Pouvoirs
Corcas : ce qui doit être réformé
Durant ses quatre ans d’existence, ses commissions n’ont jamais fonctionné et les études et travaux ont été très limités.
Il a son siège à Rabat et pas d’antennes locales au Sahara : un manque de proximité évident avec les populations locales.
Les prérogatives du président sont trop larges et peuvent amener à l’immobilisme de l’institution.
Il n’est pas assez ouvert sur la société civile et les anciens ralliés du Polisario.

Le Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (Corcas) revient, de nouveau, sur le devant de la scène. Et en force. Samedi 6 Novembre, le Souverain, dans son discours de la Marche Verte, évoquait la nécessité de réformer cet organe, créé le 25 mars 2006, et devant servir d’interface avec les populations sahariennes. Il y a un an, le 6 Novembre également, Mohammed VI avait déjà appelé à cette nécessaire restructuration. Nécessaire, parce qu’avec les récents événements qu’a connus la ville de Laâyoune, l’installation du campement de Gdeim Izik et les troubles qui s’ensuivirent, on s’interroge sur le rôle qu’aurait pu jouer le conseil pour prévenir ce genre de situation, alors qu’il n’a visiblement pas joué de rôle actif, en tant qu’institution, dans les négociations entamées par l’Etat avec les manifestants.
«Si le Corcas avait assumé pleinement sa mission, ces évènements qu’a connus Laâyoune auraient pu être évités», avance Ahmed Salem Latafi, membre du Corcas. Ce dernier tient néanmoins à nuancer ses propos. «Certes, le Corcas ne pouvait pas, à lui seul, nous éviter cette situation, mais il aurait néanmoins contribué, en partie, à enrayer ses causes». Le raisonnement est simple. Le Corcas compte, en effet, parmi ses instances des commissions censées être à l’écoute de la population sahraouie, identifier ses besoins et recueillir ses doléances et tenter d’y apporter des solutions. Pour Ahmed Salem Latafi, également membre du bureau politique du PPS et chargé du suivi de la question du Sahara, si la commission chargée des affaires sociales et du développement humain ou celle des affaires économiques travaillaient convenablement, elles auraient pu canaliser les attentes et revendications des protestataires avant que la situation ne dégénère. Mais cela n’a pas été le cas. Pire, soutient Mustapha Naïmi, professeur universitaire spécialiste du Sahara, «ces commissions (au nombre de cinq) ne se sont jamais réunies depuis leur constitution». Ce qui fait dire à cet expert, également membre du conseil, que l’institution est devenue au fil du temps «une coquille vide». «C’est un instrument qui n’a jamais fonctionné», assène-t-il. Ahmed Salem Latafi confirme : «Hormis les sessions ordinaires et les quelques rapports et exposés présentés lors de ces sessions, la production du conseil est quasiment nulle». Ce qui ne signifie pas pour autant que le conseil a complètement sombré dans l’inertie. Le Corcas, concède-t-il, a été invité à réfléchir sur le plan d’autonomie. Il a soumis en ce sens un avis au Roi. Il a également réalisé, lors de sa première année d’existence, quelques exposés notamment sur la situation des droits de l’homme, des secteurs de la santé et de l’habitat dans les régions. Ce qui, selon ce dirigeant politique, est loin d’être suffisant. Et il n’est pas le seul à relever un autre défaut, celui du manque d’ancrage au niveau local. «72 des 141 membres du Corcas résident à Laâyoune. Le conseil, installé à Rabat, aurait pu ouvrir une antenne locale pour être proche de la population de la ville. Cela lui permettrait de recueillir et de répondre aux doléances de la population. Les revendications qui dépasseraient les compétences de cette représentation locale pourraient être traitées en session ordinaire», fait noter, pour sa part, Mohamed Taleb, acteur associatif et membre de l’institution.
Il y a conseiller et conseiller…
Pour l’heure, ce schéma de fonctionnement n’est qu’un vœu pieux. Dans l’état actuel, le Corcas est loin de faire l’unanimité autour de lui. Les griefs retenus contre l’institution sont nombreux. Les membres interrogés regrettent que le texte fondateur ait donné des pouvoirs jugés «excessifs» au président, en l’occurrence Khalihenna Ould Rachid. En effet, «le président, qui dirige les réunions du conseil, fixe l’ordre du jour, (…) et établit le budget annuel du conseil dont il est l’ordonnateur, est assisté par un bureau composé de neuf vice-présidents (…). Le président est le porte-parole officiel du conseil et l’interlocuteur officiel vis-à-vis des autorités publiques et des organismes et institutions internationaux», lit-on dans les articles 8, 10 et 12, du Dahir portant création du Corcas.
En définitive, le texte instituant le Corcas, «a concentré tous les pouvoirs aux mains du président et marginalisé les autres instances du conseil, les commissions notamment», font observer les trois membres. De plus, regrette Mustapha Naïmi, «les conseillers ne sont pas traités sur un pied d’égalité. Il existe des conseillers de première et de seconde catégorie».
Tout n’est pas sombre dans les quatre premières années d’existence du conseil, se défend Chiba Mae El Ainine, également membre du conseil. D’abord, nuance ce membre du comité exécutif du parti de l’Istiqlal, «le conseil n’en est qu’à son premier mandat. Et comme toute nouvelle instance, il peut être sujet à des imperfections et quelques dysfonctionnements qui peuvent être évités dans l’avenir. Tout est améliorable et perfectible ». Pour ce dirigeant de l’Istiqlal, si le bureau du conseil n’a jamais été renouvelé, comme le revendiquent certains membres, c’est parce que «le besoin d’un tel changement ne s’est pas fait sentir. Le travail du président secondé par le bureau (composé de 9 membres) n’a jamais été ouvertement mis en cause pendant les travaux des sessions». Ce même responsable estime, par ailleurs, que si les commissions ne fonctionnaient pas normalement, c’est «parce que leurs prérogatives et mode de leur fonctionnement ne sont pas clairement définis dans les textes». Un avis que ne partage pas, selon nos autres interlocuteurs, la majorité des membres. «Une majorité des conseillers a, à maintes reprises, désapprouvé publiquement la gestion du Corcas. Nous n’avons pas cessé de pointer du doigt ces dysfonctionnements», affirme Mustapha Naïmi. Son collègue Ahmed Salem Latafi, renvoie, lui, sur le dernier discours royal du 6 Novembre. «Ce n’est pas un hasard si le Roi a évoqué la prochaine mise en place d’une nouvelle gouvernance du conseil», argumente-t-il. Et d’ajouter que c’est un constat d’échec de la gestion actuelle. Ce à quoi Chiba Mae El Ainine répond que «la bonne gouvernance est un credo qui ne vaut pas seulement pour le conseil, mais pour toutes les administrations et institutions publiques».
En somme, ce clivage au sein du conseil et une gestion décriée ont conduit le Corcas à la situation qui est la sienne aujourd’hui. Cela d’autant que, depuis le 25 mars dernier, la situation légale de l’institution est devenue ambiguë. Le dahir portant création du Corcas prévoit le renouvellement total de ses membres et instances au terme d’un mandat de quatre années qui a pris fin il y a plus de six mois.
De toutes les façons, il est évident qu’il faudra faire table rase du passé. Un dahir sera promulgué prochainement, précise le discours royal. Les principaux axes de la restructuration sont précisés par ce discours. Ils sont au nombre de trois : démocratisation de la composition du conseil, adoption d’une nouvelle gouvernance et élargissement de ses compétences.
Une restructuration à trois niveaux
En attendant la promulgation du texte portant la nouvelle formule du Corcas, les membres tentent déjà quelques pistes de réforme. Ils sont unanimes sur la révision de la composition dans le sens d’une large ouverture sur les acteurs locaux, associatifs, cadres universitaires et autres. De plus, Ahmed Salem Latafi estime que dans sa forme actuelle, l’institution est très lourde et «en réduisant le nombre des membres et en jouant sur la qualité plus que le nombre, le fonctionnement de l’institution pourrait y gagner en célérité et efficacité». Mustapha Naïmi ne semble pas de cet avis. «Peu importe le nombre, qu’il soit réduit de moitié ou triplé, l’important c’est que les structures, les commissions plus particulièrement, soient dotées de moyens juridiques et matériels leur permettant de fonctionner normalement», explique-t-il. Cet universitaire espère néanmoins que la nouvelle reconfiguration réduirait l’influence des notables et des chioukhs. Espoir que caresse également Mohamed Taleb, pour qui le conseil «gagnerait à mettre en avant certaines compétences, comme les universitaires, les acteurs associatifs, mais aussi les ralliés et anciens prisonniers du Polisario. Ces deux dernières catégories seraient plus crédibles auprès de l’opinion publique internationale». Car, pour cet acteur associatif, la démographie de la région a radicalement changé depuis ces dernières décennies et «seul le critère de citoyenneté devrait être pris en compte dans la formation du conseil».
Une transition vers un Parlement local ?
La carte de la population locale s’est, en effet, métamorphosée depuis la création, en 1979, du Conseil royal ad hoc, ancêtre de l’actuel Corcas, lui-même ayant succédé à la Commission royale chargée du suivi des affaires du Sahara, créée en 1999 et, auparavant, à l’ancien Conseil consultatif des affaires du Sahara instauré en 1981. D’où cette décision royale de renforcer l’ouverture du conseil sur «les nouvelles élites, notamment parmi les organisations de la société civile locale, dont les associations des droits de l’homme, des jeunes et des femmes, ainsi que les forces productives et les représentants des citoyens ayant rallié la patrie et des résidents à l’étranger».
Outre la composition, la gestion du conseil sera également revue. Le discours royal annonce la prochaine «adoption d’une nouvelle gouvernance de nature à garantir la rationalisation des structures et des modes de fonctionnement du conseil». Les membres espèrent voir révisées les prérogatives du président. «La mission du président devrait être réduite au rôle de coordinateur conseil», affirment Mustapha Naïmi et Mohamed Taleb. Il ne faut pas non plus oublier la question de la rémunération des ressources humaines : dans le dahir régissant le conseil les membres du Corcas sont bénévoles et ne perçoivent que des indemnités de déplacement ou autres. Or, dans la nouvelle vision, il doivent assurer un travail à temps plein et devoir rendre des comptes.
Par ailleurs, les membres se prononcent pour une nouvelle politique de proximité par l’ouverture d’antennes locales. La diplomatie parallèle ne devrait pas être en reste. Les membres appellent à une meilleure organisation et planification des missions à l’étranger. Car, comme l’a soutenu Mohamed Elyazghi, ministre d’Etat (USFP), lors d’une récente sortie médiatique, «le Corcas est destiné à l’opinion publique internationale». Le message à transmettre à la communauté internationale étant clair : le Polisario n’est pas l’unique représentant des Sahraouis. C’est sans doute pour cette raison que le secrétaire général du conseil Maouelainin Ben Khalihanna Maouelainin, a participé, les 8 et 9 novembre à New York, à la 3e réunion informelle, préparatoire au 5e round de négociations sur le Sahara.
Enfin, le Corcas devrait également assumer, de l’avis de Chiba Mae El Ainine, le rôle d’accompagnateur dans la mise en place de la régionalisation avancée et plus tard du plan d’autonomie dans la région. Le conseil dispose déjà d’une certaine expérience en la matière. Il avait préparé et débattu lors de ses premières sessions des études et élaboré des propositions concrètes pour le développement local dans les domaines aussi variés que les communications, le transport, la pêche, l’habitat et l’emploi. Sur le plan politique, des observateurs voient même en cette institution un organe de transition vers un véritable Parlement régional. En attendant, le Corcas se doit de surmonter ses propres handicaps et faire montre d’esprit d’innovation et de capacité de prendre des initiatives et surtout reconquérir l’estime de la population locale.
