Pouvoirs
Corruption : des chiffres qui font peur
Une enquête a été menée par Transparency Maroc auprès
de 1 000 ménages et de 400 entreprises.
La police de la circulation, la gendarmerie, la santé, l’administration
territoriale sont parmi les corps les plus touchés.
Les entreprises la considèrent comme le deuxième obstacle à
leur développement, après les impôts.
Le discours omniprésent de moralisation, loin de la faire reculer, la banalise
car il n’est pas accompagné d’actions efficientes sur le terrain.

Transparency Maroc (TM) a rendu publics, samedi 3 janvier, les résultats de ses «Enquêtes intégrité», réalisées avec le concours de Transparency International, entre décembre 2001 et mars 2002, pour mesurer la nature, l’étendue et les manifestations du fléau de la corruption au Maroc. Ce fut incontestablement un des moments forts dans la vie de l’association qui souffle sa huitième bougie en ce mois de janvier 2004. La synthèse des résultats de ces enquêtes, qui fait tout de même quelque 80 pages, est actuellement sous presse.
Cette synthèse fourmille de statistiques sur la perception de l’ampleur du fléau de la corruption par le grand public et par le monde des affaires. Elle n’est pourtant qu’un résumé d’un rapport beaucoup plus volumineux. «Les résultats des Enquêtes intégrité courent sur près de 700 pages», a déclaré à La Vie éco, Azzeddine Akesbi, membre du bureau exécutif de TM et superviseur des travaux des enquêteurs. Il précise d’emblée que ces résultats ne sont, en aucune façon, «l’œuvre de la Banque mondiale comme l’a récemment annoncé le quotidien arabophone Al Ahdath al Maghribia. C’est un travail réalisé avec la participation de deux bureaux d’études (LMS Marketing et CSA-TMO), et ce sont nos militants qui ont encadré l’ensemble du travail sur le plan méthodologique. Ces enquêtes nous ont coûté à peu près 700 000 dirhams».
Elle est perçue comme une pratique généralisée
De quoi s’agit-il ? L’étude est, en fait, un sondage réalisé dans 13 villes et leur localités rurales et semi-rurales avoisinantes, auprès de 1000 chefs de ménages (dont 21% de femmes), de 400 entreprises, dont 320 opérant dans le formel et 80 dans l’informel. Le tout appuyé par six focus groupes composés de personnes informées et représentant les différents secteurs de la société. L’enquête a été menée entre octobre et novembre 2001
L’objectif primaire de l’étude était de recueillir un maximum d’informations sur le phénomène de la corruption et sur la manière dont il est perçu par le grand public et par le monde des affaires. L’autre objectif que s’est fixé TM en réalisant ces enquêtes est de se doter d’un outil de travail : «Les résultats des enquêtes aideront TM à repérer les zones à problèmes, à définir les priorités, à cibler et à concevoir des stratégies nationales pertinentes de lutte contre la corruption». Trois principaux enseignements peuvent être tirés de ce travail.
Tout d’abord, la corruption est l’un de trois fléaux les plus importants qui rongent la société marocaine. Le sondage révèle que 87% des chefs de ménages perçoivent la corruption comme le troisième mal dont souffrent les Marocains après le chômage (98%) et le coût élevé de la vie (92%). Les entreprises, quant à elles, la considèrent comme le deuxième obstacle à leur développement (94%) après les impôts (96%).
Concernant les raisons qui favorisent le développement du phénomène, les résultats des enquêtes en révèlent quelques-unes, dont l’impunité, qui arrive en tête. L’absence de sanctions contre ceux qui la pratiquent, le désir de s’enrichir et le bas niveau des salaires sont les raisons les plus citées par les personnes sondées.
Autre constat mis en exergue : aucune excuse n’est acceptable pour l’auteur de la corruption.
Deuxième grand enseignement : la corruption est une pratique généralisée qui touche tous les corps de l’Etat et les institutions publiques tous secteurs confondus. Les hommes politiques n’y échappent pas non plus. Et aussi bien les chefs d’entreprises que les chefs de ménages accusent, par ordre d’importance, les agents de la police de la circulation, les mokaddems et les chioukhs, la gendarmerie, les ministères du Transport et de la Santé publique, la Douane, l’administration locale, la magistrature et les percepteurs. Cette généralisation est telle, remarque Azzeddine Akesbi que, «dans la Justice, ce sont les avocats qui servent d’intermédiaires».
La corruption exacerbée en période électorale
Dans le domaine de la politique, la corruption est fréquente, affirment 69% des chefs de ménages et elle est encore plus exacerbée pendant les périodes électorales.
Le troisième enseignement à tirer des enquêtes intégrité est que, loin de régresser ou de stagner, la corruption a connu une augmentation constante durant les trois dernières années (de 1998 à 2001). Pendant cette période, la grande corruption a augmenté, selon 40% des entrepreneurs et 33% de chefs de ménages. La petite corruption a connu la même progression, selon 44% des entrepreneurs et 41% des chefs de ménage.
Au vu de ces résultats, il serait intéressant de savoir comment TM juge la situation de la corruption, presque deux années après la fin de ces enquêtes. Est-elle en augmentation ou en diminution ? «Si l’on prend en considération l’indice de la perception de la corruption de Transparency International, le Maroc a dégringolé cette année du 54e au 70e rang. Et il n’y a pas de mystère car, on a beau parler de moralisation de la vie publique, rien ne se fait dans la réalité. Ce qui est grave, c’est que le discours de moralisation n’a rien donné sur le terrain et cela contribue, en quelque sorte, à la banalisation de la corruption. L’impunité n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui», ajoute un cadre de TM.
Et ce n’est donc pas un hasard si TM a choisi «La primauté de la loi, pilier de la transparence» comme slogan fédérateur pour ses actions à l’occasion de la huitième journée nationale de lutte contre la corruption, célébrée le 6 janvier 2004.
