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Pouvoirs

Il faut sauver le soldat Ismaïl Alaoui

Un amendement de dernière minute donne plus de chance au PPS d’accéder au Parlement lors des législatives 2007.
Les petits partis exclus expriment leur colère : 30 sit-in de protestations
prévus à  travers le Maroc.
La barrière des
3% à  la participation aux élections a été conservée
malgré les risques d’inconstitutionnalité.

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Coup de théâtre au Parlement. Mercredi 22 novem-bre, alors que la Commission de l’intérieur de la Chambre des représentants clôturait le dépôt des amendements concernant le projet de loi électorale, l’un de ces derniers devait renverser la donne. Deux jours plus tôt, les partis de la majorité proposaient de ramener de 7 à  6% le seuil du nombre de voix à  obtenir au niveau local (circonscription) pour intégrer le Parlement, et à  6 % le nombre de voix à  obtenir au niveau national pour faire entrer des candidates via la liste nationale. Dans le même temps, les conditions draconiennes imposées à  la participation des formations politiques qui ont recueilli moins de 3% des voix aux législatives de 2002 ou créées après cette date restent inchangées malgré les accusations d’inconstitutionnalité, à  l’exception d’un abaissement du nombre de signatures d’élus requises de 20 à  10 par candidat.

A la sortie de la réunion du bureau politique du Mouvement populaire, le 21 novembre dernier, Mohand Laenser confirmait le soutien de son parti à  la baisse du seuil d’entrée au Parlement, la différence étant minime pour le MP qui, à  l’instar du RNI, a dû renoncer au mode de scrutin uninominal en solidarité avec la majorité. Désormais, l’amendement de la majorité a toutes les chances d’être voté, évoquant à  s’y méprendre une opération de sauvetage exclusivement destinée à  repêcher le PPS, seul parti de la majorité menacé par la future loi.

La Gauche démocratique pourrait présenter des listes communes en 2007
Pendant ce temps, la résistance se poursuit dans les petites formations. Après un sit-in de la Coalition nationale contre les dispositions électorales d’exclusion le 17 novembre dernier qui, selon ses organisateurs, aura réuni quelque 2 000 personnes devant le Parlement, le Rassemblement pour la Gauche démocratique (RGD) se prépare à  faire une démonstration de force au niveau national : 30 sit-in simultanés sont prévus devant les préfectures du pays le 29 novembre à  18 h30. D’autres mesures ne devraient pas tarder à  suivre, parmi lesquelles l’idée d’une manifestation nationale, voire d’une grève de la faim des chefs des partis visés, commence à  faire son chemin.

Mohamed Sassi, numéro 2 du PSU, tient toutefois à  clarifier les choses, affirmant, contrairement à  ses propos, confiés au Journal Hebdo du samedi 15 novembre : non, il n’y aura pas d’appel à  l’arbitrage royal, et le boycott des élections demeure une solution extrême même s’il n’est pas exclu. En revanche, «le PSU a demandé officiellement aux partis qui constituent le RGD de présenter une liste commune de l’opposition démocratique de gauche», explique-t-il, en indiquant que les partis concernés (PSU, PADS et Congrès national ittihadi) ont déjà  donné un accord de principe en ce sens – Annahj Addimocrati ayant décidé pour sa part de boycotter les élections. Le parti, que l’on présente volontiers comme une des cibles du projet de loi, se positionne-t-il déjà  au cas o๠les petites formations n’auraient pas gain de cause ? Il faut reconnaà®tre que l’initiative reste avant tout symbolique, surtout quand on additionne les résultats obtenus par les concernés en 2002. Si l’idée venait à  fonctionner, le PSU, lui-même issu de la fusion de cinq composantes de gauche, s’érigerait en champion de la lutte contre la balkanisation en présentant des listes avec trois autres formations, mais risquerait toujours d’être victime de la loi électorale si cette dernière était votée telle que voulue par la majorité.

Protestations légitimes et publicité gratuite
Remis sur le tapis au début du mois, le projet de loi électorale avait été débattu jusqu’au vendredi 17 novembre. C’est toutefois seulement en début de semaine que la majorité marquera un début de fléchissement au niveau de sa position. Pour l’anecdote, l’on retiendra qu’une commission technique réunie au sein de la Koutla avait prôné la suppression des signatures d’élus réclamées aux petites formations et abaissé le seuil d’entrée au Parlement à  5%, un avis qui ne sera pas avalisé par la direction de la Koutla qui devait prendre en compte l’avis du MP et du RNI.

Jusque-là , la seule fausse note venait du PPS qui avait commencé à  ruer dans les brancards face à  un projet qui le menaçait directement. Interrogé par La Vie éco à  ce sujet, lundi 20 novembre, le secrétaire général de l’ancien parti communiste, Ismaà¯l Alaoui, avait souligné que «faire partie de la majorité ne signifie pas être totalement inféodé à  son point de vue», avant d’ajouter, à  propos du seuil d’entrée au Parlement :«Le problème du seuil n’est pas un problème qui concerne le PPS mais l’ensemble de notre expérience démocratique et nous ne voudrions pas qu’elle soit entachée par un problème qui, somme toute, n’est ni constitutionnel, ni démocratique». Concernant le seuil des 3% nécessaires pour participer aux élections, ce dernier avait annoncé la volonté de son parti d’aller «jusqu’au bout de [ses] forces» pour s’y opposer, soulignant, d’une part, que la balkanisation ne peut être contrecarrée par des mesures excluant un certain nombre de partis légaux, et insistant d’autre part sur l’image de marque du pays, mettant également en exergue l’impact à  ce niveau d’un boycott du scrutin par une dizaine de partis. Au final, une abstention voire un vote contre la loi n’étaient pas exclus de la part du PPS. Ce dernier gardera-t-il cette attitude critique à  présent que son sauvetage est en cours ? Si telle est toujours sa volonté, la nouvelle donne devrait avoir sensiblement réduit sa marge de manÅ“uvre.

Tout cela ne doit pas masquer le fait que d’autres propositions d’amendement devraient être examinées. En effet, profitant de l’une des rares occasions o๠les petites formations pourront se défendre de l’intérieur du Parlement, ces dernières, dont 3 députés PSU, comptent prôner l’abaissement du seuil d’entrée au Parlement considéré comme trop élevé et la suppression des conditions imposées aux partis qui n’ont pas franchi la barre des 3% aux législatives de 2002.

Quant au PJD, bien qu’il ne soit ni avec les uns ni avec les autres, il ne ratera pas une aussi belle occasion de se mettre sous les feux des projecteurs : «C’est nous qui avons demandé le seuil à  7%, mais on l’a cassé en le laissant au niveau national pour la liste nationale et en le ramenant au niveau local [pour l’entrée au Parlement], on l’a déformé (sic !), donc nous revendiquons un seuil d’entrée à  7% au niveau national. Nous ne permettons pas au ministère de l’intérieur de le ramener au niveau local», explique Lahcen Daoudi. Toutefois, si son parti revendique la paternité du seuil des 7%, il annonce que le PJD est prêt à  voter contre la barrière des 3% à  la participation aux élections : «Nous ne défendons personne, nous votons pour des principes», enchaà®ne-t-il. «La démocratie est un tout. Nous avons deux objectifs : lutter contre la corruption et contre la balkanisation. Qu’on fasse le meilleur choix pour lutter contre ces fléaux, c’est tout. Nous ne disons pas qu’un vote est meilleur qu’un autre, nous choisissons le vote en fonction des objectifs», ajoute-t-il.

Le seuil de 3%, talon d’Achille de la majorité ?
Malgré toutes ces critiques, la barrière des 3% à  la participation aux élections a été conservée par la majorité, officiellement «pour lutter contre la balkanisation et le commerce des accréditations». Après tout, explique-t-on, elle a un précédent : le seuil d’entrée au Parlement de 3% qui avait été établi à  l’occasion des législatives de 2002. «Lors des dernières élections, il y avait un seuil de 3% et celui qui ne l’obtenait pas sortait. Seulement, ce dernier avait été fixé après le résultat des urnes», explique Abdelhadi Khairat, membre du bureau politique de l’USFP, qui souligne que ce précédent pourrait constituer un argument en faveur des 3%, si les opposants au texte venaient à  saisir le Conseil constitutionnel.

L’inconstitutionnalité est évidente pour les juristes
Les formations qui ont réalisé une mauvaise performance en 2002 se retrouveraient contraintes de re-justifier le fait de se présenter, à  l’instar des candidats sans appartenance politique. Après tout, signale-t-on à  l’Istiqlal, en Finlande, par exemple, les partis obtenant moins de 5% aux élections sont dissous et doivent se reconstituer, en présentant un nouveau dossier, explique-t-on à  l’Istiqlal. Mohamed Sassi balaie ces arguments d’un revers de main : «C’est anticonstitutionnel, c’est antidémocratique, car cela impose à  un parti donné de participer ou pas aux élections sur la base des élections précédentes. Il est vrai qu’il existe des seuils dans d’autres pays, mais ils portent sur la représentativité des partis et pas leur participation aux élections».

Qu’en pensent les juristes ? «C’est anticonstitutionnel car cela heurte frontalement le principe d’égalité qui est un principe juridique, le principe du droit, l’égalité des individus, l’égalité des groupes. Mais cela risque aussi d’aller contre une jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à  la validation de la candidature des sans-appartenance politique, déjà  en 2002», confirme Najib Ba Mohamed, professeur de droit constitutionnel à  la faculté de droit de Fès, ajoutant qu’«on avait alors estimé que la loi ne pouvait astreindre les citoyens à  choisir un parti politique pour pouvoir se présenter aux élections, donc on avait pratiquement annulé cette disposition de la loi organique. Déjà , à  ce niveau, on retrouve une extension du principe de la liberté et de l’égalité des citoyens devant les charges, les concours, et ici le concours est un concours démocratique».

Pour Aziz Nouaydi, professeur de droit, avocat au barreau de Rabat, la barrière des 3% risque de se heurter à  l’article 3 de la Constitution qui stipule que «les partis politiques, les organisations syndicales, les collectivités locales et les Chambres professionnelles concourent à  l’organisation et à  la représentation des citoyens. Il ne peut y avoir de parti unique». En effet, selon lui, il est sous-entendu que ces partis politiques concourent à  égalité. «Si l’on considère que les partis qui ont été créés après les élections de 2002 seront exclus de la compétition du seul fait qu’ils ont été créés, il y a là  une discrimination, une violation des principes fondamentaux de l’égalité des chances dans la compétition», explique-t-il. Autre source de problèmes selon lui, «cette loi serait considérée comme rétroactive car elle applique à  des nouveaux partis une réalité qui remonte à  2002, à  des prolongements dans le passé. Du coup, si vous voulez bénéficier de cette loi, vous devez avoir existé et acquis des voix auparavant, avant même que la loi n’existe». La loi risque de trébucher sur le cas des partis nouvellement créés. Concernant les partis qui ont obtenu moins de 3% en 2002, c’est le principe de l’accès au champ politique qui entre en action, explique M. Nouaydi. En effet, selon lui, si les petites formations avaient accepté l’idée d’un seuil d’entrée au Parlement de 3% en 2002, «elles ne savaient pas qu’à  l’avenir on leur demanderait quelque chose comme ça».

Tous ces arguments signifient-ils que, si la loi venait à  passer, les petites formations pourraient la casser via le Conseil constitutionnel ? En attendant, plusieurs voix au sein des partis de la majorité les y invitent tout en laissant entendre que le le ministère de l’intérieur ne serait pas allé jusqu’à  proposer un tel projet de loi sans consulter le conseil.
La majorité semble consciente qu’on ne peut pas faire d’omelette sans casser des Å“ufs. La fin du feuilleton serait-elle connue d’avance ?