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Droits de l’homme au Sahara : pourquoi le Maroc est visé

A quelques semaines de la réunion du Conseil de sécurité, les rapports sur les droits de l’homme au Sahara se multiplient.
Département d’Etat américain, Human Right Watch, Parlement européenÂ… se sont tous penchés sur la question.
Des documents très détaillés concernant le Maroc, faiblement informés sur la situation dans les camps.

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A quand ManhassetV? Lancé en 2007, le processus de négociation est aujourd’hui en stand-by, en attendant un signe de Christopher Ross. Le nouvel envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU a en effet indiqué vouloir d’abord évaluer la situation. En attendant, les diplomates retroussent leurs manches : plus qu’un mois avant la prochaine réunion du Conseil de sécurité, destinée, en toute probabilité, à prolonger une fois de plus le mandat de la Minurso. Pour l’instant, côté marocain, l’on est bien décidé à rester sur la lancée de la résolution 1813, considérée comme une grande avancée. En face, on devrait, en toute probabilité, continuer de réclamer un élargissement des prérogatives de la Minurso à la surveillance du respect des droits de l’homme dans la région. En attendant le 30 avril, la tension monte. Le 13 mars, une version non définitive du rapport de la  «Commission ad hoc pour le Sahara occidental» du Parlement européen a été intégralement publiée par le quotidien espagnol El Pais. La fuite a suscité la colère des responsables marocains et une mobilisation de certains politiques qui auraient obtenu la modification de certains passages du document.
Toutefois, il faudra attendre sa publication officielle pour en être vraiment sûr. Ce qui est certain toutefois, c’est que ce document aura connu une gestation pour le moins mouvementée : ayant initié ses travaux à la suite des manifestations de Laâyoune, en mai 2005, la délégation ad hoc a visité Tindouf pendant trois jours en 2006, mais n’a pas été en mesure de rencontrer les autorités algériennes. Quant au Maroc, elle n’a pu s’y rendre qu’en janvier 2009, des membres de la délégation, jugés proches de la cause séparatiste, ayant essuyé plusieurs veto de Rabat.

Le Maroc va mieux, malgré les apparences
En cette période particulière, le rapport du Parlement européen n’a cependant pas été le seul document qui a dérangé le Maroc. Selon le ministre de la justice, Abdelouahed Radi, le rapport du département d’Etat américain sur la situation dans la région, publié fin février dernier, comporte des «exagérations».
Enfin, paru fin 2008, un rapport massif de Human Right Watch axé sur la liberté politique dans la région en relation avec l’affaire du Sahara a également subi les foudres des officiels. Sans surprise, ce dernier, tout comme le rapport du Parlement européen, proposait la prise en charge de la surveillance des droits de l’homme au Sahara par la Minurso en somme, une des principales revendications du camp séparatiste.
Tout cela fait quelque peu désordre à l’heure où le Maroc souhaite parler police locale et justice régionale, cependant, peut-on pour autant rejeter ces rapports ?
Mais que reproche-t-on au juste au Royaume ? Du Parlement européen au département d’Etat américain, en passant par HRW ou Amnesty international, tous ces organismes, gouvernementaux ou indépendants, se sont intéressés au Sahara au cours des derniers mois. Dans ces rapports, l’on retrouve des accusations récurrentes, à commencer par des cas de mauvais traitements et abus de la part des membres des forces de l’ordre à l’égard de partisans de la thèse séparatiste. Ainsi, aussi bien le département d’Etat américain que HRW font état de cas de jeunes battus, à plusieurs reprises, hors des locaux des forces de l’ordre. Dans certains cas, l’on aurait même eu recours à la torture ou à des menaces de viol. Certains auraient ensuite été abandonnés à l’extérieur de la ville où ils avaient été interpellés. Dans le rapport de HRW, les noms de trois policiers sont régulièrement liés à de telles violences, l’un d’eux est également évoqué par le rapport du Parlement européen. Autre reproche, plusieurs militants séparatistes affirment avoir été condamnés sur la base de PV qui ne correspondraient pas à leurs déclarations ou sur la base d’aveux arrachés sous la torture. Il est également fait mention de manifestations violemment dispersées, d’associations séparatistes qui auraient eu du mal à obtenir un récépissé, une donne difficilement acceptable aux yeux de nos observateurs. A noter, toutefois, que la section locale de l’AMDH et le Forum vérité et justice sont également cités : la première a connu l’arrestation d’au moins un de ses militants, le second a vu son antenne sahraouie dissoute en 2003 et n’a pas pu la reconstituer depuis.
Pas de panique pourtant : HRW précise bien que son rapport ne porte que sur les droits politiques en relation avec l’affaire du Sahara. Elle n’a donc traité ni du reste des droits politiques, syndicaux, ou autres dans la région, ni établi de comparaison avec le reste du pays. Certains rapports mentionnent également les représentants des forces de l’ordre victimes de violences. Enfin, de part et d’autre, l’on souligne que si la thèse séparatiste constitue toujours une ligne rouge officiellement, dans la pratique, les autorités ont adopté une position nettement plus souple que dans les années 80 ou 90.
Aussi bien HRW que le département d’Etat américain soulignent la baisse du nombre global d’abus policiers à l’égard des militants de la cause séparatiste ces dernières années, les peines de prison qui se sont raccourcies, et bon nombre de prisonniers ont pu bénéficier de grâces royales. Le département d’Etat américain souligne également que des sanctions ont été prises à l’égard des policiers responsables de la mort d’un citoyen, Hamdi Lembarki, en juin 2007. Enfin, les délégations étrangères venues enquêter sur la situation dans les provinces du sud ont noté avoir été largement libres de leurs mouvements, et des militants connus de la cause séparatiste n’ont pas été empêchés d’entrer en contact avec elles ou de voyager à l’étranger, y compris pour prêcher la cause séparatiste…

Camp de Tindouf : pas d’écarts sous peine de perdre son emploi

Qu’en est-il de la situation dans les camps gérés par le Front Polisario ? Déception: les chapitres consacrés à ces derniers sont invariablement – et nettement –  plus maigres que ceux réservés à la situation au Maroc. «La plupart des interlocuteurs rencontrés par la délégation ont indiqué que les autorités du Front Polisario étaient extrêmement soucieuses quant à la préservation de l’autonomie des camps ; il semblerait qu’il soit très difficile, même pour le HCR (Haut comité aux réfugiés : NDLR), de bénéficier d’un accès satisfaisant à tout ce qui touche le milieu judiciaire et carcéral dans les camps, domaines qui demeurent encore très opaques. Les modalités de déroulement des procès ne sont donc pas claires ; de véritables interrogations demeurent en outre quant au code de procédure pénale utilisé ou encore sur le respect des droits de la défense», lit-on dans le rapport du Parlement européen. Sur le terrain, les enquêteurs indiquent ne pas avoir rencontré la moindre voix divergente : pas de dissidents, ni de manifestations, ni de médias ou d’organisation dignes de ce nom qui adoptent une position critique vis-à-vis du Front, note HRW. Pourtant, officiellement du moins, il n’existe pas de prisonniers politiques dans les camps, la population est libre de ses mouvements et à partir des rares cybercafés locaux, il est parfaitement possible d’accéder aux sites web «pro-marocains»…
Dans les faits, situés dans une zone militaire, les camps sont complètement isolés et vivent dans une dépendance totale par rapport aux autorités qui gèrent les camps. Quant aux ONG internationales, elles ne sont pas présentes toute l’année, et la seule ONG locale spécialisée dans le domaine des droits de l’homme (Afapredesa) a pour mission de surveiller les abus enregistrés… au Maroc. Pour les plus courageux, HRW rapporte que s’il est possible de critiquer la gestion des affaires des camps au quotidien ou encore la manière dont la «lutte nationale» est menée, contester la légitimité du Front ou se prononcer en faveur du Plan d’autonomie marocain sont des lignes rouges à ne pas dépasser, sans quoi l’on perd son emploi.
Côté médias, des deux organes de presse, le seul indépendant a un tirage moyen de 500 copies, et qui n’a produit que 13 malheureux numéros depuis 1999. Et si les journalistes n’ont pas été poursuivis, rapporte HRW, certains articles ont quand même coûté leur poste à deux responsables du «ministère de la communication» de la RASD. Les choses ont été encore plus difficiles dans le cas du mouvement Khat Achahid : après avoir cherché, dans un premier temps, à organiser le congrès initial de la structure dans les camps, l’initiateur de la structure, Mahjoub Salek, y a renoncé et a dû quitter les camps par crainte pour sa sécurité. Plus généralement, les individus qui ne sont pas d’accord avec la ligne officielle sur place sont tout simplement amenés à quitter les camps.

Lâcher du lest en matière de droit à l’expression?
Malgré ces révélations inquiétantes, les rapports publiés seraient-ils anti-marocains ? En effet, certains se demandent si la liberté d’action des enquêteurs étrangers au Maroc ne serait pas en train de se retourner contre lui : l’information étant disponible, le Maroc ferait l’objet d’un plus grand nombre de rapports que ses voisins maghrébins, ce qui gonflerait les reproches qui lui sont adressés.
Quelles que soient ses protestations, notre pays devra quand même reconnaître une chose : étant un Etat à part entière, les critères qui lui sont appliqués sont, par définition, nettement plus sévères qu’un mouvement comme le Polisario. «A l’international, les habitants des camps sont considérés comme des réfugiés politiques. De ce fait, on ne peut pas demander autant de comptes, on n’adopte pas une attitude aussi sévère que vis-à-vis d’un Etat souverain comme le Maroc», explique Mustapha Naïmi, membre du CORCAS.
Au-delà, il ne faut pas oublier non plus que même des ONG, bien marocaines celles-là, soulignent que des abus ont bien été enregistrés au Sahara, à quelques nuances près. Pour la présidente de l’OMDH, Amina Bouayach, la région ne fait pas l’objet d’un traitement plus sévère qu’une autre mais appelle à un débat national en vue de l’harmonisation du droit à la manifestation. Du côté de l’AMDH et du FVJ, l’on estime que la situation au Sahara est plus compliquée que dans le reste du pays, mais l’on reconnaît qu’une nette amélioration a été observée au cours des dernières années, et que, plutôt qu’un raidissement des autorités, l’on assiste à une augmentation des revendications présentées par les Marocains.
Critiques ou pas, le Maroc devra poursuivre, dans le domaine des droits de l’homme au Sahara,  le processus entamé avec l’IER et l’installation des antennes du CCDH et de Diwan Al Madhalim dans la région.
Plusieurs voix vont jusqu’à suggérer de modifier la loi de manière à permettre aux militants séparatistes d’exprimer leur opinion de manière pacifique, pour banaliser la question : une requête à laquelle il paraît difficile d’apporter une réponse positive, tant la population marocaine, avant même les officiels, reste crispée sur la question du Sahara. Il reste que, avant de tolérer des manifestations de séparatistes à l’image des diplômés devant le Parlement, notre pays devra s’assurer que si protection des droits de l’homme il y a, elle sera valable aussi dans les camps de Tindouf.