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Pouvoirs

Gauche, droite… la fin des idéologies

En dehors de la classification officielle, les prises de position des partis politiques, à quelques exceptions près,
ne reflètent plus
le clivage
gauche-droite.
Pour la majorité des citoyens, aujourd’hui, la différenciation est difficile à faire.
Une «troisième voie» fondée sur le pragmatisme social et économique est en train d’émerger.

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Au milieu des années quatre-vingt, un journaliste français qui venait de débarquer au Maroc s’étonnait de voir dans le journal L’Opinion des formules «gauchistes» telles «les masses populaires» ou «le prolétariat». Selon la grille de lecture en vogue à l’époque, L’opinion était le porte-voix d’un parti de la droite nationaliste et conservatrice. L’Istiqlal, que ses dirigeants présentent comme un parti de centre-droit, n’arrivait-il pas à se départir d’un référentiel socialo-marxiste malgré la scission de son aile «gauchiste», en 1959 ? Cette anecdote révèle, à elle seule, la difficulté qu’ont eue les partis marocains, à partir des années quatre-vingt, à s’identifier clairement comme des partis de droite ou de gauche. «La confusion est devenue encore plus grande après la constitution du premier gouvernement Youssoufi, qui était un gouvernement hétéroclite regroupant des partis qui se disaient aussi bien de gauche que de droite», remarque Mohamed M’hamdi Alaoui, dirigeant de l’Union constitutionnelle.

Une séparation implicite dans l’esprit des Marocains
A son tour, Driss Jettou a renforcé cette tendance, puisque, au sein de son gouvernement, des représentants de la droite conservatrice et rurale (MP) côtoient des ex-communistes (PPS). Question inévitable, le clivage gauche/droite est-il à ranger au musée de l’histoire ? Serait-il devenu inopérant dans la structuration des rapports de force politiques dans notre pays ?
Mustapha Bouaziz, mem-bre de la Gauche socialiste unifiée (GSU), balaie ces interrogations d’un revers de la main. Selon lui, «le champ politique marocain a ses clivages, qui sont désignés quelquefois par les termes de gauche et de droite, et ils sont intériorisés comme tels, même si ce clivage ne traduit pas une réalité mais un programme à réaliser». Une position partagée par Ismaïl Alaoui, secrétaire général du PPS, pour qui l’articulation du champ politique marocain autour d’une gauche et d’une droite est une évidence parce que, au Maroc, il y a encore de grandes disparités sociales. «La droite, c’est toutes les forces qui veulent la pérennité de ce statu quo social et politique. La gauche, c’est tous ceux qui veulent que l’égalité prédomine d’une manière de plus en plus étendue. Quoi qu’on en dise et quoi qu’on fasse, il y aura toujours des forces de droite et des forces de gauche, des forces de mouvement et des forces de conservation», explique-t-il. A priori, la distinction semble claire.
Mais que représente réellement cette différenciation pour l’électeur moyen ? «Si vous prenez un citoyen dans la rue et que vous l’interrogez sur son appartenance à la droite conservatrice ou à la gauche socialiste, eh bien, pour 99% des Marocains, ce sont là des concepts abstraits. Par contre, si vous leur posez des questions plus générales et parfois banales, les citoyens vont exprimer des positions idéologiques.» A en croire Ali Belhaj, secrétaire général d’Alliance des libertés (ADL) et ex-membre du PPS, la séparation idéologique existe bel et bien dans la société marocaine, même si elle demeure implicite. D’ailleurs, il estime qu’il y a un fort courant de la population qui est ouvert aux idées libérales sans savoir ce que c’est que le libéralisme. Un peu court quand même, vu que, pendant des années, les débats entre une gauche parfois radicale et une droite souvent «administrative» trouvaient un écho au sein de la population.

Le PJD, ni à droite ni à gauche !
Cependant, l’axe des clivages varie en fonction des problèmes de l’heure. Le positionnement des partis politiques marocains s’opérait la plupart du temps en fonction de leur degré d’autonomie par rapport à la monarchie et donc du pouvoir, et non d’après des constructions idéologiques élaborées. Cela aboutissait fatalement à des situations parfois burlesques. Ainsi, Maâti Bouabid et Abdellatif Semlali, fondateurs du premier parti ouvertement libéral, l’Union constitutionnelle (UC), venaient de l’Union nationale des forces populaire (UNFP) où le socialisme scientifique était de rigueur ! Cette même UNFP mettait assez souvent en avant un alem de la Qaraouiyine, cheikh Belarbi Alaoui, dont les convictions étaient aux antipodes de celles d’un Mehdi Benbarka ! Il en est de même de l’UC, chantre du libéralisme (par opposition au conservatisme), qui a marché contre le Plan d’intégration de la femme, en 2000 !
Les positions des partis ne reflétaient donc pas l’adhésion à des idées ou à des idéologies défendant clairement un projet de société… Pas tout à fait, souligne M. M’hamdi Alaoui. Selon lui, «les extrémistes de gauche (gauche radicale) et de droite (islamistes) perpétuent encore la distinction gauche/droite.»
Mustapha Khalfi, cadre du PJD, refuse que l’islamisme politique, du moins celui du PJD, soit de droite ou de gauche. «Nous considérons que le PJD ne peut être rangé ni à droite ni à gauche et ce pour diverses raisons. Nous représentons une base hétéroclite allant des classes moyennes pieuses jusqu’aux classes marginalisées en passant par une certaine bourgeoisie citadine.» Les islamistes constitueraient alors cette fameuse «troisième voie» dont le centre, décrété par Hassan II, n’a pas pu ou su s’accaparer ? Pour Mustapha Moâtassim, porte-parole d’Al Badil Al Hadari, un groupuscule islamiste, le PJD est un parti de centre-droit, tandis qu’«à Al Badil Al Hadari, nous sommes plutôt proche de la gauche sinon de la social-démocratie. Nous sommes pour la liberté d’initiative et pour l’économie libérale même si nous estimons que l’Etat doit contrôler les secteurs vitaux de l’économie et les secteurs générateurs de bénéfices. Nous refusons l’hégémonie d’une économie libérale sauvage qui conduit à un dysfonctionnement social.»
Alors, exit la «troisième voie»? Non, répondent certains observateurs pour qui cette troisième voie est la bonne gouvernance qui n’est ni de droite ni de gauche, mais qui est plutôt socialement et économiquement réaliste et politiquement pragmatique. Peut-elle réconcilier les citoyens avec le monde politique et les faire sortir de l’indifférence ? Peut-elle effacer cette idée répandue selon laquelle la gauche et la droite, c’est du pareil au même ? Une question à laquelle seuls les partis politiques pourraient peut-être répondre.

Maâti Bouabid et Abdellatif Semlali, fondateurs du premier parti ouvertement libéral, l’Union constitutionnelle, venaient de l’UNFP où le socialisme scientifique était de rigueur ! Cette même UNFP mettait en avant un alem de la Qaraouiyine, cheikh Belarbi Alaoui, dont les convictions étaient aux antipodes de celles d’un Mehdi Ben Barka !