Pouvoirs
En dehors des grandes villes, toujours le désert politique…
Avec la nouvelle loi sur les partis, les grandes formations commencent à s’implanter véritablement en dehors de l’axe Rabat-Casablanca. Avec la régionalisation avancée, les partis seront obligés de se déployer davantage vers la périphérie. Pour ouvrir une section locale, il faut au moins entre 5000 et 10000 DH de frais mensuels.

En dehors des imposants sièges, flambant neufs, de la capitale, de leurs activités dans trois ou quatre grandes villes du pays, nos partis politiques ont-ils une présence ailleurs? Depuis Kénitra, où il a tenu la dernière réunion de son bureau politique, le 8 janvier, le PAM démontre que oui. Cette réunion, précédée d’un meeting politique dans la commune de Mnasra, n’est pas la seule activité que le parti tient hors de Rabat, Casablanca ou autre grande ville. Le parti, toujours en construction, s’est donné pour mission d’aller vers les gens et non l’inverse. Ne s’était-il pas fixé pour objectif de ramener à la politique un large pan de la société qui ne se retrouvait pas dans l’offre politique déjà existante? A l’image du PAM, l’état-major du PPS, lui, sillonne le pays depuis près de trois mois. La commémoration du 70e anniversaire de sa création (ou celle de son ancêtre, le PC marocain dont il se considère héritier) est une occasion pour renouer avec le Maroc profond, pour ne pas dire d’aller à sa découverte. Entre conférences, meetings, soirées artistiques et cérémonies d’hommage aux anciens camarades, les gauchistes du gouvernement entreprennent de se faire rappeler, un peu partout dans le pays, à la mémoire des citoyens. Leurs anciens partenaires de la défunte Koutla, aujourd’hui dans l’opposition, sautent, eux aussi, sur une autre occasion historique pour renforcer leur présence à l’échelle locale. Ce n’est pas par hasard que l’USFP et l’Istiqlal ont choisi la commémoration du 70e anniversaire de la présentation du Manifeste de l’indépendance le 11 janvier 1944, pour lancer une série de manifestations conjointes à travers le pays. Pour le moment, le lancement de ces manifestations s’est limité au centre, à Rabat, mais, confie une source istiqlalienne, le reste devrait venir après. La présence de ce parti partout dans le pays, et surtout sa capacité de mobilisation, ne sont, d’ailleurs, plus à démontrer. En atteste cette marche de protestation contre le gouvernement organisée le 22 septembre dernier. De ces marches, les médias n’auront retenu que celle de Rabat où la section de Témara de la jeunesse du parti a eu l’idée, largement contestée, de faire marcher des bourriques aux côtés des militants. Ce que l’on n’a pas retenu, en revanche, c’est que l’Istiqlal a été capable d’organiser des marches dans 57 villes et localités à travers le pays. «Tenir des manifestations, le même jour, dans 57 villes, n’est pas chose facile. Rappelons-nous lorsque le Mouvement 20 Février était sorti dans la rue dans 45 villes et localités, tout le monde a considéré ces manifestations comme un exploit inégalable», comme le relevait, en son temps, le politologue Mohamed Darif.
Le PJD en pleine expansion
Sa structure aidant, ses inspecteurs, ses sections locales, sa jeunesse, ses étudiants de l’UGEM, ses entrepreneurs de l’Union générale des entreprises et des professions, (UGEP), sans oublier son syndicat, permettent une pareille mobilisation à tout moment. Grâce à cette solide et rigoureuse organisation, l’Istiqlal déploie sa toile sur tout le pays, depuis des décennies. C’est d’ailleurs le seul parti capable de couvrir 100% des circonscriptions électorales au moment des élections. De même, la seule enseigne sur laquelle l’on tombe en s’éloignant des agglomérations urbaines, c’est bien plus souvent celle de l’Istiqlal. Bien sûr et pour des raisons à la fois historiques et culturelles, certains locaux affichent également des pancartes portant l’emblème haraki. Le MP étant à la base un parti à forte dominance rurale.
C’est pour dire que l’Istiqlal est, jusqu’à ce jour, auteur d’une performance que même le PJD, en pleine expansion, depuis qu’il a pris en charge les affaires publiques, est objectivement incapable d’égaler. Cela ne veut pas dire que le parti islamiste manque de capacités mobilisatrices, mais ses efforts sont plutôt concentrés sur les grandes villes. Ailleurs, il entreprend à peine de s’installer. Il ne se passe, en effet, presque plus une semaine sans qu’une section locale ait vu le jour dans des contrées de plus en plus éloignées de ses traditionnelles zones d’influence. Le PJD peut se le permettre, le pouvoir a un effet d’attraction irrésistible et le parti dispose de moyens abondants pour financer son expansion. Ce déploiement est appuyé par la multitude d’activités qu’organisent un peu partout ses innombrables ramifications. De l’organisation du renouveau estudiantin à la jeunesse du parti (JJD) aux associations pionnières en passant par l’organisation féminine, l’espace professionnel qui regroupe commerçants et travailleurs indépendants, aux antennes locales du tentaculaire Mouvement unicité et réforme (MUR), le PJD peut se permettre d’être présent et aussi actif partout dans le pays. A cela s’ajoutent les multiples virées et meetings de ses ministres, la rituelle tournée annuelle de ses députés, dans le cadre de la caravane de la lampe, et les fréquentes sorties en campagne de ses jeunes députés. Le facteur religieux associé, qu’on le veuille ou pas, à son action, joue, aussi, largement en faveur de cette omniprésence du parti.
D’autres formations tentent, tant bien que mal, de faire des incursions, plus ou moins fréquentes, dans le quotidien des habitants du Maroc profond. Le PAM est en train de finaliser le programme de mise en place de ses instances régionales et locales, son organisation des jeunes, celle des femmes, ses secteurs professionnels, enseignants universitaires, avocats, pharmaciens et médecins, … Avec ce que tout cela demande en présence permanente au niveau local et régional pour recruter et mobiliser ses militants.
En attendant 2017, les partis s’installent dans les régions
Le RNI, également en construction depuis que la nouvelle direction a pris les rênes du parti en janvier 2010, est aussi sur cette voie. Sa feuille de route pour les trois prochains mois comprend, entre autres, la finalisation de la mise en place de la jeunesse, et des instances régionales non encore constituées. Quant à son organisation de cadres, formés dans la foulée des dernières élections législatives, elle est pour le moment en stand-by. «C’est plutôt calme ces jours-ci. On le sait, la politique est faite de hauts et de bas», confie un cadre du parti. Le RNI dispose d’ailleurs d’une organisation bien particulière, à savoir les «Unions locales». Dans les villes subdivisées en arrondissements, ces unions sont composées des élus locaux, présidents de communes et responsables des organisations parallèles. La même architecture est déployée à l’échelle des provinces, dans les villes à moindre envergure. Le tout, bien sûr, chapeauté par un conseil régional.
En somme, dans cette hyperactivité, relativement nouvelle, l’effet des congrès n’est pas du tout absent. La plupart des formations ont tenu, ces deux dernières années, leurs congrès ordinaires, avec ce que cela suppose comme animation au niveau local pour d’abord préparer le congrès et réorganiser les instances locales. Les dernières élections partielles de février et octobre 2013 ont également contribué à l’animation de la scène politique en dehors des centres urbains. La loi organique des partis politiques, bien qu’elle ne soit pas contraignante, explique également, en partie, cette sortie en masse de la classe politique du centre pour aller un peu plus vers la périphérie. L’article 27 stipule en effet que «tout parti politique doit disposer de structures organisationnelles nationales et régionales. Il peut également disposer de sections au niveau des autres collectivités territoriales».
Quid des petites formations ?
En parlant de présence au niveau local, il faut distinguer deux niveaux, explique Chaquir Achahbar, président du Parti du renouveau et de l’équité (PRE). Une formation politique peut se contenter d’une présence institutionnelle, dans les conseils communaux et provinciaux et les Chambres professionnelles. Les partis peuvent également disposer d’un représentant au niveau local comme ils peuvent étendre leur présence à la formation d’une section locale. Cette dernière option nécessite néanmoins quelques formalités, un dossier à déposer, en l’occurrence, auprès des autorités locales.
Pour le reste, et pour plus de visibilité et une commodité dans le travail, le parti doit disposer au moins d’un local. Et c’est là où les choses se corsent. Car, pour ouvrir un bureau permanent il faut un investissement allant de 5000 à 10 000 DH par mois, selon les villes et les régions, pour couvrir les frais de loyer, du téléphone, d’électricité et le salaire de l’employé chargé d’entretenir les lieux. Et cet investissement, bien que relativement modeste, bien des partis, surtout les petits, sont incapables de l’assumer. «Les petits partis ne disposent pour toute ressource financière que des 500 000 DH que leur verse l’État chaque année. Et cette somme suffit à peine à couvrir les frais du siège central à Rabat». Ils ne peuvent pas compter sur les cotisations des militants, surtout en dehors des grandes agglomérations. Les conditions de vie des citoyens sont plutôt modestes. De plus, les entrées d’argent que permettaient les accréditations accordées aux notables à la veille de chaque scrutin font désormais partie du passé après l’interdiction formelle dans la Constitution de la transhumance des élus. Ils ne peuvent pas non plus compter sur des aides supplémentaires de l’État, n’ayant pas atteint le seuil réglementaire de 3% des votes lors des dernières législatives. Les voilà donc dans un cercle vicieux : ils n’ont pas assez de fonds pour ouvrir des sections locales qui leur permettent une plus grande présence, un meilleur encadrement des citoyens et un plus grand rayonnement. Lesquels facteurs leur permettraient une percée électorale. «Là où il y a une bonne organisation locale, les résultats sont meilleurs», affirme ce chef de parti. Or sans cette performance électorale d’au moins 3% des voix des électeurs, point d’aides supplémentaires.
Pour une démocratisation des aides de l’État
En parlant de ces aides supplémentaires, il faut rappeler qu’il s’agit d’une cagnotte allant de trois à dix millions de DH accordés chaque année aux huit premiers partis, chacun selon son poids électoral. Or, cette somme est théoriquement destinée à entretenir les sections locales, financer les activités des partis à travers le pays et les aider à assumer leur mission d’encadrement de la population et afin de l’inciter à participer à la chose publique. En réalité, l’État leur verse cet argent sans rien exiger en contrepartie, l’article 27 de la loi organique des partis politiques n’étant pas contraignant puisque aucune sanction n’est prévue pour ceux qui ne le respectent pas.
Du coup, les partis utilisent cet argent pour financer les congrès de leur jeunesse, et de leur section féminine… Le plus souvent, confie-t-on, ces aides sont cumulées pour être utilisées comme trésor de guerre au moment des élections. «C’est donc de l’argent mal utilisé et qui, en plus, peut constituer un avantage concurrentiel pendant les campagnes électorales et nuire au principe de l’égalité des chances entre partis. En plus, ces partis, bien que disposant d’aides conséquentes, sont, en réalité, peu présents au niveau local. Ils n’organisent presque pas d’activités pour animer la scène politique. Ce qui a pour conséquence un plus grand désintérêt des gens vis-à-vis de la politique avec son corollaire de baisse de taux de participation électorale», soutient le président du PRE.
Comment remédier à la situation ? «En démocratisant les aides de l’État», affirme Chaquir Achahbar. En d’autres termes, le système de financement doit être pensé de manière à contraindre les partis qui en bénéficient à un plus grand déploiement au niveau local et surtout à organiser plus d’activités politiques et d’encadrement. Ces aides devraient être accordées sur la base d’un programme d’action et d’un cahier des charges avec obligation de résultats. Les partis bénéficiaires seront obligés de rendre compte de l’usage qu’ils en auront fait. «Sinon, cela devient une rente politique», conclut-il.
Cela dit, comme le fait bien remarquer un député de la majorité, élu dans une province du Maroc profond, «il ne faut pas trop se faire d’illusions. Dans le monde rural, on ne vote que pour la personne. A de rares exceptions près, personne ne connaît les partis politiques». Voilà une réalité que nos formations prennent bien en considération. Par pur pragmatisme politique, au lieu d’investir dans des locaux, du personnel et dans des activités de rayonnement, ils s’offrent les «services» des notables. Un député de cette catégorie, souvent doublé de président de commune, peut faire l’affaire. En poussant un plus loin son amabilité, il peut même ouvrir, à ses frais, un bureau de représentation au parti dont il arbore la bannière. Ce dernier en sort gagnant à plus d’un égard, une présidence de commune, un siège parlementaire et une antenne de présentation locale. Ce n’est pas pour rien que nos partis se sont largement «notabilisés». L’exemple de certaines formations de gauche, l’USFP et le PPS, est édifiant en ce sens.
