Pouvoirs
Gdeim Izik : le procès reprend sur fond politique, les victimes recouvrent leur droit de s’exprimer
Si l’objectif du procès est d’ordre exclusivement pénal, on ne peut nier que son retentissement sera bien plus large. Il s’agit aussi de favoriser la reconnaissance de la légitimité du Maroc sur les provinces du Sud.

Le procès des accusés dans l’affaire Gdeim Izik reprend ce lundi 23 janvier à la Chambre criminelle près l’annexe de la Cour d’appel de Salé. Le procès s’est ouvert le 26 décembre après un arrêt de la Cour de cassation, annulant un premier jugement du tribunal militaire de Rabat au terme duquel les mis en cause avaient été condamnés, le 17 février 2013, à des peines allant de deux ans de prison à la perpétuité. Ils avaient été poursuivis pour «constitution de bande criminelle», «violence à l’encontre des forces de l’ordre entraînant la mort avec préméditation et complicité». Aujourd’hui, après le jugement en cassation, la procédure, de nouveau, devant une juridiction de droit commun des accusés dans cette affaire, qui s’est ouverte le 26 décembre dernier, permet, de l’avis des experts juridiques, de garantir un procès équitable, de faire connaître la vérité et condamner les coupables. «Il n’y a aucun doute : ce procès va permettre de connaître la vérité et de la faire connaître à tous» a-t-on assuré.
Ainsi, «le renvoi devant la juridiction civile qu’est la Cour d’appel de Rabat va permettre au procès d’être dépouillé de l’ambiguïté qui est toujours attachée à la justice militaire, vue comme une justice d’exception. Il va pouvoir se développer dans la lumière de l’expression de ce qu’il est convenu de qualifier le contradictoire, c’est-à-dire du libre jeu des droits de chacune des parties», affirme Hubert Seillan, universitaire, spécialiste du droit du danger et avocat au Barreau de Paris. Il s’agit d’un procès pénal, affirme cet expert, car «il y a eu des actes de violences intentionnelles ayant causé morts et blessures. Ce procès pénal va évidemment viser l’établissement des responsabilités de chacun des prévenus par rapport aux faits. Il doit le faire en favorisant le juste concours des accusations du ministère public et des témoignages des victimes avec les arguments factuels de la défense». Cela dit, il ne faut pas non plus être «trop angéliques», prévient-il. Ainsi, «ce procès pénal va aussi permettre aux prévenus d’exposer des thèses d’un autre ordre en relation avec leur idéologie. C’est le risque, autant que la force de sa démocratie, que le Maroc assume en connaissance de cause par l’indépendance de sa justice». En ce sens explique ce juriste : «Si l’objectif du procès est d’ordre exclusivement pénal, on ne peut nier que son retentissement sera bien plus large. De sorte que son but ne peut être vu dans cette seule dimension. Ne nous trompons pas, il s’agit aussi de favoriser la reconnaissance de la légitimité du Maroc sur les provinces du Sud».
Ce procès devrait, ainsi, permettre à la communauté internationale de prendre la mesure de la pleine légitimité du Maroc sur cette partie de son territoire. «Plus ce procès sera vu comme exemplaire au plan du juste équilibre des droits des parties, plus la légitimité du Maroc sur son vieux territoire sera claire pour tous ceux de bonne foi qui ne disposent pas des données historiques nécessaires», affirme le juriste. Car, note-t-il, celles-ci «indiquent simplement que le débat sur les Provinces du Sud, qualifiées improprement par certains de Sahara occidental, n’existe que par le fait de la colonisation espagnole sur cette partie du Maroc. Sans cette division du territoire, cet enjeu politique régional n’aurait pu être revendiqué par quiconque». Ce procès doit donc aussi permettre de faire réfléchir tous ceux qui s’interrogent sur la signification de ce conflit politique. De même que c’est «une opportunité exceptionnelle qui est ainsi donnée aux Marocains, par cette décision de la Cour de cassation, de démontrer à l’Afrique, à l’Europe et au monde, leur engagement démocratique pour les droits de l’homme».
Mais au-delà de sa portée politique, c’est avant tout un procès pénal qui a donc une portée humaine. Et dans toutes les démocraties du monde, les victimes d’infraction pénales se voient accorder un statut juridique. Statut en vertu duquel ils ont le droit de «bénéficier à la fois d’une indemnisation fondée sur la solidarité nationale et du droit d’intervenir dans le procès en responsabilité pénale engagé contre les prévenus». Or, relève cet expert, «exclues du premier procès devant le tribunal militaire, les victimes et leurs familles vont enfin pouvoir faire valoir leurs témoignages concrets sur les faits et la réalité de leurs nombreux préjudices et de leurs droits». Des droits qui «doivent leur permettre d’être mieux reconnues par la communauté nationale, dans leurs souffrances, dans leurs préjudices et dans une juste indemnisation».
Pour rappel, en 2010, lors d’une opération de police au camp de Gdeim Izik, situé à 15 km de Laâyoune, des individus se sont insurgés violemment. On a dénombré 11 morts et 70 blessés chez les forces de l’ordre. En revanche, aucune victime n’a été identifiée chez les manifestants. 25 personnes ont été traduites devant la justice militaire, compétente à l’époque pour les assassinats de membres des forces de l’ordre. Les prévenus ont été condamnés en février 2013 à des peines allant de 2 ans de prison à la perpétuité.
Puis dans le contexte de la nouvelle Constitution de 2011, le Maroc a entrepris une réforme de la justice militaire. Une loi a été promulguée interdisant, entre autre, la comparution des civiles devant un tribunal militaire. Un recours a donc été porté devant la Cour de cassation. Dans un arrêt du 27 juillet 2016, celle-ci a cassé et annulé la décision et renvoyé l’affaire devant la Chambre criminelle près de la Cour d’appel de Salé. Un nouveau procès va s’ouvrir le 23 janvier 2017. La haute Cour a reproché au tribunal militaire une insuffisance de motifs. «Ce fondement exprime un souci auxquels seront sensibles tous les juristes épris de liberté. Cet arrêt aura dès lors une très forte signification politique», affirme Hubert Seillan. Il apparaît donc très importants, estime-t-il, que les faits «puissent ainsi faire l’objet d’une nouvelle et entière analyse par une juridiction dite de droit commun, permettant à l’ensemble des parties d’exprimer leurs droits selon les principes constitutionnels de liberté en vigueur dans le Royaume».
