Pouvoirs
Comment fonctionne le gouvernement
La notion de l’expédition des affaires courantes enfin explicitée.
Entre sa nomination et la fin de son mandat, un ministre connaît exactement l’évolution de son parcours.
Les incompatibilités revues, les ministres peuvent présider les communes.

Entre le 3 janvier 2012, date de sa nomination par le Souverain, et le 26 janvier, jour de son investiture par le Parlement, le gouvernement a suscité l’un des premiers débats constitutionnels de l’actuelle législature. Quelle teneur constitutionnelle donner à leurs actes, entre ces deux dates ? Deux années plus tard, la question n’était pas tranchée et un débat similaire fait rage. C’était au moment de la démission des ministres istiqlaliens du premier gouvernement Benkirane. Les cinq ministres démissionnaires sont restés à leur poste plusieurs mois, mais seulement en étant chargés d’expédier les affaires courantes et n’ont pas moins soulevé une deuxième question importante : Quelle est la portée des actions des ministres, et plus globalement du gouvernement chargé d’expédier les affaires courantes ? La loi organique 65-13, relative à l’organisation et la conduite des travaux du gouvernement et le statut juridique de ses membres adopté le 9 février, vient tout juste de répondre, entre autres, à ces deux problématiques. Dans le premier cas, l’action du gouvernement se limite à élaborer son programme qu’il compte soumettre au vote du Parlement, prendre des décisions relatives à la délégation de signature nécessaire pour la continuité de la marche du service public et globalement, expédier les affaires courantes. Et par cette expression, le législateur désigne l’édition de décrets, décisions et arrêtés administratifs nécessaires pour la marche des services et des institutions de l’État. La loi précise bien que «ne rentre pas dans le cadre de l’expédition des affaires courantes les mesures ou les décisions qui engagent le gouvernement de manière permanente et continue, surtout l’adoption des lois et décrets organiques et la nomination aux hautes fonctions».
Du coup, l’absence de Mohand Laenser aux questions orales de la dernière séance de la session parlementaire écoulée, le 10 février, prend tout son sens. En attente d’un remaniement ministériel dont seul le chef du gouvernement connaît l’étendue (doit-il porter sur le seul poste du ministre de la jeunesse et des sports démis ou s’étendra-t-il à quelques ministres PJD qui font trop parler d’eux et pas en de bons termes ?), le ministre de l’aménagement du territoire désigné pour assurer l’intérim au ministère de la jeunesse et des sports voit ses «nouvelles» prérogatives limitées à la seule expédition des affaires courantes. De ce fait, il ne peut pas répondre aux questions des élus dans le cadre du contrôle du gouvernement par le Parlement et, de surcroît, il ne peut pas non plus présenter des projets de loi concernant ce département.
Les ministres récupèrent leurs communes
Bref, c’est une question parmi d’autres que la nouvelle loi vient clarifier. Ce qui ne veut pas dire que toutes les zones d’ombre concernant l’organisation et la conduite des affaires du gouvernement sont levées. Les clauses de ce texte apportent certes une partie des réponses, mais il faut encore que cette loi soit complétée par des décrets d’application et autres textes réglementaires. En attendant, on sait déjà quand le gouvernement peut effectivement prendre ses pleines fonctions, ce qui est attendu d’un ministre, à commencer par le chef du gouvernement, et son statut juridique, comment se déroulent les conseils du gouvernement et quelle est leur portée légale. Bien sûr, le nouveau texte, ne fait, dans sa globalité, que formaliser des pratiques qui existent déjà. La nouvelle loi précise ainsi que les prérogatives des ministres sont clairement définies dans les décrets portant leurs attributions, qu’ils peuvent déléguer une partie de leurs attributions ou leur signature ou même le pouvoir de visa aux ministres délégués ou au secrétaires généraux de leur département. En cas d’absence ou d’indisposition d’un ministre, c’est le chef du gouvernement qui désigne un autre membre de son équipe pour gérer, temporairement, le département concerné. Le chef du gouvernement, lui-même, propose au Roi de charger un membre du gouvernement, en son absence, pour assumer certaines fonctions, à sa place, et pendant une durée fixée.
Dans les faits, un ministre doit d’abord jouir de tous ses droits civiques et politiques et répondre à certaines exigences relatives à l’incompatibilité et au cumul des fonctions. Le mandat de ministre est, ainsi, incompatible avec celui de député ou de conseiller parlementaire, celui de la présidence d’une Chambre professionnelle, d’une région ou de plusieurs collectivités territoriales. Les ministres ont récupéré, à la dernière minute, leur droit de présider une commune (ou même une grande ville, avec toutes les complications que cela suppose). En effet, l’opposition avait introduit un amendement, en ce sens, au texte initial, qui a été accepté et voté par la majorité au sein de la commission. Mais, au moment du vote en plénière, le gouvernement est revenu à la charge par la voie du ministre chargé des relations avec le Parlement qui a proposé, à son tour, un contre-amendement que la majorité a été contrainte de voter dans le cadre de solidarité gouvernementale. Au final, les ministres, trois membres de l’actuel gouvernement sont concernés, ont fini par sauver leurs fauteuils de présidents de communes.
Pour chaque projet de loi, une étude d’impact
Autre incompatibilité, elle concerne toute mission publique non élective dans les collectivités territoriales notamment et les entreprises et établissements dans lesquels l’État détient plus de 30% du capital. Les membres du gouvernement, une fois nommés, doivent également renoncer à leur activité professionnelle dans le secteur privé par crainte de se retrouver en situation de conflit d’intérêts. En somme, une fois le ministre nommé et le gouvernement entier investi par le Parlement, celui-ci prend en charge sa mission telle que fixée par le décret portant les attributions de son département. Il s’occupe de la gestion administrative et réglementaire de son département et décline à son niveau, à l’échelle sectorielle, la politique gouvernementale contenue dans son programme pour lequel il a reçu l’aval des députés. En même temps, le ministre participe à l’action législative et doit rendre compte devant le Parlement de l’action de son département soit à l’occasion des questions orales et écrites ou lorsqu’une commission parlementaire, dans le cadre des dispositions légales, décide de le questionner sur un des aspects de son action. En plus, le ministre est investi d’une mission législative. C’est que la Constitution précise que l’initiative des lois appartient concurremment au gouvernement et au Parlement. En ce qui les concerne, les membres du gouvernement préparent les projets de loi, tout en veillant (et c’est une nouveauté) à faire accompagner, dans certains cas, les projets de lois des études de leur impact. La loi ne dit pas comment ces études doivent être préparées et ne précise pas non plus les procédures et les délais relatifs à la préparation de ces projets. Pour cela il faut attendre un texte réglementaire qui déclinera, notamment, un guide de procédure et de règlements relatifs à la procédure de législation. Pour en finir avec le volet législatif, le gouvernement, dans sa globalité, consacre au moins une réunion par mois à l’étude des propositions de loi des membres du Parlement, opposition et majorité. C’est que les ministres sont également tenus d’assister à la présentation et aux débats des propositions de loi afin d’y apporter le point de vue du gouvernement. Ce point soulève toutefois la question de «l’absentéisme» des ministres, notamment lors des questions orales, que la nouvelle loi n’a pas évoqué dans son aspect lié au Parlement. Un phénomène que le PJD avait décrié alors qu’il était encore dans l’opposition. Naturellement, il y a des cas où le ministre ne peut être partout en même temps.
Où est la bonne gouvernance ?
Bref, le seul cas où l’absence des ministres a été évoquée concerne le conseil de gouvernement dont la réunion requiert la présence de la majorité des membres. Par contre, la loi a tranché pour ce qui est d’une autre polémique à propos du statut du secrétaire général du gouvernement. Par ailleurs, pour mieux mener sa mission, tout membre du gouvernement s’appuie sur un staff administratif et des experts qui forment son cabinet. La loi spécifie que les membres du cabinet doivent être choisis en fonction de leurs compétences, expertise et intégrité. Elle ne précise toutefois pas leur nombre, et leurs appointements tout comme elle ne précise pas les indemnités du propre ministre. Tout cela sera fixé par un texte réglementaire ultérieur. Elle dispose néanmoins que les membres du cabinet effectuent des études et règlent tout genre de questions d’ordre politique ou privé au profit du ministre. En somme, le texte dont l’examen et l’adoption ont duré un peu plus d’une année (il a été déposé auprès de la commission de la justice à la première Chambre fin novembre 2013) ne fait que reprendre, dans une bonne partie de ses dispositions, celles contenues dans la Constitution (notamment les articles 87, 89, 90, 92, 93, 94, 48, 78, 82, 102, 158 et 47). Il n’en reste pas moins qu’il a suscité un grand débat auquel ont contribué, entre autres, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) et l’Instance centrale pour la prévention de la corruption (ICPC) qui ont élaboré un mémorandum portant un regard critique sur la loi alors sous forme de projet. Entre autres aspects non évoqués par ce texte, l’inexistence de dispositions qui traduisent les obligations du gouvernement en matière de démocratie participative, sauf quand il s’agit de consultations dans le cadre de l’élaboration des études d’impact. Les deux instances soulignent également le «défaut d’encadrement dans les rapports entre le gouvernement et les instances de bonne gouvernance» et mettent l’accent sur la nécessité des consultations publiques au sujet des projets de textes législatifs et réglementaires. De même sur le plan de la responsabilité, il est notamment reproché au texte de «ne pas assujettir les membres du gouvernement au contrôle de la Cour des comptes. Alors que même le code sur les tribunaux financiers ne prévoit pas cette possibilité». La nouvelle loi reste également muette en ce qui concerne la responsabilité pénale des membres du gouvernement. Pour cela il faut attendre une autre loi. La question a, néanmoins, déjà fait l’objet d’une proposition de loi introduite par le groupe parlementaire du PAM dont l’issue n’est pas encore fixée. Les deux instances ont, de même, attiré l’attention sur «l’absence d’encadrement législatif et réglementaire des relations au sein des composantes du gouvernement». Aussi ont-elle recommandé, entre autres, d’établir «des règles exigeant des membres du gouvernement de présenter des rapports périodiques détaillés sur les activités et les politiques, les plannings d’exécution des réalisations de leurs ministères, par rapport aux objectifs qui leur sont assignés». L’objectif étant bien sûr de garantir une «action gouvernementale en harmonie avec les règles de bonne gouvernance». Ces suggestions, et d’autres, n’ont pas été prises en compte dans le texte adopté par le Parlement. Maintenant, il faut attendre les lois complémentaires de cette loi organique, les décrets et les règlements d’application pour que l’organisation du gouvernement et ses modalités de fonctionnement soient un peu plus précises. Une attente qui risque de durer. C’est que les élections approchent et le gouvernement semble avoir d’autres chats à fouetter.
