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Pouvoirs

Covid-19 : l’islam politique aurait-il perdu définitivement du terrain ?

• Avec la fermeture des mosquées et autres rassemblements religieux, la mouvance islamiste est coupée de ses relais.
• La rationalisation et le contrôle du dispositif d’aides, financières et en nature, aux personnes démunies les ont également affectés.
• La transparence de l’Etat dans la gestion de la crise du Covid-19 a empêché les mouvements islamistes d’exploiter ses effets.

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Il y a une semaine, les familles et les proches des victimes des attentats du 16 mai 2003 commémoraient le 17e anniversaire de ces tragiques événements. C’est une date marquant dans l’histoire du Maroc. Ces évènements dramatiques ont constitué un point d’inflexion dans l’approche du fait religieux. Il y a eu une prise de conscience générale sur la nécessité de revenir à l’islam marocain et de reconstruire le champ religieux. C’était d’ailleurs, et c’est toujours, l’un des trois piliers de lutte contre le terrorisme. Les autorités compétentes, le ministère des habous notamment, y sont clairement arrivées. Nul ne le conteste. A tel point que lorsqu’il a été décidé de fermer les mosquées, il y a près de deux mois, comme une des mesures préventives prises pour endiguer la propagation du Coronavirus, personne n’a contesté cette décision. Presque personne, à vrai dire, puisque certaines voix discordantes se sont manifestées, mais ont vite été rappelées à l’ordre par l’opinion publique. Sommes-nous en train de négocier un nouveau tournant en la matière? Nul doute que oui. Mais de là à poser sur la table les questions qui font encore objet de discorde, comme les libertés individuelles, la question de l’héritage ou comment en finir une fois pour toutes avec l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques… Les jours à venir nous le diront. Pour l’heure un grand pas a déjà été franchi. Car, comme l’a bien expliqué le Conseil supérieur des oulémas (CSO) dans un avis rendu en les circonstances – à la veille du Ramadan -, «la préservation de la vie contre tous les périls prime, du point de vue de la Charia, sur tout autre acte». Notre pays, a-t-il expliqué, comme un peu partout dans le monde, a décrété l’état d’urgence sanitaire pour protéger sa population contre l’épidémie, avec les mesures d’interdiction des rassemblements qui font planer le risque de contagion menaçant la santé, voire la vie. C’est la raison pour laquelle le Conseil supérieur des Oulémas a émis, auparavant, une Fatwa en réponse à une demande adressée par SM le Roi, Amir Al Mouminine, stipulant la fermeture des mosquées, et sur la base de cette même urgence, les autorités sanitaires et administratives ont recommandé l’obligation de rester à domicile et à ne sortir qu’en cas de nécessité extrême.

Quand la société s’immunise contre l’extrémisme

Là encore, au début, cette consigne a été bravée par quelques islamistes. Des rassemblements ont ainsi eu lieu, l’espace d’une soirée, dans quelques villes, mais l’incident est clos et donc resté sans lendemain. Les citoyens ont bien compris que ce genre de comportement n’a pas lieu d’être. Depuis, plus aucun incident public du genre n’a été enregistré. Il faut dire que le Conseil supérieur des oulémas a, en réalité, émis trois avis jugés avant-gardistes. La réaction des Marocains aux décisions qui en ont découlé en dit long sur la pertinence du processus mené, le long de ces 17 dernières années, dans le cadre de la restructuration du champ religieux. Dans d’autres pays musulmans, la fermeture des mosquées a provoqué une vague de manifestations, et même des réactions violentes de la population. Ainsi, cet avis religieux autorisant la fermeture des mosquées pour éviter les rassemblements, et donc la propagation du virus, a été largement accepté par les Marocains, tout comme ils ont accepté l’interdiction, pour le moment, des moussems religieux. Le second avis porte sur l’observation, très ancrée dans la société, des prières des tarawih. Il faut dire quand dans ce cas, avant même que le CSO ne publie son avis, certains chioukhs et autres prédicateurs avaient relevé la pertinence de renoncer à ces prières rogatoires collectives dans les mosquées dans la situation actuelle. Il y a à peine quelques jours, le CSO vient de réitérer un ancien avis, d’une grande importance aujourd’hui, selon lequel les Marocains peuvent s’acquitter de la «zakat al fitr», aumône purificatrice du jeûne de Ramadan, en argent, avec précision d’un montant minimum. Là encore, certaines personnalités du domaine religieux ont encouragé les chefs de ménages à verser le montant de cette «zakat» au Fonds spécial Covid-19, puisque, dans les deux cas, la finalité est la même : venir en aide aux personnes en situation de précarité. Un autre avis vient conforter cette propension à profiter des permissions de tous genres accordées par la religion pour préserver la vie et l’intégrité physique des croyants. C’est ainsi que sur demande du ministère de la santé, le CSO a estimé que les personnes décédées du Covid-19 au Maroc peuvent être inhumées sans lavage (ablutions funèbres). Selon cet avis rendu par l’Instance scientifique de l’Iftaa qui relève du CSO, il est prioritaire de préserver les vies de ceux qui sont chargés de la tâche de laver les morts du Covid-19. Car, si l’Islam a appelé à préserver la dignité des morts (ablutions funèbres, prière et sépulture), il a aussi tenu à préserver la vie d’autrui.

L’Etat reprend ses droits

C’est ainsi que le droit à la vie reprend le dessus sur toute autre considération. C’est dans cette logique que, plus globalement, la Omra a été suspendue depuis mars dernier et ce sera fort probablement le cas du pèlerinage. Du coup, le verset : «Nulle contrainte en religion» (la ikraha fiddine), recouvre tout son sens. Les Marocains ont ainsi décidé de vivre leur religiosité et leur spiritualité en privé, loin des comportements ostentatoires, jusque-là habituels. Les Marocains, explique Said Lekhal, chercheur dans le domaine de l’islam politique et des mouvances islamistes, «ont pris conscience aujourd’hui que l’Etat, avec ses institutions sanitaires et sécuritaires, est le seul à pouvoir préserver leur sécurité. Ils ont découvert que les islamistes, avec toutes leurs colorations, ne peuvent rien pour eux. Ces circonstances particulières leur ont montré que l’Etat est plus soucieux pour leur vie et leur sécurité que les mouvements islamistes qui profitent le plus souvent des crises pour leurs propres intérêts». Sur l’échelle des valeurs, le fait religieux a reculé devant les nécessités et les besoins réels et concrets de la société. Les débats animés sur les réseaux sociaux et les plateformes de diffusion libre parlent plus d’hôpitaux, de médecins, d’enseignement, de relance de l’économie…, ils échangent des faits, des chiffres et des tendances. Le discours moralisateur et la prédication naguère très présents ont été relégués à l’arrière-plan. Les citoyens demandent aujourd’hui des solutions réelles et des mesures concrètes pour leurs problèmes du jour. Dans le discours public, dans les débats et les discussions sur les réseaux sociaux animés par des personnalités de tous bords, le rationnel a pris le dessus sur la morale. Ce qui fait dire à Abdellatif Aguenouch, ancien professeur de droit et auteur d’un livre sur la «politique positive du temps de Prophète et des Califes bien guidés», que la situation actuelle «nous a imposé à tous, individus, société et élites politiques de débattre en s’appuyant sur des chiffres et ces statistiques et rien de plus. Dans ce début de modernisme démocratique, les orateurs, les tribuns et les idéologues n’ont plus droit de cité. Le discours politique basé sur la religion ne passe plus». D’aucun y voient déjà des signes annonciateurs de la fin de l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques.

Phénomène global ?

Le fait est, explique Hani Salem Mashour, qu’un spécialiste arabe des mouvements islamistes dans la région Mena, la plupart des Etats de la région «ont géré la pandémie en toute transparence tout en mobilisant un grand nombre de département gouvernementaux. Ce qui n’a laissé aucune brèche aux mouvances de l’islam politique pour tenter d’influencer la population et exploiter politiquement cette crise. Les Etats ont fait leur possible avec les moyens dont ils disposent pour mieux gérer la pandémie». Au Maroc plus précisément, en plus de les priver de leurs canaux de transmission de leur discours, avec la fermeture des lieux de culte et l’interdiction des rassemblement qui devrait sans doute se prolonger bien après la fin du confinement médical, ces acteurs politique qui prennent la religion pour tremplin électoral ont été également privés de l’un des outils les plus efficaces de la mobilisation politique : les aides directes. Là encore, l’Etat a repris la place qui a toujours été sienne, soit un acteur neutre qui agit, notamment, en faveur de la population défavorisée sans autres considérations. L’islam politique perd du terrain à vue d’œil. A peine la crise du Covid-19 déclenchée, un élan de solidarité a vu le jour. Des entreprises et groupes industriels, mais également des personnes physiques et des institutionnels se sont joints à cet élan de solidarité envers les personnes démunies. Des donneries alimentaires et autres dons en nature ont été distribués un peu partout dans le pays avec l’avènement du Ramadan, cet élan a pris encore plus d’importance. Depuis le début, la Fondation Mohammed V pour la solidarité avait prévenu «toute personne ou entité souhaitant faire un don en nature pour participer à la lutte contre le Coronavirus devait prendre directement attache avec les ministères de l’intérieur et de la santé, de manière à ce que leur acte solidaire serve directement à soutenir les efforts déployés par la santé publique et les autorités locales». Le processus est ainsi verrouillé et les autorités viellent au grain.
Toute personne et toute entité souhaitant faire un don en nature, notamment en matière d’équipements et consommables médicaux, produits alimentaires et d’hygiène devrait donc prendre directement attache avec le ministère de l’intérieur et le ministère de la santé. Les autorités ont d’ailleurs veillé à ce que cette consigne soit respectée. Ce qui n’a pas été apprécié par les parties qui se servent de cette forme de «générosité» à des fins électorales. Des incidents, certes isolés et somme toute insignifiants, ont néanmoins été enregistrés dans certaines régions, mettant en confrontation les autorités avec certaines parties réfractaires. En parlant justement de confrontation, celles qui opposent régulièrement en cette période de l’année une certaine mouvance islamiste et les forces de l’ordre n’ont finalement pas eu lieu cette année. Et pour cause. Contrainte par l’obligation de respecter l’état d’urgence sanitaire, cette mouvance, a opté cette année pour les réseaux sociaux pour sa «retraite spirituelle», observée en «ligne», et ses veillées ramadanesques, qu’elle avait l’habitude d’organiser dans les mosquées qu’elle occupait de force. En définitive, malgré toutes leurs tentatives d’occuper le terrain, même via les réseaux sociaux, il semble que les mouvances islamistes marocaines ont manifestement perdu. Du moins, durant ces deux derniers mois.

L’islam politique