Pouvoirs
Faut-il supprimer la Chambre des conseillers ?
Les acteurs politiques sont unanimes à reconnaître qu’elle fait doublon avec la première Chambre.
Son maintien conditionné à un changement de mission : représenter
les régions. Première mesure préconisée: supprimer
son pouvoir de faire tomber le gouvernement.

Lundi 12 décembre 2005. Le ministre de l’Equipement et du Transport, Karim Ghellab, accompagné d’une petite armée de 50 cadres, se prépare à affronter la Commission de l’équipement, de la planification et du développement régional de la Chambre des conseillers. Surprise ! la salle est déserte. Seuls deux conseillers sont présents, il faudra attendre quatre heures pour que la réunion se tienne. Cela n’a rien d’exceptionnel et, relayée par la presse, l’anecdote n’aura provoqué qu’une indignation passagère. Quant à l’emploi du temps du ministre, il continuera d’inclure des présentations aux deux Chambres du Parlement, au grand dam des détracteurs de la Chambre des conseillers, qui considèrent celle-ci comme un doublon.
Aujourd’hui, la deuxième Chambre, créée à la suite du discours royal du 20 août 1996, approche de son dixième anniversaire. Accomplit-elle sa mission comme il se doit ? « Pour les démocraties qui ont atteint un certain niveau, il y a deux Chambres, mais il n’y a pas deux Parlements », fulmine Saà¯d Ameskane, chef du groupe parlementaire du Mouvement populaire, qui proteste contre ce qu’il considère comme l’attribution d’une même mission aux deux Chambres. «Mêmes questions orales, mêmes commissions, etc., donc le même travail effectué deux fois, c’est une perte de temps et pour les ministres et pour le gouvernement», ajoute-t-il.
Il n’est pas le seul à considérer que la deuxième Chambre devrait jouer le rôle plus discret de chambre des sages qui lui est dévolu sous d’autres cieux. Pour l’instant, la concurrence livrée par les 275 conseillers aux 325 représentants fait que l’institution est accusée de chercher à prouver son importance quitte à retarder inutilement les procédures. «Par exemple, un projet de loi est voté à l’unanimité à la Chambre des représentants, la Chambre des conseillers fait le contraire […]. [les conseillers] tiennent à montrer que la deuxième Chambre n’est pas un simple écho de la première en proposant leurs propres amendements, on se retrouve donc face à une concurrence inutile», explique Abdelhadi Khairat, membre du bureau politique de l’USFP.
Le gouvernement doit s’assurer une majorité dans chaque chambre s’il veut avoir les mains libres
Les conseillers ne sont pas non plus en odeur de sainteté du fait qu’ils ont le pouvoir de renverser le gouvernement alors qu’ils sont issus du suffrage indirect. D’autant plus qu’on reproche à la deuxième chambre sa composition même. En effet, elle est non seulement constituée de représentants des collectivités locales (3/5 ), à l’instar des Sénats qu’on peut retrouver à l’étranger, mais aussi de syndicalistes et de représentants des chambres des métiers (2/5), pourtant déjà présents au Conseil économique et social. «Il faut absolument qu’on lui enlève le pouvoir de faire tomber le gouvernement, sinon, il faudrait que la deuxième Chambre soit constituée autrement, à l’image des partis en première Chambre. Pourquoi ? Parce que pour le moment elle comprend les syndicats […]. Faut-il alors inclure les syndicats et les chambres des métiers dans le gouvernement?», s’interroge le député PJD Lahcen Daoudi, qui souligne que la configuration actuelle du Parlement oblige le gouvernement à s’assurer une majorité dans les deux chambres pour avoir les mains libres. M. Daoudi ne dira pas que si le PJD venait à être élu, il devrait composer avec une deuxième Chambre o๠les mandats de neuf ans et les renouvellements au tiers tous les trois ans, empêchent la constitution d’une majorité proche du parti sur le court terme…
A-t-elle été un contre-pouvoir instauré à des fins politiques ?
Cette Chambre tellement critiquée aujourd’hui figurait déjà dans la constitution de 1962, et démarrera dès l’année suivante, avant de disparaà®tre avec l’instauration de l’Etat d’exception en 1965. Elle sera remplacée en 1970 par un système de Chambre unique o๠la proportion d’élus au suffrage direct et indirect variera au cours du temps pour atteindre 2/3 pour les uns et 1/3 pour les autres en 1972, et restera figé pendant 24 ans. «Ce qui était, dans la conception de la Koutla démocratique, une anomalie institutionnelle et démocratique. Elle avait donc réclamé avec insistance que l’intégralité des membres de la première Chambre soit élue au suffrage direct», explique Khalid Naciri, membre du bureau politique du Parti du progrès et du socialisme. En 1996, le roi Hassan II annoncera que, désormais, toute la première Chambre sera élue au suffrage direct, quant aux représentants des collectivités locales, des chambres professionnelles et des syndicats, ils auront leur propre Chambre (composée aux 3/5 des premiers et 2/5 des seconds).
«Le Roi Hassan II tenait à ce que ce tiers de l’ancienne chambre des représentants puisse avoir droit de cité. Et c’était pour lui une façon, éventuellement, de corriger les excès qui pouvaient apparaà®tre», explique M. Naciri. Et d’ajouter : «Il était normal que le Roi Hassan II, qui n’avait pas travaillé avec la Koutla démocratique pendant quelques décennies, puisse avoir quelques réticences à donner à la première Chambre et au gouvernement qui en serait issu, de la Koutla en particulier, toutes les clés du fonctionnement institutionnalisé. Si je puis utiliser cette image, il a donné une clé à la Koutla, qui était la première Chambre, mais en a gardé une autre, représentée par la deuxième Chambre. C’est ce système de double clé qui, aujourd’hui, est obsolète».
Que faire donc aujourd’hui de la deuxième Chambre ? Lahcen Daoudi suggère une alternative : il faudrait au moins qu’elle n’aie plus le pouvoir de faire tomber le gouvernement, auquel cas, elle «peut continuer à vivoter même au-delà de 2007», concède-t-il.
Autre possibilité. «Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, nous assistons à une tendance à la dualité des Chambres au sein des Parlements », explique Mohamed Saâd El Alami, ministre des Relations avec le Parlement. Pour lui, ce n’est pas l’existence de la deuxième Chambre qui pose problème mais plutôt sa mission et son pouvoir sur le gouvernement, sachant que les Chambres des sages dans le monde ont plutôt une vocation de représentation territoriale. Faudra-t-il donc mettre fin à l’exception marocaine et réduire son pouvoir, comme le propose Lahsen Daoudi ?
Une spécialisation pour assurer la complémentarité avec les représentants
D’autres évoquent un rôle pour la Chambre des conseillers dans le cadre de la régionalisation – quitte à renvoyer les syndicalistes et les représentants des chambres professionnelles vers le conseil économique et social. «Dans ce cas-là , un système monocaméral ne serait pas opérationnel sur le plan constitutionnel. Je suis donc favorable à ce qu’une deuxième Chambre soit maintenue mais dont on réviserait l’architecture, le mode de fonctionnement et surtout le mode de mise en place des conseillers», suggère Khalid Naciri. Et d’ajouter : «Dans l’optique d’une solution définitive de la question de notre intégrité territoriale, en vertu de laquelle les provinces sahariennes jouiraient d’un statut d’autonomie, cela signifie qu’on passe à la vitesse supérieure de la régionalisation et un système régionalisé a nécessairement besoin d’une seconde chambre qui reflète ses mécanismes, ses prérogatives et ses perceptions et l’intervention des autorités régionales et /ou des autorités du gouvernement autonome comme cela pourrait voir le jour pour les provinces sahariennes».»
Comment cette Chambre devra-t-elle alors s’articuler par rapport aux organes élus au niveau régional ? Comment pourra-t-elle être adaptée à cette mission. Pour Najib Ba Mohamed, vice-président de l’Association marocaine de droit constitutionnel, «la Chambre des conseillers devrait s’ouvrir sur d’autres institutions, se spécialiser dans des domaines particuliers et surtout consolider la représentation régionale». Elle a également intérêt à développer des relations avec les institutions agissant sur le terrain économique et social (Cour des comptes, banque d’Etat, instituts de planification, etc.) et à se spécialiser «dans le domaine de la politique internationale, de l’action diplomatique, dans les ensembles intégrés comme l’UE, l’UMA», ajoute-t-il. Mais tout cela est-il applicable quand les habitudes de vote, tributaires des traditions, de l’analphabétisme voire des pratiques douteuses, permettent toujours l’existence de conseillers inaptes à assumer cette mission ?.
La deuxième chambre a existé brièvement de 1963 à 1965. En 1996, le Roi Hassan II annonce l’instauration d’une deuxième chambre pour les représentants des chambres professionnelles, collectivités locales et syndicats.
Son existence se justifierait sous certaines conditions
En instituant la deuxième chambre en 1962 et en la restaurant en 1996 (après l’avoir supprimée en 1970), le constituant s’est réclamé d’arguments politiques qui se résument à faire politiquement contrepoids au pouvoir de la première, issue du suffrage universel direct, et favoriser la diversification de la représentation sur les plans professionnel, syndical et territorial. L’expérience a montré que le bicamérisme de 1962 n’a pas satisfait les objectifs du constituant qui lui a préféré, via les révisions constitutionnelles, un monocamérisme panaché – de manière inéquitable – d’élus au suffrage direct (1/3 en 70, 2/3 en 72 et 92) et d’élus à l’indirect.
[…] La Constitution marocaine de 1996 a institué un bicaméralisme égalitaire intégrant une représentation régionale élargie au sein de la Chambre des conseillers. L’égalité entre la première et la deuxième Chambre apparaà®t au triple plan de l’investiture, des pouvoirs de législation, et du contrôle.
L’expérience a révélé divers dysfonctionnements et suscite moult interpellations allant dans le sens de la réforme du système. […] On peut oser certaines suggestions nourries de droit comparé mais conformes à la spécificité de notre environnement socio-politique : pour être plus efficace, la chambre devrait s’ouvrir sur d’autres institutions, se spécialiser et surtout consolider la représentation régionale.
Au préalable, il faut rappeler qu’elle exerce un contre-pouvoir à l’encontre de la première et du gouvernement qui en émane, du pouvoir centralisé. Dans cet esprit, la deuxième Chambre a une fonction régulatrice, pondératrice, et stabilisante. A ce titre, la Chambre des conseillers a intérêt à développer des relations avec les institutions agissant sur le terrain économique et social (Cour des comptes, banque d’Etat, instituts de planification, etc).
Outre le domaine économique et social, la Chambre des conseillers gagnerait à se spécialiser dans la politique internationale, l’action diplomatique. Enfin, elle devrait rendre effective la région comme entité constitutionnelle
Najib Ba Mohamed Constitutionnaliste, professeur à la faculté de droit de Fès
«Si les parlementaires font leur travail, les ministres font le leur deux fois»
Vous êtes ministre des Relations avec le Parlement et conseiller à la fois. Pensez-vous que le Maroc ait besoin d’une Chambre des conseillers ?
Aujourd’hui, dans le monde, nous assistons à une tendance à la dualité des chambres au sein des Parlements car ce système conduit à un élargissement de la participation politique et une diversification de la représentativité de la société. Au Maroc, beaucoup d’observateurs politiques et médiatiques ont remarqué qu’il y avait une répétition du travail, comme si le pays avait deux Parlements au lieu d’un seul.
A l’étranger, la représentation au sein de la deuxième Chambre ne se fait qu’au niveau territorial, c’est-à -dire essentiellement via les collectivités locales, tandis que nous avons les collectivités locales, les chambres professionnelles et les syndicats, sachant que ces derniers sont également représentés au sein du Conseil économique et social. De plus, le Sénat français et les deuxièmes Chambres dans d’autres pays n’ont pas le droit de retirer leur confiance au gouvernement, contrairement au Maroc o๠cette situation fait que la Chambre des conseillers bénéficie quasiment des mêmes pouvoirs que la Chambre des représentants.
Faut-il réduire alors le nombre de conseillers ?
Le nombre n’est pas un problème. C’est la diversité de la représentation qui a gonflé le nombre de conseillers : 60% seulement de ces derniers représentent les collectivités locales, 60% sur 275, c’est 165 sièges.
Qu’en est-il des retards enregistrés au niveau des deux Chambres, particulièrement en ce qui concerne les ministres ?
Les ministres ne vont pas au Parlement seulement pour répondre aux questions, ils y présentent les projets de lois, débattent avec les parlementaires au sein des commissions, étudient les propositions d’amendement, puis il y a vote au niveau des commissions spécialisées, puis au niveau des assemblées. Sans oublier le travail de suivi avec les questions orales, les mardis à la Chambre des conseillers, les mercredis à la Chambre des représentants, ou les questions écrites des parlementaires auxquelles les ministres répondent par écrit, et qui se chiffrent par milliers chaque année. Quand cela est fait dans une chambre et refait dans l’autre, bien sûr que cela va prendre beaucoup de temps. Les parlementaires font leur travail, mais les ministre, eux, font le même travail deux fois.
Mohamed Saad El Alami Ministre des Relations avec le Parlement.
