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Comment fonctionnera la commune de demain

L’Intérieur s’apprête à  lancer
un méga «plan 2015 pour la commune»  pour la mise à  niveau des 1 503 communes du pays.

Déjà  900 communes entameront leur mue cette année. Elles seront 1 300 d’ici 2011.

Rationalisation de la gestion, aide à  la planification, formation des élus, réforme des textesÂ…, six domaines d’intervention prévus.

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Que n’a-t-on pas fait pour inciter les électeurs à aller voter ? Appréhendant le scénario d’un taux de participation très bas, l’Intérieur, architecte du processus des élections communales du 12 juin, avait même joué la carte du mécontentement. Pendant plusieurs semaines, sur les deux chaînes nationales, un spot télévisé avait mis en scène les préoccupations des citoyens : un homme qui se plaint du manque de moyens de transport à proximité de son domicile, un autre qui se désole en voyant les déchets ménagers s’accumuler sur le trottoir non loin de chez lui… La campagne médiatique pour la promotion du vote avait pour objectif de rappeler aux télespectateurs que bouder les urnes équivaut à renoncer à peser sur des décisions qui auront un impact direct sur leur quotidien, de l’obtention d’un extrait d’acte de naissance à l’état de la voierie, en passant par l’éclairage ou les équipements sportifs. Au final, les électeurs ont répondu présent avec un taux de participation de 52,4%. Toutefois, il n’est pas sûr que les multiples disputes et coups bas observés à l’occasion de l’élection des présidents des communes leur aient donné beaucoup de confiance envers les nouveaux responsables locaux. Une chose est sûre cependant : le mandat qui attend les élus du 12 juin devrait se révéler très différent des précédents. Annoncé par une série de sorties du ministre de l’intérieur, Chakib Benmoussa, le «Plan pour la Commune à l’horizon 2015» devrait, dans les années à venir, permettre de rationaliser et améliorer la gestion de la chose locale et, indirectement, rendre le vote plus déterminant que jamais dans l’évolution des 1 503 communes du pays.
A la Direction générale des collectivités locales (DGCL), qui gère le chantier, l’on explique vouloir bâtir la commune de demain sur quatre piliers : un élu local doté d’une vision quant à l’avenir de sa commune, une administration performante, capable de concrétiser ses projets. Ces deux acteurs seront soutenus par des actions coordonnées des différentes structures de l’Etat et un environnement juridique qui leur permettra de dépasser les éventuels blocages et ambiguïtés rencontrés sur le terrain.

Les nouveaux standards qui seront établis
Dans la pratique, tout cela devrait se traduire, grosso modo, par la modernisation et le développement de l’arsenal juridique mis à la disposition des communes, mais aussi la mise en place d’outils de gestion -procédures, manuels, normes de qualité, etc. – destinées à améliorer leur gestion, aussi bien  au quotidien et dans le montage de leurs projets de développement.
Sur le terrain, si pour les communes urbaines, moins nombreuses et plus complexes à gérer, les débats sont encore en cours sur certains aspects de la stratégie, les choses sont beaucoup plus avancées pour les communes rurales, où cinq projets pilotes ont été lancés dès le début des années 2000. Ainsi, aujourd’hui, 80 plans ont été élaborés et autant de communes rurales planifient leur développement grâce aux outils mis à leur disposition. Pour l’année 2009, 900 communes situées dans une vingtaine de provinces sont ciblées. D’ici  2011, les 1300 communes rurales du pays ainsi que les communes urbaines de moins de 35 000 habitants devraient également être concernées. Selon le plan, la stratégie lancée à l’échelle nationale se traduit par six domaines d’intervention complémentaires : «planification du développement local», «système d’organisation et pilotage», «mobilisation de moyens de financement», «modernisation de la gestion des ressources humaines», «renforcement de la maîtrise d’ouvrage et professionnalisation de la gestion des services publics locaux», et enfin «cadre juridique et vie des institutions».
Sur le plan juridique, la réforme de la Charte communale, publiée au Bulletin officiel du 5 mars 2009, lève une série d’ambiguïtés concernant, entre autres, le rôle des présidents d’arrondissement. Elle révise aussi le mode de désignation du «maire», de manière à réduire le risque que, de négociations en marchandages entre élus, les communes ne se retrouvent avec des dirigeants qui ne reflètent pas les tendances révélées par les urnes. La nouvelle loi, qui introduit également des outils comme le Plan communal de développement, les groupements d’agglomérations ou encore les sociétés de développement local, est aussi accompagnée par une série de textes qui ont vu le jour ou sont en cours d’élaboration à l’instar de la loi sur la fiscalité locale, la loi sur les finances locales, un projet d’amendement du décret sur les marchés publics ainsi que le texte sur la gestion des biens communaux.

Mieux récolter les impôts et mieux gérer ses fonds
Au-delà des lois, il est question de doter les communes urbaines et rurales d’outils pour la mise en place des plans de développement locaux, et ce, à partir du stade de l’élaboration des projets jusqu’à leur réalisation, en passant par la coordination des acteurs concernés, l’assistance technique ou son montage financier. Pour ces projets, tout comme pour la gestion quotidienne des communes, il est également question de mettre en place une série de normes, standards et références (lois, procédures, manuels, formations, etc.) destinés aux élus et aux administrateurs, et qui s’attaquent, domaine par domaine, à des aspects aussi variés que l’organigramme interne d’une commune, le contenu des différents types de contrats de délégation de services, ou encore les normes de qualité à respecter en matière de revêtement routier. Ce n’est pas tout, car des changements sont  prévus en amont de la gestion des projets, à commencer par l’aspect fiscal et en particulier la perception effective des impôts et autres revenus qui reviennent aux communes. Aujourd’hui, en effet, si les ressources fiscales collectées par l’Etat et affectées aux communes ont connu une nette croissance durant la dernière décennie, qui les a vus passer de près de 12 à près de 26 milliards de DH, le rendement de la fiscalité locale est resté plutôt faible. «Cette importante réforme ne peut évidemment pas produire les effets attendus et les résultats escomptés si les communes ne sont pas toutes en mesure d’appliquer pleinement les prérogatives qui sont ainsi mises à leur disposition. D’où un processus d’accompagnement de ces collectivités qui a porté d’abord sur le renforcement de l’administration fiscale locale», indique Abdelghani Guezzar, gouverneur directeur des finances locales. Ainsi, un modèle d’organisation doté d’outils et de processus de gestion modernes récemment finalisé par la Direction générale des collectivités locales devrait être incessamment mis à la disposition des communes. Des outils qui, mis en place, pourraient avoir un impact important sur les montants que les communes pourront réserver à l’investissement. Une ville comme Casablanca, qui dégage aujourd’hui un excédent annuel de près de 200 millions de DH, pourrait le faire passer à 700 voire 800 millions de DH par an en l’espace de quelques années, estime cet observateur. Une augmentation significative qui le deviendrait encore plus, une fois que les communes se verraient accorder une marge de manœuvre élargie en matière de récolte d’impôts. Sur un autre plan, le projet de loi sur la gestion du domaine communal, qui vient de passer le cap du conseil des ministres, devrait également permettre de mieux connaître et gérer le patrimoine des communes – biens immobiliers ou autres. Le nouveau texte devrait, entre autres, imposer au «maire» de présenter annuellement au conseil communal un bilan des changements portés au patrimoine de la commune. Un changement qui implique, pour les villes, une mise à jour régulière de leurs sommiers de consistance – ce qui n’est pas toujours le cas de nos jours. A terme, les biens des communes devront également être immatriculés, et les loyers et autres révisés.

7 000 personnes à former et des profils pointus à chercher
Toutefois, ces outils, tout performants qu’ils soient, ne seront pleinement efficaces que si le personnel des communes est en mesure de les utiliser. La charte communale renforce ainsi le rôle du secrétaire général de la commune, mais, dans les grandes villes, où il faudra gérer des budgets de plusieurs millions de DH, et des effectifs qui se chiffrent parfois à des milliers de fonctionnaires, ce dernier devra être soutenu par une équipe en mesure de relever le défi. Au final, quelque 7 000 à 8 000 personnes seraient  concernées, ce qui devrait inciter les autorités à mener une chasse aux profils «pointus». Pour les attirer, il sera nécessaire de mettre en place, entre autres, des critères d’embauche, des formations, des salaires et des perspectives d’évolution de carrière à même de les intéresser.
Le plan parviendra-t-il à relever le défi ? Pour l’instant, des 5 cinq communes pilotes où des expériences ont été menées depuis le début des années 2000, 4 ont connu des résultats plutôt positifs (voir encadré). Appliqué à l’échelle nationale, le plan devrait apporter une amélioration sensible à la qualité de vie des citoyens. Il devrait aussi bénéficier de manière non négligeable aux acteurs économiques, qui auront accès à une série de marchés tout en ayant affaire à des clients aux cahiers des charges plus transparents, et moins mauvais payeurs que par le passé. Pour les seuls plans communaux de développement destinés aux zones rurales, le financement prévu est de 200 000 DH par groupe de trois communes, soit 200 à 300 millions de DH sur trois ans, le marché dédié aux bureaux municipaux d’hygiène devrait, lui, peser 100 millions de DH. Idem  pour les études en vue de la mise en place de plans de déplacement urbain.  Toutefois, l’élargissement du programme d’un nombre limité de communes pilotes où la participation était volontaire à son application à l’échelle nationale devra d’abord être négocié. Le programme ne manquera pas de bousculer des habitudes profondément installées. Il n’est donc pas acquis que les choses se passent de manière aussi lisse à l’échelle nationale, d’autant plus qu’il sera difficile de gérer le processus depuis Rabat. Du coup, gouverneurs et élus locaux joueront un rôle clé dans la réussite du chantier. On peut  toutefois compter sur la dynamique positive qui sera enclenchée. Le succès enregistré dans certaines communes devrait faire tache d’huile, comme ces élus, qui, ayant vu leurs communes voisines devenir nettement plus propres que par le passé après avoir eu recours à des contrats de gestion déléguée, ont cherché à suivre leur exemple, de peur que leurs électeurs ne les sanctionnent en voyant que les choses se passent mieux ailleurs.

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