Pouvoirs
Entretien exclusif : Abbas El Fassi ferme la porte au PJD et à l’UC
L’Istiqlal s’attendait à être premier lors des législatives.
Pour lui, toute alliance ne peut se faire qu’en y intégrant la
Koutla.
Le PJD a traité les autres partis de pourris, il doit présenter
des excuses.
Premier ministre ? Il est au service du pays.

Abbas el fassi Secrétaire général du Parti de l’Istiqlal
Nous ne tendons pas la main à l’USFP. Nous tenons les engagements pris dans le cadre de la Koutla, dont celui de délibérer pour avoir une position commune.
La primature ? A quelques mois de la fin de son mandat à la tête de l’Istiqlal, Abbas El Fassi n’en n’a jamais été aussi proche. Après un 7 septembre marqué par la chute du puissant USFP ou la défaite – purement médiatique – d’un PJD donné vainqueur depuis cinq ans, l’homme qui voulait toujours être Premier ministre pourra-t-il succéder à Driss Jettou ? Ironie du sort, cette opportunité sera sans doute la dernière. En attendant, ce ne sont pas les pièges qui manquent en chemin : si l’Istiqlal clame sa loyauté envers la Koutla, l’USFP de Mohammed El Yazghi, lourdement sanctionné par les urnes, tiendra-t-il la promesse signée à la veille des élections ? Le doyen des partis, qui ne semble pas en douter, prend en tout cas ses distances vis-à-vis de son autre grand partenaire potentiel, le PJD. Le RNI et le MP, qui seront de toutes les configurations gouvernementales, attendent leur heure. Au-delà, c’est au sein même de son parti que Abbas El Fassi devra s’imposer face au trio Douiri, Ghellab, Hejira, dont les noms circulent avec insistance sur la scène politique. Morceaux choisis.
La Vie éco : Répondez par oui ou par non. Vous attendiez-vous à arriver premiers à l’issue des législatives ?
Abbas El Fassi : Oui, en faisant l’hypothèse, qui s’est révélée juste, que ces élections allaient être totalement transparentes, nous savions que nos chances d’être en tête étaient grandes. Je dois cependant faire remarquer, et sans prétentions, que l’Istiqlal aurait été à maintes reprises premier si les précédents scrutins avaient été aussi exemplaires. D’abord, et sans forfanterie, nous avons toujours été les premiers, mais les élections ont toujours été manipulées, l’échiquier politique était connu avant le scrutin et le parti de tête pré-désigné. En 1963 avec le FDIC, en 1977 avec le RNI, en 1984 avec l’UC, en 1997 avec un découpage électoral qui a fait de l’Istiqlal le sixième parti au classement. Malgré cela, nous avons participé au gouvernement de Abderrahmane El Youssoufi, car nous faisons partie de la Koutla. Lors des élections législatives de 2002, le ministère de l’intérieur nous a donné 48 sièges et en a attribué 50 à l’USFP.
Et ces chiffres ne reflétaient pas la réalité ?
Non. Nous avons dit dans notre résolution qu’il s’agit des premières élections générales acceptables, mais quelques interventions, limitées, ont eu lieu, à Tanger, à Salé, ou Témara. Il n’importe. Quelques jours après, nous avions 53 députés, car certains, qui s’étaient présentés sous d’autres étiquettes – la politique du parti étant, à l’époque, de donner la priorité aux députés sortants – sont revenus. J’ai d’ailleurs écrit au ministre de l’intérieur en ce sens. Pendant ce temps, M. El Youssoufi a lancé des consultations. Il a reçu tous les partis de gauche : FFD, PPS, OADP… Puis il a annoncé par presse interposée : nous sommes maintenant 81. Il a pu convaincre le RNI, puis rebelote : «Nous sommes maintenant 121», puis il a reçu M. Bouazza Ikken pour arriver à 131 élus. Puis il a arrêté les consultations. Il lui fallait 165 membres pour avoir la majorité. Lors d’une interview avec un hebdomadaire, on lui a dit : faites appel à l’Istiqlal, vous aurez la majorité absolue. Il a répondu textuellement : l’Istiqlal n’est pas inscrit sur notre agenda.
Vous n’avez pas eu de contact, jusqu’à ce que Driss Jettou soit nommé Premier ministre…
Il m’a juste félicité oralement pour mon succès à Larache.
Il faut dire que lors de votre passage dans le gouvernement El Youssoufi vous n’avez pas pris de gants pour critiquer une formation dont vous faisiez partie.
Je ne faisais que mon devoir. En 1999, j’ai aussi envoyé une lettre à M. El Youssoufi où je lui rappelais toutes les mesures qui devaient être prises, et à propos desquelles nous nous étions déjà mis d’accord.
Et en octobre 2000, lors d’un entretien accordé à «La Vie éco», vous avez été franchement accusateur. Ne pensez-vous pas que M. El Youssoufi tenait là sa vengeance ?
Un peu, il a certainement dû se dire : ce monsieur m’a trop embêté, je ne sais pas. Mais l’Istiqlal ne se résume pas à Abbas El Fassi…
Donc l’USFP vous a ignorés en 2002 et, rétrospectivement, en 2007, vous leur tendez la main, et, au vu de votre communiqué de dimanche, vous dites : nous tenons à la Koutla…
J’ai toujours été honnête sur le plan intellectuel. J’estime que la politique, c’est la noblesse, l’éthique. Donc j’ai été étonné quand les journalistes sont restés incrédules au sujet du respect de notre engagement.
Et vous tendez la main à un adversaire/ami qui vous a plantés il y a cinq ans…
Non, nous ne tendons pas la main. Nous respectons nos engagements : respect mutuel pendant la campagne électorale et ensuite, après les élections, délibération pour avoir une position commune concernant la formation du gouvernement.
Dans votre déclaration de dimanche, le message s’adressait-il à l’USFP, au PJD ou à l’opinion publique ?
Ma déclaration était une réaffirmation de l’engagement tenu. Tout court.
Pourquoi l’USFP a-t-il été sanctionné ? L’Istiqlal n’a-t-il pas justement profité de ce vote-sanction ?
Oh, l’Istiqlal a aussi fait des erreurs. Il aurait pu avoir plus que 52 sièges. Parfois, on adoube un candidat par affection alors que l’on sait qu’il a de faibles chances de réussir. C’est humain.
A quoi attribuez-vous l’échec de l’USFP ?
D’abord à une chose : pendant cinq ans, une certaine presse n’a fait que taper sur l’Istiqlal et l’USFP. Bien entendu l’USFP en a pris plus que nous et ça a certainement joué. Les deux chaînes nationales ont également une part de responsabilité. Elles ne mettent pas en avant le travail du gouvernement.
Trop facile de jeter l’anathème sur les autres et, de toutes les manières, c’est l’USFP qui a trinqué. Il y a bien d’autres causes ?
Je ne voudrais pas intervenir dans les affaires de l’USFP, mais je me permettrai modestement une petite observation faite à partir du vécu de l’Istiqlal. Ce dernier a rajeuni ses ministres, intégré des femmes, renouvelé ses instances dirigeantes. Nous avons un tiers nouveau de jeunes dans le comité exécutif depuis 2003. Nous nous renouvelons, nous nous ouvrons à une nouvelle génération, c’est ce qu’a fait M’hammed Boucetta en partant en 1998. En 2002, plusieurs ministres Istiqlal avaient moins de 40 ans. Depuis, ils ont réussi à faire leurs preuves. L’USFP a reconduit ses anciens ministres, exception faite de Mohamed El Gahs. Mais, encore une fois, je ne suis pas bien placé pour juger. Chaque parti a ses contraintes.
Et si l’USFP décidait de passer à l’opposition ?
C’est leur droit le plus absolu. Mais, je pense que ce sera dur, parce que l’USFP est devenu un parti de gouvernement. Tout est possible cependant.
Supposons que ce soit le cas. Vous êtes chef de file d’une majorité à venir. Vous avez nécessairement besoin de voix. Vers quel parti vous tourneriez-vous ?
Je suis placé aujourd’hui dans l’hypothèse de la reconduction de la majorité actuelle. Je ne discute pas une autre hypothèse.
Entre PJD et UC, que choisiriez-vous ?
Je n’analyse pas cette hypothèse. Je vais dire un mot pour le cliché : j’ai toujours été correct avec le PJD. Dans toutes mes déclarations, j’ai toujours dit que c’était un parti démocratique et un parti légal, et un parti qui a des cadres valables, mais le PJD a changé, et je n’ai pas apprécié ce lavage de cerveau précédant la campagne électorale qui consistait à marteler qu’il aurait 70 à 80 sièges. Ensuite, ils ont dépassé les bornes quand ils ont dit : au Maroc, il y a le PJD, et les autres partis sont pourris. C’est inadmissible. Et même si je ne pose pas l’hypothèse d’une alliance autre que celle de la majorité actuelle, je vous le dis tout net, c’est une question de principe : on ne retrouvera pas l’Istiqlal et le PJD dans un même gouvernement.
Ils doivent s’excuser. On peut leur faire des reproches, personne n’est un saint, et personne n’a le monopole de l’islam. Ils m’ont également reproché d’avoir cité un verset du Coran, comme s’ils avaient le monopole du Livre sacré.
C’est-à-dire…?
Dans la présentation du programme du parti, je disais : votez d’abord, votez pour qui vous voulez, mais votez. Et je citais un verset du Coran qui disait : «Oua la taktoumou achahadata. Oua man yaktoumouha, fa innaho a’timon qalboho». Cela voulait dire que celui qui ne témoigne pas n’est pas complètement innocent. C’était un verset du Coran, ils me l’ont reproché.
Pour faire partie du gouvernement , l’USFP va essayer de négocier des portefeuilles. Sur quoi seriez-vous prêts à céder ?
C’est le Premier ministre qui va parler des portefeuilles et je ne le suis pas. Il faut attendre la décision de SM le Roi. La Constitution pose deux conditions : d’abord nomination du Premier ministre par le Roi, deuxièmement, ce gouvernement n’est gouvernement qu’après le vote de confiance de la Chambre des représentants.
Selon les récents discours du Souverain, il est fort probable que le Premier ministre soit istiqlalien. Vous êtes le secrétaire général du parti qui a obtenu le plus de sièges…
Quelqu’un peut être nommé par le Roi, et peut ne pas réunir la majorité autour de lui, et le Roi appelle alors une autre personne. Donc on ne peut pas parler maintenant de portefeuilles.
Quid de l’Union constitutionnelle ?
Sincèrement, je ne connais pas leur programme. Ils se disent libéraux. Ils ont eu de bons résultats, ils ont progressé.Par rapport à l’ère de feu Maâti Bouabid, ils ont baissé en importance, mais ils ont fait une belle remontée.
Ils ont gagné en légitimité aussi …
C’est on ne peut plus vrai. En 2002, je m’étais interdit de parler de partis de l’administration et je continuerai à le faire. J’estime que les résultats de tous les partis, aujourd’hui, reflètent leur poids réel au sein de l’échiquier politique.
Alors, vous seriez prêts à les accueillir dans une majorité ?
Nous n’accueillons rien. Si la question se pose, nous serons prêts à en discuter avec nos partenaires, d’abord de la Koutla, et ensuite avec la majorité actuelle. Quand on atteint une majorité de 165 sièges – nous en avons 186 – on ajoute cinq ou six sièges, pour le confort. On peut donc ajouter un parti, mais pas tous seulement parce qu’ils ont des sièges.
Mais l’UC, c’est quand même 27 sièges…
Oui, c’est 27 sièges et alors ?
C’est important…
Oui, mais la majorité actuelle est une composition du centre et du centre gauche. Eux sont plutôt à droite. Je ne dis pas ça de façon péjorative.
L’Istiqlal n’est-il pas un peu de droite ?
Nous sommes au centre. Nous voulons que certains secteurs ne soient pas privatisés, comme le phosphate par exemple. Nous l’avons toujours défendu, nous sommes le centre, on ne peut pas brader tout le patrimoine national.
Le Roi nomme le Premier ministre et les ministres sur proposition de ce dernier. Cela ne nous empêche pas de spéculer. Vous verriez-vous comme Premier ministre ?
Ma réponse est toujours la même. J’ai milité à l’âge de cinq ans en tant que scout et, depuis cette époque, je suis au service de mon pays. J’ai été ambassadeur, ministre et j’ai occupé d’autres fonctions, au service de mon pays.
Si bien qu’en tant que Premier ministre, vous continuerez à servir votre pays…
Je n’ai pas dit ça.
Pensez-vous qu’au sein de votre parti, d’autres profils seraient aptes à assumer cette fonction ?
J’ai dit qu’il faut attendre la décision royale. Mais je vais citer un vers de Allal El Fassi : «Tous les compagnons peuvent être les premiers». Chaque membre du comité exécutif peut être secrétaire général du parti, tout comme il peut assumer la fonction de Premier ministre.
Mais plus particulièrement, les trois ministres au gouvernement dont les noms circulent au niveau de la scène politique.
Pas particulièrement.
Si le Roi nommait un Fouad Ali El Himma. Après tout, il a la légitimité des urnes.
Fouad Ali Al Himma est un ami et un homme de valeur, et qui ne rechigne pas à la tâche. En présentant trois candidats et en gagnant trois sièges, il devient un peu un parti politique. Mais avec trois députés…
… Une question de représentativité donc ?
De toutes les façons, il a réglé le problème à 2M en disant qu’il n’est candidat à rien.
Peut-on concevoir sa présence au gouvernement en tant que ministre ?
Le Roi nomme les ministres sur proposition du Premier ministre. Il faut demander au futur Premier ministre s’il entend présenter Fouad Ali El Himma sur sa liste.
Est-ce que l’Istiqlal accepterait sur le plan du principe, puisque c’est le Roi qui décide, que le Premier ministre provienne d’un autre parti.
Sur le plan du principe, il faut qu’il ait la majorité. On doit tenir cependant compte de l’opinion publique et des résultats.
Deux partis pourraient remplir ces conditions : d’une part, le PJD qui a obtenu le plus de voix à l’échelle nationale et, d’autre part, le MP qui, à part ses propres sièges, devrait en récolter d’autres provenant des partis satellites de la Mouvance populaire.
C’est possible. Tout est possible. Il y a la Constitution et la tradition démocratique. Aujourd’hui, nous n’avons pas encore de tradition bien ancrée. J’espère que Sa Majesté va faire une avancée en faveur de la tradition démocratique.
Nous sommes à 35 ministres aujourd’hui, quelle est la configuration idéale selon vous ? Et quels sont à votre avis les ministères dont on devrait se passer, à transformer en directions, en agences ?
Je réfléchis toujours à cela, et j’ai fait une déclaration, il y a trois ans : il serait souhaitable de restaurer le ministère de la jeunesse et des sports. Il faut que le futur Premier ministre fusionne la jeunesse et les sports. Aujourd’hui, la jeunesse dépend d’un secrétaire d’Etat et les sports de la Primature. Ensuite, nous avons besoin d’un ministère du plan, parce que nous avons un seul son de cloche, c’est celui du ministre des finances. En général, la tradition, c’est que les ministres doivent tenir compte des observations des finances et du plan à la fois.
Et les ministères dont nous n’aurions pas besoin ?
Chaque Premier ministre réfléchit et coordonne avec le Souverain.
Quid des MRE ?
Les MRE, à mon avis, devraient dépendre du Premier ministre, car ils ont des problèmes de transport, d’éducation, d’enseignement de l’arabe, d’accès aux imams pendant le Ramadan, de santé, de culture… Autant de problèmes transversaux. Il faudrait que le ministre délégué ait le soutien du Premier ministre, que les autres ministres sachent que, quand ils ont une requête du ministre des MRE, cette dernière vient en fait de la Primature.
Donc un ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des MRE ?
Exactement.
Aménagement et habitat ?
Il faudrait les regrouper en y ajoutant l’environnement.
Vous êtes pour un gouvernement ramassé ? Des pôles ministériels ? 14, 15 ministères ?
Un peu plus, jusqu’à 25. Je constate, et je l’ai toujours dit, que lorsqu’on met un secrétaire d’Etat d’un parti politique auprès d’un ministre d’une autre formation, c’est la guerre.
Comme celle existant au sein du département de l’eau et de l’aménagement du territoire et qui met aux prises USFP et Istiqlal ?
Pas seulement. Le ministère de l’habitat, dirigé par Mohamed Mbarki, avait également l’environnement sous sa coupe, géré par un secrétaire d’Etat du Mouvement populaire. Et c’était aussi la guerre.
Si vous devenez Premier ministre, démissionnerez-vous de la direction du parti ?
De toutes façons, le congrès est proche. Les statuts sont clairs, je n’ai pas droit à un troisième mandat.
Cela veut dire que vous vous placez dans l’optique du poste ?
Cela veut dire que c’est Sa Majesté qui décidera et qu’après le congrès, qui aura probablement lieu en mars prochain, je ne serai pas secrétaire général de l’Istiqlal. Toute autre affirmation n’est pas de moi.
