Pouvoirs
Créer un parti politique, mode d’emploi
La loi prévoit un délai d’un an pour mener à terme le projet de création d’un parti politique. Même avec ses 33 partis politiques, le Maroc est encore «faiblement couvert» en la matière. Seulement 1% des Marocains ont adhéré à un parti politique et un grand nombre de cadres ne sont même pas inscrits sur les listes électorales.

Créer un parti politique, beaucoup de gens s’y sont essayés depuis l’adoption de la nouvelle Constitution, en juillet 2011. A ce jour, aucune des tentatives annoncées (une demi-douzaine) n’a abouti. Une seule expérience a failli réussir si ce n’était une entorse à la loi (son projet de statuts n’est pas conforme à la loi) qui avait motivé le rejet de l’Intérieur du dossier.
Est-ce si difficile de créer un parti alors que l’on s’attendait à l’arrivée massive de nouveaux venus sur la scène politique ? Et cela pour deux raisons contenues dans les articles 7 et 9 de la nouvelle loi fondamentale. Le premier ne limite plus le rôle des partis politiques à l’encadrement et la formation politique des citoyens et leur représentation dans les instances élues. Il va au-delà, en faisant des partis des partenaires au pouvoir. «Ils (les partis) concourent à l’expression de la volonté des électeurs et participent à l’exercice du pouvoir», stipule l’article 7. Bien sûr, les partis politiques œuvrent également à la promotion de la participation des citoyens à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques.
L’article 9 soustrait, lui, les partis au dictat du ministère de l’intérieur. L’interdiction d’un parti, le gel de ses activités et sa dissolution relèvent, aujourd’hui, du seul pouvoir judiciaire. «A eux, ces deux articles ainsi que la loi organique des partis politiques, qui consacre, pour la première fois, la démocratie interne, constituent une révolution dans le champ politique et sont à même de réconcilier les citoyens avec la chose politique et redonner de l’attrait aux formations partisanes», affirme le politologue Mohamed Darif. Voilà pour les a priori constitutionnels. Pour passer de l’idée à l’action, cela peut certes prendre du temps. Mais en pratique, les démarches sont très simples.
Du moins, sur le plan théorique. Une fois que l’on a assimilé les conditions constitutionnelles selon lesquelles un parti ne peut être fondé sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale ou, d’une manière générale, sur toute base discriminatoire ou contraire aux droits de l’Homme, le reste n’est que formalités, plus ou moins simples. Cela si l’on ne tient pas compte des sautes d’humeur et du degré de prédisposition des agents de l’autorité locale.
L’Administration… même pas au courant
La condition minimale est de réunir 300 membres fondateurs issus d’au moins de deux tiers des régions avec une représentation minimale de 5% par région. En d’autres termes, ces 300 fondateurs doivent être issus d’au moins 11 régions. Chaque région doit être représentée par au moins 15 membres fondateurs.
Chaque membre fondateur, en âge de voter, doit signer et approuver une déclaration dans laquelle il accepte d’être membre fondateur, s’engage à participer au congrès constitutif et à se conformer aux statuts et au programme politique du nouveau parti. Il doit également fournir, outre une copie de la carte nationale, un document administratif attestant de son inscription aux listes électorales. Document apparemment anodin que n’importe quel «caïd» de la «mouqataâ» du coin peut délivrer, mais dont l’établissement relève souvent du parcours du combattant.
Cela peut prendre entre 5 minutes dans une préfecture de Casablanca et 15 jours dans la préfecture voisine. Ailleurs, cela peut prendre jusqu’à deux mois. Et encore. «Le caïd nous demande d’aller voir le chef de cercle, qui, lui, nous oriente vers le pacha. Ce dernier nous explique que c’est du ressort du caïd. Il y en a même qui nous renvoient vers le tribunal, arguant que c’est du ressort du juge. Certes, c’est bien un magistrat qui préside la commission de renouvellement des listes électorales, mais délivrer des attestations d’inscription sur celles-ci ne relève pas de ses compétences.
D’autres, après s’être enquis de l’usage à en faire, nous renvoient pour plus tard, le temps de faire leur enquête. Et même lorsque, après moult arguments, l’agent de l’autorité est convaincu que c’est bien de lui que relève cette prestation, il ne sait pas comment faire. C’est qu’ils n’ont jamais entendu parler de ce document. Nous sommes donc obligés de lui fournir un formulaire ou une copie d’une attestation délivrée ailleurs», indique Mohamed Darif, initiateur du projet de parti des néo-démocrates. «C’est un contretemps inattendu, d’autant que cela peut retarder le projet de plusieurs mois», regrette-t-il.
Qui vote pour nos partis ?
Autre souci rencontré en cours de chemin, «nous nous sommes rendu compte qu’un grand nombre de cadres, retenus sur notre liste des membres fondateurs, ne sont même pas inscrits sur les listes électorales. Ils appartiennent pour leur majorité à la classe moyenne. Ils sont fonctionnaires, ingénieurs, médecins, pharmaciens et professeurs universitaires. Ce ne sont pas des cas isolés. C’est presque un phénomène qui concerne toutes les régions du pays. C’est à se demander qui vote vraiment pour nos partis politiques», affirme l’initiateur du Parti des néo-démocrates.
Naturellement, même s’ils ne sont pas retenus comme membres fondateurs, ils peuvent très bien participer aux congrès en tant que membres ordinaires. Pour reprendre les démarches, une fois que chaque membre fondateur aura réuni son dossier, les 300 dossiers sont versés dans un dossier global qui renferme également un projet de statuts du parti (qui deviendra ensuite la base du règlement intérieur du parti), un projet du programme politique, un PV et le sigle du parti.
«Dans un pays où les électeurs votent pour les symboles, le sigle est un élément non seulement incontournable, mais d’une importance capitale dans le dossier de chaque parti. Il faut savoir bien le choisir parce que les gens auront tendance à ne retenir que cet élément», note Mohamed Darif. Il faut également faire attention au moment d’élaborer le projet des statuts. Les services de l’Intérieur sont très regardants sur ce point.
«Bien sûr, il n’existe pas de statut-type, mais il ne s’agit pas non plus d’inventer la roue. Le cadre est bien tracé par la loi organique des partis politiques (NDLR.article 29)», affirme notre interlocuteur. Il faut néanmoins tenir en compte deux éléments importants : la démocratie interne et la transparence de la gestion financière.
Ainsi, la loi prévoit la mise en place de plusieurs commissions, dont une pour la parité et une autre pour les MRE en plus d’une commission de candidatures. Les mandats des responsables doivent être limités comme la mise en place des conditions et critères précis pour choisir les candidats du parti aux échéances électorales. Pour ce qui est des finances du parti, il y a toute une procédure comptable à suivre.
Bref, il y a un certain nombre de dispositions prévues par la loi organique du 22 octobre 2011 qu’il faut prévoir dans le projet des statuts, sous peine de se voir rejeter le dossier par le ministère de l’intérieur.
Parlementaire, persona non grata
Quant au projet de programme politique, «il s’agit d’énoncer un certain nombre de principes généraux ainsi que la vision du parti de l’action dans le domaine socio-économique, l’éducation nationale, la culture, les relations extérieures… Ce sont des positions générales qui seront débattues, affinées et précisées par le congrès», explique ce politologue.
Une fois le dossier complété, il est déposé au ministère de l’intérieur. Celui-ci dispose d’un délai de 60 jours pour l’étudier. Si le dossier est conforme aux dispositions légales, il délivre un récépissé aux demandeurs. Si au terme de ce délai des deux mois le ministère de l’intérieur n’a pas délivré ce récépissé, les initiateurs du projet peuvent entreprendre de donner corps à leur projet.
Si, au contraire, les services de l’intérieur rejettent le dossier sous un quelconque motif, les auteurs du projet peuvent toujours saisir le tribunal administratif. Une fois ce délai de deux mois épuisé, et avec ou sans récépissé, pourvu que le dossier ne soit pas rejeté, les membres fondateurs sont tenus par un autre délai de dix mois pour organiser le congrès constitutif. Car si au bout d’un an, depuis la date du dépôt du dossier, le congrès n’est pas tenu, il faut reconstituer un nouveau dossier et reprendre toutes les démarches depuis le début. L’étape du congrès, elle aussi, est soumise à conditions. Toutes ces démarches sont détaillées dans les articles 5 à 14 de la loi organique des partis politiques.
Les congressistes, eux, doivent être au nombre de 1000, issus des deux tiers des régions avec un seuil minima de 5% de représentativité par région. Ce qui donne au moins 50 congressistes pour chacune des 11 régions exigées. Aucune autre condition les concernant n’est requise. Sauf que les congressistes ne doivent pas être des parlementaires en exercice.
«Nous avons reçu plusieurs demandes de parlementaires pour faire partie du projet, nous leur avons expliqué que nous ne pouvons pas les retenir tant que leur mandat n’est pas arrivé à terme», explique Mohamed Darif. C’est que, depuis l’adoption de la nouvelle Constitution, la transhumance des députés et conseillers parlementaires est interdite.
Aucun élu ne peut changer d’étiquette politique sous peine d’être déchu de son mandat. Autrement, les parlementaires, particulièrement les notables, qui disposent déjà d’un fief électoral sont des éléments très appréciés au moment de la formation de tout parti politique. Naturellement, cette interdiction ne frappe pas (encore) les élus des assemblées locales. Nombreux parmi eux ont d’ailleurs rejoint le projet des néo-démocrates qui repose beaucoup sur les acteurs du milieu associatif.
Un coût quasiment nul
Une fois le congrès tenu, la liste des responsables élus (le secrétaire général, les membres du bureau politique, les membres du conseil national) fixée, le parti doit constituer un dossier définitif. Lequel dossier comprend, le PV de la réunion, la liste des participants, les instances élues et doit être déposé au ministère de l’intérieur dans un délai d’un mois. Passé ce délai, même si les membres fondateurs n’ont pas reçu l’autorisation finale et donc l’acte de naissance du parti, ce dernier est quand même légalement réputé constitué, sauf opposition motivée du ministère.
Le parti dispose encore d’un délai de six mois pour adopter définitivement et déposer ses statuts. Maintenant, combien coûte la création d’un parti ? Cela dépend du degré d’engagement des membres fondateurs. Les déplacements, les frais de communication, de formation de dossiers, les annonces dans la presse, et généralement la publicité, occasionnent certaines charges.
Mais, c’est le local où sont tenues les réunions de préparation et surtout le congrès qui représentent les plus grandes charges. Bien sûr, dans certains cas où il est difficile de réunir le nombre nécessaire de bénévoles pour former un parti, il se peut même que les membres fondateurs demandent une contrepartie financière pour leur signature et leur engagement.
Dans d’autres cas, le coût est vraiment dérisoire. «Toutes les démarches d’avant le dépôt du dossier nous ont rien coûté. Jusque-là, chacun a pris en charge les frais de constitution de son dossier. Les membres fondateurs se sont proposés pour verser une cotisation afin de participer aux coûts de création du parti, nous leur avons fait comprendre que ce n’était pas nécessaire.
Même pour le congrès, nous envisageons de faire supporter aux congressistes les frais de leur déplacement et séjour à Casablanca pendant la durée du congrès», affirme Mohamed Darif. Même le futur siège du parti a été acquis contre un loyer très symbolique. Bien plus, le fondateur des néo-démocrates affirme ne pas avoir prévu, du tout, un budget précis pour la constitution du parti.
Il y a encore de la place
Au-delà des procédures et coûts financiers, le Maroc, déjà «riche» de 33 formations politiques, a-t-il besoin d’autres partis ? «Ils y a deux idées reçues qui sont totalement erronées. Dire qu’il y a trop de partis au Maroc est une fausse idée. De même que prétendre que la classe moyenne et les élites boudent la politique», affirme, en observateur assidu de la classe politique depuis près de 30 ans, Mohamed Darif.
A titre de comparaison, observe ce politologue, en France il existe 278 partis politiques. Au Sénégal, un pays d’à peine une dizaine de millions d’habitants, il y a plus d’une centaine de partis politiques. A ce titre, le Maroc est «faiblement couvert», du point de vue partisan. Et encore, «même les partis existants, nombre d’entre eux sont tout au plus des officines électorales qui n’ouvrent leurs portes qu’à la veille des élections», note ce politologue. Cela fait qu’à peine 1% des Marocains sont affiliés à des partis politiques. De même que certains partis, historiques de surcroît, sont réduits à se donner en spectacle en raison des divisions internes qui ne font que les affaiblir.
Le Maroc a besoin de partis actifs, efficaces et surtout présents dans la vie publique. L’expérience nous a montré que l’idée selon laquelle la classe moyenne ne s’intéresse pas à la politique est également fausse. «Le nombre important de demandes d’adhésion qui émanent des cadres et membres de la classe moyenne dans toutes les villes du pays en est la preuve», soutient notre interlocuteur. La demande est d’autant plus importante que les citoyens sont désormais conscients que la méthodologie démocratique si chère à l’USFP est devenue une réalité constitutionnelle.
Des partis «ordinaires», le PJD l’a démontré, peuvent accéder au pouvoir pour peu que les électeurs leur en donnent l’occasion. Ils sont conscients que s’ils ne votent pas et ne participent pas à la chose politique, d’autres le feront à leur place et en leur nom. Cela d’autant que la prestation du PJD, après deux années et demie au pouvoir, est décevante à plus d’un égard. «Le PJD a déçu ses électeurs, particulièrement ceux de la classe moyenne. Son obstination à chercher, non pas des moyens pour réussir, mais des excuses et des justifications pour son échec a déçu», affirme Mohamed Darif. Du coup, les élites, les cadres et la classe moyenne sont à l’affût d’autres offres politiques. C’est dire combien le terrain est encore largement inexploité.
