Pouvoirs
Constitution : les articles qui vont changer
Plusieurs questions, relatives notamment à la répartition des pouvoirs, accapareront le gros des concertations. Les partis politiques, les syndicats, la société civile et les jeunes appelés à présenter leurs propositions. L’option des élections anticipées et la dissolution du Parlement écartée. La commission entame ses travaux et les partis de la majorité
se concertent.
Il y aura désormais un avant et un après 9 mars. Et si tout le monde a déjà enterré l’avant, l’après, lui, est encore à construire. Chacun y apporte sa contribution. Le Roi en a déjà posé les jalons, par ce discours du 9 mars, qui restera dans l’Histoire. Les politiques et les académiciens tentent d’en cerner les contours et la commission chargée d’élaborer un projet de réforme de la Constitution s’attelle déjà à lui donner corps. Elle a tenu à cet effet sa première réunion mardi 15 mars pour examiner la méthodologie de travail. D’ici juin, les Marocains auront une idée de la nouvelle manière dont sera géré le pays et la répartition des prérogatives quant à ses affaires publiques. Certains, impatients, trouvent ce délai trop long, alors que d’autres, conscients de l’immensité du chantier ouvert par le Roi, le trouvent, au contraire, trop court pour une telle révolution. «Le délai accordé à la commission est suffisant pour la tâche qui lui a été confiée», rassurait son président, Abdellatif Mennouni, au lendemain de ce discours du 9 mars. Ce constitutionnaliste, ancien membre de l’UNFP et l’un des fondateurs de la CDT, affirme néanmoins que «de toutes les manières si le besoin se fait sentir, la commission pourra toujours demander un délai supplémentaire». Ce qui bouscule un peu les partis politiques, littéralement pris de court par le discours royal. Ils se sont certes empressés d’applaudir l’initiative royale, mais ce qui leur est demandé aujourd’hui c’est beaucoup plus que leur approbation. «À trop applaudir, les partis risquent par ne pas entendre les messages qui leur sont destinés», fait noter un politologue. Des partis, on exige justement une contribution effective à la construction du nouveau Maroc. Pour ce faire, un instrument, présidé par le conseiller royal, Mohamed Mouâtassim, a été créé pour recueillir leurs propositions, mais également celle des syndicats, de la société civile des jeunes du mouvement du 20 Février et de toutes les forces vives de la nation. «Il ne s’agit pas seulement de les écouter, mais de se concerter avec eux pour arriver à une solution acceptée de tous», précisera Abdellatif Mennouni, le jour même de l’installation de la commission par le Roi. Est-ce suffisant ? Constitutionnalistes et hommes politiques estiment que non. «Il faut ouvrir un débat dans les médias publics, inviter des spécialistes pour expliquer, notamment aux jeunes du mouvement du 20 Février, l’étendue des réformes envisagées», estime Abderrahman Baniyahya, professeur de droit constitutionnel.
Les partis se lancent à la reconquête de l’espace politique
Alors que la commission n’est qu’au début de ses travaux, les partis politiques s’activent déjà. Selon des sources concordantes, le Premier ministre Abbas El Fassi a reçu, en sa qualité de SG de l’Istiqlal, les responsables de partis politiques de la majorité comme de l’opposition au lendemain de l’installation de cette commission. La teneur des discussions n’a pas été communiquée, mais elles concernent certainement les nouvelles réformes de la Constitution. Sur ce même registre, un projet de mémorandum de réformes constitutionnelles signé, début 2007, par trois partis de la Koutla, l’USFP, l’Istiqlal et le PPS, a été fuité dernièrement dans les médias. Le syndicat de la presse vient, lui aussi, de rendre public un projet de réforme alors qu’une coordination des jeunes du 20 Février a communiqué, lundi, au lendemain de la dispersion musclée d’une manifestation à Casablanca, une liste de revendications de réformes.
La Constitution pourrait prévoir des règles de transition pour éviter les élections anticipées
Mais, au fait, qu’est-ce qui va être réformé au juste dans la Constitution ? «Le discours a donné un aperçu des champs réformables. D’autres, non cités par le Roi, peuvent être concernés. C’est un travail ouvert et les champs concernés par la réforme sont larges et variés», assure Omar Azziman, membre de la commission, qui intervenait lors d’une conférence de presse tenue le 10 mars. Une nouvelle Constitution donc. «Pas tout à fait. Le projet s’inscrit dans la continuité. J’estime, néanmoins, qu’une large réforme donne lieu à une nouvelle Constitution», précise le président de la commission. «La réforme va toucher presque tous les articles de la Constitution. C’est une révision globale qui donnera lieu à une nouvelle Constitution», estime Youness Berrada, professeur de droit constitutionnel à l’université de Meknès. L’article 19 sera-t-il touché ? «L’article 19 est la clé de voûte du système politique marocain. S’il est touché c’est tout le système qui le sera. Tout changement à ce niveau sera un changement radical dans la réalité des pouvoirs au Maroc», explique-t-il.
De toutes les manières, estime ce spécialiste du droit constitutionnel, la réforme de la Constitution n’est qu’un début. «On va certes réformer le texte, mais il faut encore en faire autant pour le contexte», observe ce professeur de droit. Pour lui, la réforme de la Constitution ne sera pas perceptible si elle ne se reflète pas dans la réalité économique et sociale de la population. Au cas contraire, «l’on risque de se retrouver au point de départ, manque de confiance dans les institutions, non-respect de la loi et impunité», prévient M. Berrada.
Pour l’heure, il faut attendre la mouture qui sera présentée par la commission pour en avoir le cœur net. Son adoption implique immédiatement quelques changements. Des élections anticipées, par exemple ? «La tenue ou non d’élections anticipées est une décision politique, avance Abdellatif Mennouni. Mais, après la ratification de la Constitution, se posera la question des élections à la deuxième Chambre». Il se peut très bien que le texte prévoit des règles de transition. Ce fut le cas en 1996, la Constitution réformée avait autorisé le Parlement d’alors d’exercer pleinement ses attributions en attendant la tenue des élections survenues une année plus tard, en 1997. Cette option est d’autant plus probable que, selon certaines sources partisanes, les nouveaux textes électoraux ne seront probablement pas promulgués avant mars 2012. Il faudra aussi donner le temps aux partis politiques de resserrer leurs rangs avant d’affronter les élections législatives. Pour certains, l’USFP et le RNI notamment, cela passera par l’organisation de leurs congrès. Car, et il faut bien le dire, sans partis politiques forts, capables d’assumer leurs responsabilités, que ce soit au niveau du Parlement ou du gouvernement, ayant également le courage d’obéir à leurs convictions plutôt que l’intérêt de leur dirigeants, la réforme de la Constitution, aussi audacieuse soit-elle, serait un coup d’épée dans l’eau.
En attendant, les interrogations fusent ? Quid des pouvoirs du Premier ministre ? Quelle distinction faire entre Imarat Al Mouminine et le rôle de la monarchie en tant qu’institution ? Comment concrétiser ce Parlement aux pouvoirs renforcés ? Quid de la langue amazigh ? Esquisses de réponses dans les pages suivantes…
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