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Pouvoirs

Istiqlal et USFP : l’heure des comptes a sonné

L’USFP et l’Istiqlal ont montré leur incapacité à
juguler leurs divisions et transformé leur victoire électorale en
défaite politique.
La majorité gouvernementale a laissé apparaître son caractère
artificiel et le positionnement politique naturel et réel de ses différentes
composantes.
A défaut d’une mise à niveau salutaire, la classe politique
actuelle risque d’être le fossoyeur de l’idée démocratique
pour des décennies.

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Tractations, séquestration d’élus, volte-face, coups de théâtre… Le grand cirque de l’élection des présidents des communes a tenu toutes ses promesses. Un spectacle affligeant qui a jeté un peu plus le discrédit sur les élus locaux, la classe politique et les partis. Un discrédit qui risque de saper les fondements mêmes de la construction démocratique dans le pays et de creuser davantage le fossé entre les élus et le reste de la population.
Les marchandages et l’extrême volatilité des alliances qui ont présidé à l’élection des maires, particulièrement dans les grandes villes, ont indigné les partisans de l’option démocratique. Si l’Etat a rendu possible le déroulement d’un scrutin régulier et dans de bonnes conditions de transparence, les partis politiques, toutes tendances confondues, ont profondément déçu en reportant aux calendes grecques leur mise à niveau démocratique.

USFP/Istiqlal : trahisons réciproques
En raison de leurs calculs partisans étroits et surtout de leur incapacité à dépasser leurs rancœurs historiques et leurs divisions, l’USFP et l’Istiqlal ont transformé une victoire électorale en défaite politique. A eux deux, ces partis ont raflé près du tiers des voix exprimées (2 111 762 voix sur 7 147 062) et le tiers des sièges à pourvoir (7 263 sièges sur 22 943 sièges) !
Malgré cette remarquable performance électorale, les deux partis n’ont remporté la présidence (à l’exception de Fès pour le PI et d’Agadir pour l’USFP) d’aucune ville de plus de 500 000 habitants et la plupart des grandes agglomérations urbaines du pays leur ont échappé. Un constat s’impose : si ces partis étaient réellement démocratiques, une telle défaite aurait conduit à la démission de leurs équipes dirigeantes. Au lieu de cela, on accuse les partis rivaux. Pire, lors d’une conférence de presse tenue, mercredi 24 septembre, Khalid Alioua a même parlé de «complot» et a accusé, à mots à peine couverts, le «système». Trop facile de toujours rejeter la responsabilité de la défaite sur l’adversaire ou sur les autres.
A Casablanca, Istiqlal et USFP, avec l’appui du PPS et du PSD, se sont certes présentés en rangs unis, mais c’est bien l’exception qui confirme la règle. Partout ailleurs, la division entre les deux frères ennemis a régné en maître. Le cas le plus emblématique fut celui de Rabat où les trois partis de la Koutla (USFP, PI et PPS) totalisaient 35 sièges. Il ne leur manquait que 6 sièges pour remporter la majorité absolue (41 sièges sur les 81 que compte le Conseil de la ville). Fief électoral de l’USFP, ce parti tenait à ce que Rabat reste socialiste. Peine perdue ! Faute d’avoir négocié un accord avec l’Istiqlal, c’est Omar Bahraoui (MP) qui l’a emporté haut la main grâce à l’apport décisif des voix istiqlaliennes (11) et de celles du PJD (8).
L’USFP a ressenti la perte de Rabat comme un coup de poignard dans le dos. C’est ce qui se dégage des termes utilisés par Abdelhadi Khaïrat, l’un des chefs de file du parti dans cette ville, dans une interview accordée le 24 septembre, au quotidien Aujourd’hui le Maroc, où il parle des «trahisons et basses manœuvres du Parti de l’Istiqlal» et du «reniement de tant de principes adoptés en fanfare il y a seulement quelques mois».
Le sort subi par Mohammédia, autre bastion socialiste, a été également ressenti comme une nouvelle preuve de la «traîtrise istiqlalienne». Le 12 septembre 2003, l’USFP a raflé 14 sièges (sur 39). La présidence est revenue, dix jours plus tard, au RNI (qui n’a obtenu que 3 sièges), grâce à une coalition réunissant le PJD (9 sièges), le PI (5 sièges) et, humiliation suprême, le Congrès national ittihadi (3 sièges).
A Fès, l’USFP a essayé de rendre la monnaie de sa pièce à l’Istiqlal. Sans succès. Malgré une coalition contre-nature entre l’USFP et le PJD, les Istiqlaliens ont tenu bon et l’ont emporté via Hamid Chabat, leur rouleau compresseur électoral. Fès n’est pas un cas unique pour ce genre d’alliances. L’USFP, qui crie au loup quand l’Istiqlal s’allie avec le PJD, n’a pas hésité à faire de même à Inezgane, Tiznit, Taza et Berrechid.
Descartes n’est pas marocain !
A Marrakech, en plus des anciennes rivalités ravivées entre USFP et Istiqlal, ce dernier (arrivé en tête avec 15 sièges) a été incapable de trancher en faveur de l’un de ses trois dirigeants locaux : M’hamed El Khalifa, Abdellatif Abdouh et Ahmed Khalil Boucetta. Aucun des trois ne voulait se désister. Et pourtant, en vertu d’un accord conclu entre les ténors istiqlaliens de cette ville à la veille des législatives du 27 septembre 2002, M. Abdouh devait conduire la candidature du parti pour le poste de maire de Marrakech.
Un accord qui n’a pas été respecté. Résultat : l’Istiqlal s’est exclu lui-même de la course. Quant à l’USFP (11 sièges), il n’a pas présenté de candidat, parce qu’il n’avait pas réussi à constituer une majorité (41 sièges). Au bout du compte, c’est le chef de file de l’UC, Omar Jazouli, qui n’avait remporté que 5 sièges, qui se retrouve maire de Marrakech en réussissant le tour de force de réunir 41 voix ! Celles des élus d’une flopée de petits partis.
Mais cette rivalité entre USFP et Istiqlal cache une cassure plus grande encore. Celle de la majorité gouvernementale. Les choses se compliquent en effet davantage lorsqu’on élargit ce tour d’horizon au PPS et aux autres composantes de cette coalition (RNI, MP, MNP, UD). Ainsi, si le PPS a globalement respecté son alliance avec l’USFP, ce dernier ne lui a pas toujours renvoyé l’ascenseur. A titre d’exemple, à Tanger, le parti de Ismaïl Alaoui a eu quatre élus, dont deux personnalités connues : Abdelali Abdelmoula, PDG de la société de navigation Comarit et Dahmane Derham, qui fut président du conseil communal de Tanger de 1983 à 1992, avant d’en être délogé par la puissante famille Arbaïn.
Le PPS a porté son choix sur M. Abdelmoula. Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire à M. Derham. Il quitte alors le PPS pour se présenter au poste de maire de Tanger, sous l’étiquette SAP (sans appartenance politique). Il a été élu grâce aux voix du PI, du MP, du MNP et de… l’USFP.
Quant au RNI, si, à Agadir, il a soutenu l’USFP en la personne de Tariq Kabbage, à Oujda, il a soutenu le PJD contre le PPS. A Berrechid, l’USFP et l’Istiqlal n’ont pas hésité à joindre leurs voix à celles du PJD pour barrer la route à Abdellah Kadiri (secrétaire général du PND), qui avait raflé 13 sièges (sur 31) et qui caressait le rêve de diriger sa ville natale. C’est finalement un candidat istiqlalien qui sera élu par 16 voix contre 15 pour M. Kadiri. Un véritable carrousel de l’absurde.
Si, entre l’USFP et l’Istiqlal, il faut parler de mésalliance, évoquer un hypothétique comportement unitaire des partis de la majorité gouvernementale (USFP, PI, PPS, PSD, RNI, MP, MNP et UD) serait faire preuve de naïveté ou de cécité politique. La règle qui s’applique dans ce marais est celle du chacun pour soi et Dieu pour tous.
Essayer de trouver une logique aux alliances qui se sont nouées dans les 1 497 conseils communaux du pays dans le cadre de la dichotomie majorité-opposition serait chercher la quadrature du cercle. Jamais, en effet, le titre d’un livre récent sur le Maroc, «Descartes n’est pas marocain», n’a été aussi approprié pour décrire cette situation.

Une régression démocratique ?
En fait, l’élection des présidences des conseils de ville et des conseils communaux a démontré de manière éclatante le caractère artificiel de cette majorité, plus imposée par l’éparpillement des forces politiques que par les affinités doctrinales ou idéologiques. Une majorité qui a éclaté telle une bulle de savon, à Casablanca, et ailleurs, laissant apparaître le positionnement politique naturel et réel de ses différentes composantes.
Khalid Alioua, candidat malheureux pour le prestigieux poste de maire de la métropole économique, a qualifié, dans une conférence de presse tenue mercredi 24 septembre, le coup de théâtre qui a donné lieu à l’élection de Mohamed Sajid, de «régression démocratique». Il est allé plus loin encore en estimant que «les démiurges de cette élection ne peuvent être qualifiés de démocrates». Que s’est-il donc passé ?
A en croire M. Alioua, en vertu d’un accord paraphé, lundi 22 septembre, par les partis de la majorité gouvernementale, la candidature de Karim Ghellab (PI) pour le poste de maire de Casablanca était formellement appuyée par les huit formations politiques de cette majorité. Le Premier ministre, Driss Jettou, et les secrétaires généraux de ces partis ont été informés de cet accord et lui ont donné leur bénédiction.
Le mardi 23 septembre, à l’issue du vote des 131 membres du Conseil de la ville de Casablanca, l’accord n’était plus qu’un lointain souvenir. A l’exception des élus de l’USFP, du PI, du PPS et du PSD, tous les autres ont voté comme un seul homme pour Mohamed Sajid (UC), qui l’a emporté par 86 voix, contre seulement 45 pour M. Ghellab. Les élus du RNI, du pôle haraki, du PND et tous les autres ont voté pour leurs amis de l’UC. Avec l’appui unanime du PJD.

Nivellement par le bas des partis de gauche
L’élection du maire de Casablanca et des autres grandes villes du pays permet de tirer deux enseignements incontestables.
Premier enseignement : l’élection du maire de Casablanca a eu un effet de loupe sur un fait politique de plus en plus évident, celui de l’absence d’une majorité gouvernementale digne de ce nom et d’un chef effectif de cette majorité. C’est à peine si on peut parler d’une addition de partis, contraints de coexister dans un même gouvernement. Les élections communales sonneront-elles alors le glas du gouvernement Jettou ? Mettront-elles fin à une coalition hétéroclite et artificielle ? Y a-t-il une majorité homogène de rechange ? Des questions qui se poseront avec insistance dans les jours et semaines qui viennent.
Deuxième enseignement : le scrutin du 12 septembre a démontré que les partis politiques, toutes tendances confondues, vivent une crise profonde. Au lieu d’une salutaire mise à niveau démocratique, l’on assiste au contraire à un nivellement par le bas des partis de gauche comme de droite, à des degrés divers… Certaines pratiques condamnables chez les partis dits «administratifs» se sont propagées comme une traînée de poudre chez les partis dits «démocratiques». Sans partager complètement ce jugement sans appel de Abdelhadi Khaïrat (voir plus haut) : «La politique est désormais investie par des énergumènes richissimes. Des dealers à grande échelle, des mafieux qui s’imposent à coups de millions et considèrent que tout est à vendre», il est légitime de s’interroger sur la politique d’ouverture des partis de gauche et de l’Istiqlal.
Au lieu de rechercher un certain équilibre entre les militants et une ouverture sur leur environnement dans la constitution des têtes de listes électorales, les partis politiques excluent de plus en plus les premiers et jettent leur dévolu sur des hommes d’affaires ou des personnalités fortunées. Comme il s’agit de personnes ayant peu ou pas d’affinités idéologiques avec ces partis, ces derniers n’ont qu’une emprise très théorique sur eux et il est difficile dans ces conditions de parler de discipline partisane. Ces partis se transforment alors en boutiques de domiciliation partisane.
Par ailleurs, comme il devient difficile de constituer des listes SAP, ces partis offrent une fausse coloration partisane à de vrais SAP. Lesquels, à la moindre occasion et au gré de leurs intérêts, s’en débarrassent allègrement et en prennent une autre. Le PSD (cas Nasreddine Doublali, ex-MDS, ex-RNI, fraîchement PSD) et le FFD sont devenus maîtres en la matière. Mais le PPS n’est pas exempt d’une telle dérive. Le cas de ses élus de Berkane qui se sont alliés au PJD pour co-diriger le conseil communal est là pour le rappeler. La direction du PPS a exclu tout ce beau monde. Aura-t-elle toujours le courage de le faire ?
D’autres partis en sont-ils capables ?
Le spectacle qu’ont donné les politiques en dissuadera plus d’un de toute participation politique à l’avenir. Ce qui nous promet des taux de participation encore plus dérisoires lors des prochains scrutins. L’avenir de la construction démocratique dans le pays est en question. La classe politique assume une grave responsabilité dans ce qui arrive et, à défaut d’une réelle mise à niveau, elle risque d’être le fossoyeur de l’idée démocratique pour des décennies. L’heure du sursaut a sonné !