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Pouvoirs

Cherche fiche de poste pour Premier ministre partisan

Un Premier ministre politique, indispensable, de l’avis général… mais un Jettou encarté ne déplairait pas.
Les partis politiques disposent de compétences valables, le Premier
ministre ne doit pas forcément être un cacique.
Dans un schéma où la monarchie règne et gouverne, quel
devrait être le rôle et le profil du Premier ministre ? La question
reste posée.

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Si les élections de 2002 avaient consacré le retour à la norme en ce qui concerne l’accès d’une majorité issue des urnes au gouvernement, beaucoup estiment que celles de 2007 parachèveront la «démocratisation» du processus électoral en consacrant l’arrivée au pouvoir d’un Premier ministre issu des urnes. Un principe que même le Souverain, auquel l’article 24 de la Constitution donne le pouvoir de nommer le chef du gouvernement, entend appliquer cette fois-ci, si l’on analyse ses discours. La question en génère une autre: les partis ont-ils un premier ministrable ? L’interrogation semble incongrue, elle n’en est pas moins pertinente lorsqu’on la replace dans un contexte où le politique est décrédibilisé. Pour ne rien arranger, la conjoncture étant marquée par certains chantiers, le noyau dur ministériel de Driss Jettou se compose d’hommes à la couleur partisane toute récente.

La nomination d’un technocrate comme Driss Jettou est-elle un danger pour la démocratie ? Quatre ans après son accession à la Primature, en octobre 2002 et malgré un bilan concluant, le Premier ministre est encore (approche des élections oblige ?) critiqué pour son absence de couleur partisane. «Un Premier ministre, c’est un homme politique avant tout et Jettou, effectivement, a des compétences extraordinaires, mais le problème, c’est sa légitimité», souligne Najat Mjid. Au-delà de ce problème, son profil de technocrate est même considéré comme un boulet pour les partis. «On parle de la crédibilisation du champ politique, je pense que nommer un Premier ministre en dehors des partis participe à la décrédibilisation du champ politique et à la démotivation des citoyens», explique Noureddine Ayouche. En effet, la présence d’un technocrate à la tête d’un gouvernement issu des urnes empêche les électeurs de sanctionner les partis en ôtant ou renouvelant leur confiance à l’équipe en place au bout d’une législature, et, d’autre part, elle ampute la majorité du bénéfice d’un bilan qui, aussi collectif soit-il, restera ancré dans les esprits comme celui d’un Driss Jettou, commis de l’Etat.
Fait étonnant, si l’expérience Driss Jettou a été mise à l’index par nos débatteurs, l’homme lui-même jouit d’un crédit plus qu’honorable. Ils sont aussi favorables à un retour de Jettou au gouvernail en 2007 sous réserve qu’il batte pavillon partisan. «Je souhaiterais que Jettou intègre un parti», souligne Ayouche, qui aimerait le revoir à la Primature. Il y a quelques mois à peine, la rumeur pointait d’ailleurs déjà le parti idéal du doigt, le RNI, avant d’être démentie par les parties concernées. Pourtant, se contenter de conférer un vernis partisan à Jettou permettra-t-il de re-crédibiliser le champ politique ? Cela ne créerait-il pas l’effet opposé, à l’instar de ce qui s’est passé avec les ministres «parachutés» qui, malgré leurs performances positives au gouvernement, se voient toujours reprocher d’avoir obtenu leur poste grâce à des liens de parenté avec des personnages politiques connus ?

En 2002, l’expérience de l’alternance avait échaudé même les puristes
Aussi contradictoire qu’elle puisse paraître, cette vision du Premier ministre s’explique. En octobre 2002 alors que les partis de la majorité s’étaient trouvés dans l’impossibilité de tomber d’accord sur l’identité du successeur d’Abderrahmane Youssoufi, la nomination de Driss Jettou tranchait avec la longue lignée de chefs de gouvernement apolitiques (voir encadré). Cette nomination avait ses raisons. D’abord l’incapacité des partis de la majorité à dépasser leurs rivalités pour présenter un candidat de consensus, ensuite, une aspiration au changement, née de la déception générée par l’expérience du gouvernement d’alternance. Dans un sondage réalisé par le cabinet Argos Marketing pour La Vie éco auprès de 250 cadres supérieurs et décideurs économiques, et publié en janvier 2002, soit neuf mois avant les législatives, 53,6% des personnes interrogées s’étaient prononcées en faveur d’un Premier ministre technocrate. Plus, Driss Jettou, en compétition avec des personnalités politiques sur une liste où il était le seul technocrate, avait raflé 29,7% des voix. Ainsi, malgré les critiques actuelles, sa venue était alors réclamée, du moins par les acteurs économiques.
La nécessité de redresser la barre sur le plan économique explique-t-elle la nomination de Driss Jettou ? «En 1999, Mohammed VI avait hérité d’une situation marquée par deux stratégies», explique Mohamed Darif. «La première, prônée par le gouvernement d’alternance, voulait se légitimer à travers la notion de représentation politique, via la transition démocratique et l’organisation d’élections transparentes. En face, Mohammed VI avait élaboré une autre stratégie : il ne parlait pas de transition démocratique mais de nouvelle ère, une notion essentielle dans son discours. Au lieu d’évoquer la représentation politique ou la représentativité électorale, il parle d’efficacité. Ainsi, M. Youssoufi parlait des politiques des partis, et Mohammed VI des technocrates». Cela suppose, bien entendu, que l’on accepte le clivage technocrates /politiques. Or, souligne Larabi Jaïdi, un homme politique peut être considéré comme technocrate grâce à ses compétences techniques.

Les partis regorgeraient de compétences techniques
En fait, estime-t-on, si les chantiers économiques et la recherche d’efficacité sont toujours prégnants dans la stratégie du Royaume, rien n’empêche le Souverain de nommer un Premier ministre partisan. Les partis disposent-ils de Premier ministrables ? Une telle question, que nombre de citoyens n’hésitent pas à poser fait réagir M. Jaïdi. «Qu’entend-on par premier ministrable? Une personne qui a la compétence ? Quel type de compétence ? S’il s’agit de compétences techniques, les partis en regorgent, contrairement à ce que l’on pense. La compétence réelle dans un gouvernement souverain est la compétence politique, et si ces partis n’arrivent pas à faire émerger en leur sein des individus ayant une capacité politique à gérer, orienter ou décider, ils n’ont qu’à fermer boutique».
Mohamed El Ayadi estime que les partis disposent de premiers ministrables capables de prendre la relève. «Les partis politiques ont des compétences. Peut-être qu’on ne les retrouve pas au-devant de la scène, mais elles existent, insiste-t-il. Si vous sortez du cercle Elayzghi, El Fassi, Aherdane, Osmane… vous allez trouver les compétences. En revanche, il faut insister sur le fait qu’un premier secrétaire de parti ne peut être en même temps ministre», ajoute-t-il. En d’autres termes, le Maroc serait mal inspiré de suivre le système en vigueur en Grande-Bretagne, en Espagne ou en Allemagne, où ce sont généralement les chefs de partis qui prennent la tête des gouvernements.
La formule française présente à cet égard un exemple intéressant : les compétences peuvent être cooptées à l’intérieur des partis comme à l’extérieur, mais toujours par ces derniers. «En France, le Premier ministre n’est pas nécessairement issu des élections : de Villepin, par exemple, n’est pas élu. D’ailleurs, c’est un reproche qu’on lui fait. En revanche, il fait partie d’un courant politique», explique M. Ayadi.

Noureddine Ayouche va plus loin. «Les partis doivent dénicher les compétences là où elles peuvent se trouver. Je préfère que les partis politiques disent : je prends quelqu’un de la société civile, mais sous mon étiquette, comme au Mexique, où le chef du gouvernement a fait appel à une société d’études pour trouver des individus compétents à intégrer au gouvernement», souligne-t-il. Mais c’est un parti qui a décidé de cela. Le chef du gouvernement doit émaner d’un parti qui a eu la faveur des urnes».

Quel Premier ministre face à une monarchie exécutive ?
En clair, donc, on milite pour un Premier ministre partisan, mais qui ne ferait pas nécessairement partie des caciques tout en ayant la capacité de fédérer et de gérer. L’oiseau rare existe-t-il ? Najib Ba Mohamed, tout en affirmant que les partis comptent de bons profils, met toutefois le doigt sur le rôle même du futur Premier ministre. «Je ne pense pas qu’un Premier ministre technocrate soit un luxe ou une tare, dit-il. Il est vrai qu’un homme politique répondrait à un jeu parlementariste authentique. Mais le problème qui est posé avec le plus d’acuité est un problème de poids, de marge».

Il est rejoint en cela par M. Darif qui pose la question du «rôle des partis au Maroc dans la mesure où, selon la loi électorale, les partis sont appelés à former des gestionnaires pour appliquer un programme élaboré par le Roi». La question fondamentale pour lui est celle-ci : a-t-on besoin d’un Premier ministre, d’un gouvernement qui soit fort, qui soit responsable ? Et comment y parvenir ? «Comment pouvoir concilier l’existence d’une monarchie exécutive avec un gouvernement fort et responsable ?», s’interroge également M. Ayadi. En effet, au-delà, prévient Mohamed Tozy, «il ne faut pas oublier la spécificité du modèle marocain qui se caractérise par une monarchie exécutive et qui a une forte volonté de gouverner, avec ce que cela implique concernant le profil du Premier ministre et de son rôle». L’on sait déjà par expérience que Driss Jettou est beaucoup plus un super-ministre de l’économie et du social qu’un véritable Premier ministre, puisqu’il n’a pas d’emprise sur les affaires étrangères, la justice, les questions sécuritaires, le champ religieux… En dépit de tout cela, aller jusqu’au bout du processus démocratique vaut la chandelle.