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Pouvoirs

Droits de l’homme : qui fait quoi et dans quels domaines ?

De la dénonciation de la torture à  la lutte contre la corruption en passant par les droits de la femme ou des prisonniers, leurs domaines d’intervention sont très variés.
Leur nombre exact est inconnu, mais seulement une trentaine opèrent à  l’échelle nationale.
AMDH, OMDH, après la lutte contre la répression, une réorientation vers la défense des droits économiques et sociaux ?

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«La décision a été prise hier. Dimanche, nous organisons une caravane vers Khouribga, pour la solidarité avec les 850 travailleurs de SMESI, une entreprise qui travaille pour l’OCP», indique Amine Abdelhamid, ex-président de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH). A l’origine de ce mouvement de solidarité, un mouvement social au sein de l’entreprise, déclenché depuis que les employés ont demandé à bénéficier du même statut que leurs collègues de l’OCP. Quelle mouche a donc piqué l’AMDH pour qu’elle s’aventure sur les plates-bandes des syndicats ? «Les droits humains comprennent le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, dont l’article 6 évoque le droit au travail, l’article 7 les droits des travailleurs, leurs conditions de travail, de promotion, les salaires», rétorque le militant avec un sourire malicieux. «Quant à l’article 8, il évoque les droits syndicaux y compris le droit de grève. Dans les documents internationaux, seul ce pacte reconnaît le droit de grève : il n’y a pas un seul texte de l’Organisation internationale du travail qui le fait». Autrement dit, l’AMDH est dans son rôle, elle le montre en allant jusqu’à coordonner l’événement avec la section locale de l’UMT.
Ce n’est pas la première fois que l’AMDH s’aventure dans des champs d’intervention où l’on est peu habitués à la croiser. En effet, au-delà des grands classiques, les droits politiques et civils, la structure s’attaque de plus en plus aux droits économiques, sociaux et culturels : du code du travail aux droits des travailleurs en passant par le soutien aux diplômés chômeurs, l’association explore de nouveaux territoires. Elle n’est pas la seule. Les «Tansikiate», ces coordinations pour la lutte contre la hausse des prix, devraient bientôt voir leur spectre d’intervention élargi, ce qui devrait prolonger leur espérance de vie. Côté Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH), interrogée sur les principaux défis de son organisation dans les années à venir, la présidente, Amina Bouayach, mentionne les droits économiques, sociaux et culturels, l’implication de l’opinion publique dans les choix et le suivi des politiques publiques en matière de mise en œuvre des droits économiques et socio- culturels, et la promotion des initiatives des acteurs politiques dans ces domaines.

Un champ d’intervention difficile à définir avec précision
Difficile en effet de contenir dans un domaine précis les droits de l’homme, tant le spectre d’activités qu’ils recouvrent est important. Si, traditionnellement, des structures comme l’AMDH ou l’OMDH ont souvent mis l’accent sur des thématiques comme la démocratie, les droits de l’homme, l’observation des élections, ou la liberté d’expression, d’autres structures aux domaines d’intervention nettement plus réduits comme l’Association de défense des femmes du Maroc, Touche pas à mon enfant ou l’Association Adala (Justice) ont également leur place parmi les défenseurs des droits de l’homme. «Si on élargit le champ des droits de l’homme, même Transparency Maroc n’est pas seulement une association de lutte contre la corruption, elle se considère comme un défenseur de ces droits dans la mesure où la corruption est une atteinte à ces derniers. Idem pour l’Observatoire marocain des prisons», explique Kamal Lahbib, membre fondateur de l’Espace associatif. Bien plus, les domaines concernés par les droits de l’homme ont également tendance à évoluer avec le temps. «Les droits de l’homme, c’est une conception transversale qui traverse toutes les actions et tous les domaines dans le quotidien du citoyen, et concerne aussi bien l’accès à la santé, au logement, que sa liberté d’expression, sa liberté d’association et sa liberté de manifestation. Ces droits ne sont pas figés dans le processus de leur application et le processus de leur mise en œuvre. Il s’agit d’un processus évolutif, progressif : au fur et à mesure que les libertés et les droits sont mis en place, de nouveaux espaces sont créés», explique Amina Bouayach.
La preuve ? Il y a moins de quarante ans, quand les premières structures de défense des droits de l’homme avaient vu le jour au Maroc, leur champ d’intervention était nettement plus étroit qu’aujourd’hui. «A l’époque, la notion des droits de l’homme était plus liée à tout ce qui relève des droits politiques, et donc des campagnes pour la libération des prisonniers politiques, contre la torture, pour des procès équitables, etc.», explique M. Lahbib.

Au commencement, la lutte contre la répression
Nous sommes en février 1972. Première structure de défense des droits de l’homme à être créée au Maroc, le Comité de lutte contre la répression et la torture au Maroc regroupe une jeunesse militante à tendance gauchiste. Née dans un contexte de forte tension politique, face aux arrestations massives, la structure multiplie les déclarations choc : «Nous utilisions beaucoup les médias étrangers, la radio d’Alger, la radio libyenne. Il existait aussi une certaine liberté de la presse à l’époque : C’était la répression, mais on pouvait dire beaucoup de choses. Toutes les arrestations étaient par exemple évoquées dans les journaux, y compris L’Opinion. Un jour, je me rappelle que ce journal avait publié ce grand titre : “La terre aux paysans, les usines aux ouvriers et le pouvoir au peuple”», se souvient Amine Abdelhamid, ex-président de l’AMDH. L’Istiqlal, l’UNFP, l’UMT et l’UGTM exerçaient une influence non négligeable sur les masses. Les grèves éclataient çà et là. Et d’ajouter :  «Le pouvoir avait été affaibli un peu par le premier coup d’Etat, et cette situation d’agitation et de réelle libéralisation sur le plan politique allait perdurer». Un mois et demi après la création du comité, une structure concurrente voyait le jour : la Ligue marocaine des droits de l’homme, proche de l’Istiqlal, et présidée par un certain… Abbas El Fassi. «Ils ont estimé que le comité était trop radical. Ce dernier avait publié des communiqués très durs contre le pouvoir, qui dépassaient un peu les lignes qu’ils s’étaient fixés dans ce domaine», explique M. Amine. Trois mois après sa création, le comité disparaissait. Devenue aujourd’hui la doyenne des associations de défense des droits de l’homme au Maroc, la ligue restera dans la sphère d’influence de l’Istiqlal mais ne se mobilisera véritablement qu’à partir des années 80.

AMDH et OMDH, deux associations pour la gauche
Ce n’est qu’en 1979 qu’une nouvelle structure, l’AMDH, sera créée. Dix ans plus tard, l’histoire se répète : les positions de l’association, jugées trop radicales par certains, seront à l’origine d’une scission qui verra la majorité des membres de son bureau central migrer vers une structure plus modérée, l’OMDH. A quelques individus près, le divorce sépare aussi les partis représentés dans leurs rangs. L’organisation est plutôt à tendance gauchiste voire centre gauche, regroupant des militants de l’USFP, le PPS, le RNI, ainsi que des personnalités comme Omar Azzimane, futur ministre de la justice. L’association, elle, correspond plutôt à l’extrême gauche, et regroupe des militants du PADS, du PSU, du CNI, du PS, et dans une moindre mesure l’USFP ou l’Istiqlal. Ces nuances se refléteront dans le style et les méthodes de travail des deux associations, même si ces dernières revendiquent leur indépendance vis-à-vis des partis dont les militants évoluent dans leurs rangs.
Enfin, ce n’est qu’à la fin des années 90 dans la foulée d’un rapport du CCDH que le Forum vérité et justice apparaît à son tour. Ouverte uniquement aux victimes directes et indirectes d’atteintes aux droits humains, la structure obéit à une logique légèrement différente des précédentes : «Il est un peu difficile de définir le FVJ comme une association de défense des droits de l’homme. Il s’agit plutôt d’une forme de syndicat dédié aux victimes des atteintes aux droits humains. Il est plus proche du syndicat que de l’association. C’est un syndicat dans la mesure où il protège les droits des victimes, mais il dispose aussi d’un référentiel qui comprend le règlement international humanitaire et les conventions des droits humains», explique Mohamed Sebbar, son président. Cette structure est peut-être celle qui abrite la plus grande diversité partisane : la gauche, représentée par l’USFP, le PADS, Annahj Dimocrati, la GSU, le CNI et des groupes comme «20 Juin» ou «Banou Hachem», y côtoient l’Istiqlal, Al Badil al hadari (islamistes), et même des ex-militaires.
 
Un secteur encore désordonné
Durant les années qui suivront, le nombre d’associations des droits de l’homme connaîtra une véritable explosion. Certaines, à l’instar de Mountada Al Karama, sont plutôt de tendance islamiste, d’autres se sont donné une vocation locale ou régionale, à l’image de l’Association Rif pour les droits de l’homme. Il est toutefois difficile de déterminer de manière précise le nombre d’associations de défense des droits de l’homme qui évoluent aujourd’hui à travers le pays, pour la bonne raison qu’aucune structure ne tient de liste exhaustive du nombre d’associations existantes. Certaines associations opèrent d’ailleurs sans avoir déposé de dossier, tandis que d’autres, qui se sont officiellement enregistrées, disparaissent très vite. Dans la pratique, elles seraient à peu près une vingtaine d’ associations à opérer à l’échelle nationale, de manière régulière.
Aujourd’hui, on ne nie plus l’apport de ces associations dans le processus de démocratisation lancée au Maroc ces dernières années. Les lacunes restent toutefois nombreuses, aussi bien de leur côté que de celui des autorités, pour un «rendement» optimal. Les associations des droits de l’homme souffrent en effet des mêmes maux que les autres structures associatives, à commencer par l’absence de normes déontologiques et méthodologiques à l’échelle nationale. Des manques aggravés par le fait que, au-delà du non-recensement du nombre d’associations concernées, s’ajoute l’absence de sanctions en cas de non-application de certaines règles, comme l’usage du plan comptable réservé aux associations, ou des manques en matière de reddition des comptes en cas d’usage de l’argent public.