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Pouvoirs

Des élections invalidées, un wali démis, le PAM qui crie vengeanceÂ… jusqu’où ira l’affaire de la mairie de Marrakech ?

Le PAM dénonce une manipulation de la justice et se plaint de l’ingérence du wali dans la démocratie locale.
L’Intérieur limoge le wali de Marrakech pour dysfonctionnements dans le processus d’organisation électoral.
L’affaire de l’annulation des élections de l’arrondissement de Menara est en appel.

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D épitée et en colère. C’est ainsi qu’a semblé, lors de ses récentes apparitions, la nouvelle et peut-être ex-maire de Marrakech, Fatima-Zohra Mansouri du Parti Authenticité et Modernité (PAM). Il faut dire que le premier test a été dur pour celle qui vient de faire ses débuts en politique. Et quels débuts ! En moins d’un an d’engagement politique, elle s’est retrouvée à la tête de la mairie d’une des plus grandes villes du Royaume ; et en moins d’un mois elle s’est vue encourir le risque d’être déchue du poste prestigieux. Du coup, son parti, qui n’a pas cessé de faire parler de lui depuis sa création, monte au créneau pour crier au scandale.
C’est le 18 juin que la tête de liste du Front des forces démocratiques (FFD) déposait un recours contre l’administration chargée des élections auprès de la Chambre administrative du tribunal de première instance de Marrakech pour signaler des irrégularités dans le processus électoral inhérent à l’arrondissement de Menara. «Nous avons déposé la plainte et avons présenté un bulletin de vote comprenant le cachet du ministère de l’Intérieur, comme preuve sur les innombrables irrégularités qui ont entaché ce scrutin», souligne Rabie El Kawtari, qui a été à l’origine de la plainte. Le (ou les) bulletins de vote en question a été trouvé, signalons-le, dans des bennes à ordures après la fermeture des bureaux de vote, impliquant un comptage inexact, et donc des résultats biaisées des élections de l’arrondissement. Le tribunal administratif de Marrakech a rendu son verdict le 13 juillet annulant les résultats de l’élection. Entre-temps, Fatima Zohra Mansouri, qui avait obtenu son siège de conseillère à Menara en tant que tête de la liste complémentaire du PAM dans cet arrondissement,  a été élue maire de Marrakech. Le verdict du tribunal invalide donc automatiquement son élection à la mairie de la ville. D’où la (nouvelle) colère du PAM.
Si les responsables du PAM avancent que le recours à la justice a été effectué après l’élection de Mme Mansouri à la tête de la mairie (voir encadré), le candidat du FFD, Rabie El Kawtari, conteste, lui, cette version : «La plainte a été déposée le 18 juin, alors que l’élection du maire de la ville a été organisée le 26 du même mois; on ne savait donc pas qui allait être maire». Le représentant du FFD à Menara qualifie la position du PAM d’aberrante. «D’autant plus, souligne-t-il, que notre parti a voté en faveur de Mme Mansouri pour accéder à la tête de la mairie, et qu’un conseiller de notre parti occupe le poste de 3e vice-président». Tout cela, ajoute M. Kawtari, «prouve que nous ne visions absolument pas la maire avec ce recours en justice; d’ailleurs nous sommes un parti progressiste et nous appelons au changement et nous avons été les premiers à applaudir l’accession d’une femme à la tête de la mairie de Marrakech». Le candidat malheureux du FFD signale cependant qu’«il n’y avait pas seulement un seul bulletin de vote, mais plusieurs qu’on avait trouvés dans des poubelles et sur la voie publique; et cela nous a choqués et nous a incités à saisir la justice».

Le wali dans le collimateur du PAM
Mais le PAM ne l’entend pas de cette oreille. Faisant dans la surenchère, il a annoncé une grève de 48 heures de ses conseillers municipaux à Marrakech. Le parti menace, d’ailleurs, de hausser le ton et de recourir à d’autres formes de protestation pour, dit-il, «contrer le complot qui vise le processus démocratique». On prévoit ainsi d’élargir la grève à toutes les communes gérées par le parti. Mais ce n’est pas tout. Dans une conférence de presse du PAM tenue jeudi 16 juillet, Mme Mansouri déplore ce qu’elle qualifie d’interférences du wali sur ses prérogatives légales, notamment en matière de délégation de pouvoirs et d’agenda de déploiement. Parallèlement, le PAM rendait public un communiqué où il assume les accusations de sa candidate. Relevant quelques dysfonctionnements en matière de procédure d’information juridique des parties concernées par la plainte déposée par le candidat du FFD, le communiqué du PAM prend une tournure virulente à propos du wali de la ville. Il émet de graves accusations contre le premier représentant de l’autorité à Marrakech. On parle ainsi de pressions de ce représentant de l’autorité sur la nouvelle maire avant même que celle-ci ne commence à exercer ses fonctions. On l’accuse aussi de vouloir imposer un conseiller RNI à la tête de la commission de l’urbanisme. De même, selon le communiqué, le wali aurait demandé à Mme Mansouri de lui laisser les pleins pouvoirs en vue de chapeauter les grands projets de la ville; de ne pas fouiner dans le mandat de l’ancien maire; de soutenir Abdelali Doumou de l’USFP pour sa candidature à la présidence de la région; et de l’aider à faire passer deux projets concernant la ville sans les discuter.
En conclusion de leurs accusations, les dirigeants du PAM ont qualifié le comportement du wali de «lâche», de «méprisant vis-à-vis de l’action des responsables élus» et dénoncent «l’atteinte à la démocratie». Le communiqué «tire la sonnette d’alarme contre la dégradation de la représentation de l’Autorité de l’Etat à Marrakech et contre la suprématie de l’argent sur l’autorité de l’Etat et de la loi».
Bien évidemment, il s’agit là d’accusations très graves vis-à-vis de l’autorité locale. S’agit-il d’une réaction impulsive et à chaud d’une jeune maire, sur laquelle le parti se trouvait obligé de s’aligner par solidarité ou est-ce une réaction réfléchie et concertée d’un parti qui, depuis sa création, n’a cessé d’appeler à la réforme et à la moralisation de la vie politique ? Pour les responsables du PAM, il n’y a pas de doute. «C’est une affaire concertée et réfléchie», tient à préciser Salah El Ouadie, porte-parole du PAM.  
 
La commission de l’Intérieur conclut à la responsabilité du wali
C’est dans ce climat tendu que le ministère de l’intérieur a décidé de dépêcher une commission pour enquêter sur le cas de l’arrondissement de Menara, ainsi que sur celui de Kelaât Sraghna où la justice a annulé l’élection d’un autre président de commune affilié au PAM. Soulignons que le ministre délégué à l’intérieur, Saad Hassar, a présidé lui-même cette commission. La décision du département de l’Intérieur de constituer une commission d’enquête à l’issue d’un verdict de la justice, a soulevé de vives réactions. «Nous nous étonnons du fait que le ministère de l’intérieur dépêche une commission de haut niveau pour enquêter sur les conditions pour lesquelles la justice a rendu son verdict, c’est une forme de contestation des décisions de la justice», déplore ce membre de la société civile à Marrakech qui a préféré garder l’anonymat. Il souligne que non loin de Marrakech, «dans la commune de Harbil qui abrite la nouvelle ville de Tamansourt, le même tribunal administratif de Marrakech a pris la décision d’annuler l’élection de tout le conseil municipal, pour une irrégularité formelle et plus banale en quelque sorte; le recours au membre le plus âgé pour superviser l’élection n’ayant pas été respecté. Le président, ainsi que son parti (USFP), n’ont pas contesté la décision de la justice et on s’apprête à refaire les élections dans le calme».
Selon des sources proches de la wilaya de Marrakech, les membres de la commission d’enquête se sont réunis, samedi 18 juillet, avec le wali pendant près de trois heures. Ils ont entendu ensuite, et à titre individuel, le secrétaire général et le chef des Affaires générales de la wilaya. La commission est allée ensuite à Kalaât Sraghna où elle a enquêté auprès des autorités. Elle a entendu le gouverneur, le secrétaire général et le chef des affaires générales. Mais rien n’a filtré sur le contenu de ces réunions et encore moins sur les résultats de cette commission.

On reprend les mêmes et on recommence ?
Visiblement, cette nouvelle affaire soulevée par le FFD, et montée en épingle par le PAM qui crie au complot, a eu des conséquences plus graves que l’on ne s’y attendait. Mardi 21 juillet, le ministère de l’intérieur décidait de décharger le wali, Mounir Chraïbi, de ses fonctions au motif de «grands dysfonctionnements au niveau de l’organisation et de la coordination au sein des services administratifs de la wilaya». Fermez le ban !
En attendant, le PAM, selon des sources au sein du parti, a fait appel de la décision prise par la justice en première instance et Mme la maire garde ses pouvoirs en attendant la fin du processus judiciaire. Mais les acteurs politiques ne chôment pas. On se prépare à toutes les éventualités, d’autant que la carte des alliances a complètement changé. Entre l’accession de la candidate du PAM à la mairie de la ville et son«éviction», la donne n’est plus la même. «Les relations entre ceux qui ont formé l’alliance autour du maire ont changé. Les problèmes, dont une partie a été mise au grand jour par la maire lorsqu’elle a appris la décision de la justice, sont justement à l’origine de la détérioration de ces rapports», fait remarquer ce cadre associatif. Du coup, on se met du côté du PAM à envisager les futures alliances pour garder la mairie dans le cas où la décision de la justice est maintenue. Plusieurs rencontres ont été organisées dans ce sens par les responsables du PAM avec les représentants influents des autres formations politiques à Marrakech. Même avec “l’ennemi” d’hier, l’ancien maire de la ville, Omar Jazouli de l’Union Constitutionnelle. Cela ne semble cependant pas étonner les observateurs de la vie politique à Marrakech. «La candidate du PAM a pu avoir la mairie principalement grâce aux voix des mêmes membres qui avaient voté en faveur de Jazouli en 2003», avance ce cadre d’un parti. C’est ce que confirme M. El Kawtari qui souligne qu’à part le maire et quelques rares autres membres, «le bureau du Conseil de la ville est composé des mêmes personnes, il n’y a pas eu beaucoup de changement».