de la MGPAP de peur de voir l’équipe sortante, proche de l’UGTM, remporter les élections face aux candidats de la FDT, syndicat proche de l’USFP. «Il s’agit d’une structure qui appartient aux travailleurs, d’une association. Pourquoi en retarderait-il les élections ? Pour en rester maître ? Il n’en a pas le droit», accuse M. Chabat.

Une tension grandissante au sein de la Koutla
Jusqu’où ira donc cette affaire ? Une chose est sûre, depuis quelques semaines, les clashs sont devenus monnaie courante entre l’Istiqlal et l’USFP. Dernière pomme de discorde en date, la réforme de la Constitution. En effet, à la suite des déclarations de Abbas El Fassi dans son entretien télévisé du 15 avril, où il avait laissé entendre que la réforme n’était pas en tête des priorités du moment, l’USFP vient d’annoncer sa décision de présenter, en solo, un mémorandum au Souverain avant les élections.
L’on se souvient aussi des critiques émises par l’USFP à l’égard du gouvernement El Fassi après que ce dernier ait signalé son intention de ponctionner les salaires des fonctionnaires grévistes des heures perdues. Ces critiques avaient suscité la colère des Istiqlaliens qui ont rappelé aux Ittihadis qu’ils ont participé à la prise de la décision, étant représentés au gouvernement. Dans ces fâcheries inter-partisanes, le nom de Hamid Chabat a été régulièrement cité, parfois en tant que président du conseil de la ville de Fès. En effet, le maire de la capitale spirituelle entretient des relations pour le moins houleuses avec les élus de l’USFP. En février, les conseillers USFP boycottaient la dernière session du conseil de la ville, pourtant réservée au compte administratif.
Dans son édition du 16 avril, Al Ittihad Al Ichtiraki, en première page, avait même accusé en Une un adjoint de M. Chabat d’avoir violé la loi en lançant une campagne prématurée dans une mosquée. De son côté, Hamid Chabat a attaqué la gestion de l’ancien maire – USFP – de la ville. Dans d’autres cas, Hamid Chabat est mentionné en qualité de secrétaire général de l’UGTM, comme dans l’affaire de la Mutuelle générale des fonctionnaires. M. Chabat s’est-il tiré une balle dans le pied en mêlant son parti à l’affaire El Farraâ ? En tout cas, le mécontentement exprimé au sein de l’Istiqlal à son encontre n’a rien de bien surprenant : durant son ascension-éclair dans les rangs de l’UGTM et de l’Istiqlal, l’homme ne s’est pas fait que des amis. Peu importe, sa disgrâce ne sera sans doute que passagère.

Une réconciliation qui risque de prendre du temps
Qu’en est-il toutefois des relations entre l’Istiqlal et l’USFP ? Si jusqu’à aujourd’hui, aucun indice, d’un côté comme de l’autre, ne relève que les propos de M. Chabat au sujet de Mehdi Ben Barka risquent de secouer l’alliance gouvernementale, l’affaire est-elle close pour autant? Du côté de l’Istiqlal on reconnaît que l’incident ne pourra pas être effacé en un jour. Pour sa part, Hassan Tariq, membre du bureau politique de l’USFP, appelle la direction de l’Istiqlal à clarifier davantage sa position dans cette affaire. «Abbas El Fassi a affirmé que les déclarations de M. Chabat ne concernaient pas l’Istiqlal, ce qui est déjà une bonne chose», indique l’ex-patron de la Chabiba ittihadie. «Malgré cela, poursuit-il, un problème va subsister dans la mesure où M. Chabat n’est pas un militant ordinaire, mais le secrétaire général de l’UGTM et un membre du comité exécutif de l’Istiqlal». «Il faudrait donc qu’il cesse de faire de telles déclarations, sinon cela va avoir un impact sur les relations entre les deux partis», explique M. Tariq qui souligne que le temps où l’USFP et l’Istiqlal pouvaient faire campagne en se critiquant l’un l’autre est dépassé. «Aujourd’hui, le champ partisan ne se limite plus à la dualité PI – USFP, il est beaucoup plus compliqué que par le passé», souligne-t-il. Une idée défendue y compris au sein de l’Istiqlal. «Cela fait quarante ou cinquante ans que les Ittihadis et les Istiqlaliens se bagarrent, M. Chabat vient faire en sorte que la bataille se poursuive encore quarante ou cinquante années supplémentaires. Il n’aurait pas dû évoquer cela et son attitude n’a aucun sens», affirme, révolté, cet ancien du parti qui souligne toutefois que l’USFP, tout comme l’Istiqlal, porte une part de responsabilité dans les problèmes qui les opposent. Pour lui, les désaccords actuels auraient dû être traités en amont. Désormais, on a bien compris de part et d’autre que ni l’Istiqlal ni l’USFP ne sortiront gagnants de ces disputes. Reste à savoir si les deux partis sont prêts à passer à l’étape suivante : recadrer leurs relations et préparer des alliances pour l’après-12 juin.