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Pouvoirs

Comment l’opposition voit le gouvernement

Six mois après sa nomination,
le style El Fassi reste difficile à  évaluer.
Hausse des denrées alimentaires, réévaluation du Smig et hausse du pétrole
l’obligent à  rouvrir des dossiers difficiles évités par ses prédécesseurs.
Un gouvernement actif, mais en mal de coordination ?

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Le premier printemps du gouvernement El Fassi s’annonce ardu, desservi par une conjoncture plutôt défavorable. A un mois du 1er Mai, la grogne monte, et les protestations se poursuivent. Lancées peu avant les élections législatives de septembre 2007, les coordinations de lutte contre la hausse des prix continuent de s’activer, deux nouvelles actions étant d’ailleurs prévues les samedi 12 et jeudi 17 avril prochain, l’une à  Rabat, l’autre dans plusieurs villes du Royaume. Pendant ce temps, malgré une amorce de dialogue avec le gouvernement, les syndicats retroussent leurs manches, en attendant le véritable démarrage des discussions, annoncé pour le mois de mars courant, mais sans qu’une date précise ne soit encore fixée. Parmi eux, l’UNTM, proche du PJD, prévoit un sit-in dans la capitale ce dimanche, destiné à  remplacer celui du 23 mars, qui avait été interdit par les autorités.

Actualité oblige, la hausse du prix des denrées alimentaires, la révision du fonctionnement de la Caisse de compensation et l’augmentation du Smig n’ont pas tardé à  faire irruption dans le discours des syndicalistes et des politiques. Ces derniers reprochent à  l’équipe El Fassi de tarder à  prendre les mesures adéquates, quand ils ne l’accusent pas de chercher à  gagner du temps en attendant la fin de la saison syndicale. «Quand j’entends dire qu’on va peut-être augmenter le Smig, etc., mais pas avant 2009, c’est de la politique. Les gens attendent le gouvernement sur le prix du sucre, le prix à  la pompe, la farine, la semoule. Que vont-ils faire d’ici 2009 ?», s’indigne Najib Boulif, député PJD. «C’est sûr qu’il y a des facteurs exogènes, un renchérissement des coûts à  l’international. On nous parle de la Caisse de compensation, de la révision de son budget qui devrait se révéler insuffisant puisque les bases sur lesquelles il a été calculé sont aujourd’hui complètement chamboulées. Le gouvernement promet de réformer la Caisse de compensation, mais il n’a toujours rien fait, alors que le premier trimestre de l’année s’est déjà  achevé», prévient Mohand Laenser, secrétaire général du Mouvement populaire. Le ministre sortant de l’agriculture ne se prive d’ailleurs pas d’envoyer quelques piques au gouvernement, en relation avec le récent rapport de la Banque mondiale sur l’éducation au Maroc. Une lecture critique partagées par le secrétaire général du PSU, Mohamed Moujahid, qui insiste sur le recul observé en matière de respect des droits de l’homme, évoquant le cas des 6 politiques mis en cause dans l’affaire Belliraj et celui de la dissolution du parti Al Badil Al Hadari, considérée comme abusive et précipitée.

El Fassi vs Jettou ? Comparaison n’est pas raison
Six mois après l’entrée en scène du gouvernement actuel le 15 octobre 2007, les premières comparaisons avec le gouvernement Jettou commencent déjà  à  se faire entendre. «Même si le gouvernement n’est pas présent depuis assez longtemps et que, objectivement, on ne peut pas encore parler de bilan, il suffit de regarder ce qu’il a fait pour se rendre compte qu’en dehors de l’achèvement de quelques dossiers de l’ancien gouvernement, il n’y a pas eu d’action réellement nouvelle», accuse M. Laenser.

Une comparaison entre les deux gouvernements est-elle vraiment possible ? Héritier d’une série de dossiers ultra sensibles du gouvernement Jettou, à  l’instar du problème de la couverture médicale, mais aussi d’autres, remis au goût du jour par l’actualité, comme celui de la Caisse de compensation, le gouvernement El Fassi, selon Najib Akesbi, a hérité d’une «patate chaude que les gouvernements se refilent depuis plus 25 ans», et de rappeler que les émeutes de la faim de 1981 avaient déjà  eu pour objet la hausse des prix et une tentative de renoncer aux subventions, de supprimer la Caisse de compensation. «Depuis 30 ans, chaque gouvernement commence son mandat en promettant de lancer une étude et de régler ce problème. La différence par rapport aux gouvernements précédents, c’est que le coût d’un maintien de cette caisse est devenu beaucoup plus onéreux. Tant que les cours étaient bas, c’était une bonne affaire, mais plus maintenant».

De même, selon lui, des thèmes comme la révision à  la hausse du Smig, ou encore l’éducation ne datent pas d’hier. L’opposition oublie également de souligner que l’actuel gouvernement a osé s’attaquer en priorité à  des dossiers sensibles, donc à  des problèmes dont les solutions ne peuvent être mises au point que sur un plus long terme.

Des projets mais un manque de coordination ?
Au-delà , les difficultés soulevées par les partis de l’opposition portent également sur le plan politique. Nommé en 2002 à  la suite de l’échec des deux poids lourds de la majorité, l’Istiqlal et l’USFP, à  trouver un accord concernant l’appartenance politique du chef de gouvernement, Driss Jettou s’était très vite imposé par une forte présence au niveau du travail en équipe au sein du gouvernement, tandis que son statut de technocrate, s’il lui avait attiré des reproches de la scène politique marocaine, l’avait aussi protégé de certains de ses aléas. Cela ne semble pas être le cas du Premier ministre actuel, Abbas El Fassi. Celui-ci a beau bénéficier de l’étiquette partisane tant réclamée par les politiques depuis 2002, le gouvernement a «mal à  sa majorité» : désigné au lendemain d’élections caractérisées par un taux d’abstention record, affaibli depuis le passage du Mouvement populaire à  l’opposition et l’adoption par l’USFP du concept de «soutien critique», le gouvernement pâtit, estime-t-on, d’un manque de coordination au niveau de sa majorité parlementaire. «Il n’y a pas de grande synergie entre les équipes de la majorité. Ce n’est pas une équipe extrêmement soudée, mais plutôt l’addition de groupes au sein de la majorité. C’est pour cela que, parfois, on a tendance à  dire que la majorité est fragile. On vote, dans les commissions, des lois à  deux voix de plus que le camp d’en face», reconnaà®t ce cadre istiqlalien. Une situation que l’approche des élections communales ne risque pas de résoudre.

Autre constante dans les plaintes de l’opposition : le manque de visibilité. Après un Driss Jettou dont l’un des points forts aura été la communication, vis-à -vis des acteurs marocains et étrangers, plusieurs voix reprochent au gouvernement actuel de ne pas en faire autant, au point d’empêcher une lecture claire de la stratégie des ministères, selon Najib Boulif. Pourtant, ce ne sont pas les efforts qui manquent en matière de communication. L’on se souviendra de la demande de Abbas El Fassi, au début de l’année, aux membres du gouvernement de lui présenter les programmes qu’ils comptaient appliquer au niveau de leurs départements respectifs. Plus récemment, le 18 mars dernier a été marqué par le lancement d’un nouveau concept, les «mardis de la Primature», par le ministre délégué chargé des affaires économiques et générales, Nizar Baraka, une opération destinée à  assurer un contact régulier avec les médias pour discuter des dossiers de l’actualité… «On annonce une réunion mensuelle avec les médias, mais le Premier ministre dispose déjà  d’une tribune hebdomadaire au niveau du Parlement, il n’a qu’à  y aller pour y dire ce qu’il veut, annoncer les mesures qu’il a prises», rappelle le patron de l’UC, Mohamed Abied.

Au sein du Parlement, les élus de l’opposition appellent d’ailleurs à  une plus grande présence du Premier ministre dans l’hémicycle de manière à  encourager ses collègues au gouvernement, à  y faire acte de présence plus souvent et porter un coup à  la routine parlementaire que la Primature politique n’a pas changée.

Ailleurs, l’on souligne que le problème ne se situe peut-être pas au niveau des projets mais d’un manque de coordination entre les composantes du gouvernement, voire d’une incapacité du Premier ministre à  jouer son rôle de chef d’orchestre. Finalement, le problème ne se résume-t-il pas plutôt à  un manque de communication?