Pouvoirs
Après le retour victorieux, le vrai travail commence
La diplomatie proactive du Souverain a fait que le Maroc a été réintégré à l’UA sans condition. Nos élus, le gouvernement et les secteurs public et privé auront la charge de traduire cette victoire en actions. Le Maroc n’a pas l’intention de diviser l’UA, mais son retour augure de durs débats à venir autour de la question du Sahara.

«Il est beau, le jour où l’on rentre chez soi, après une trop longue absence ! Il est beau, le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé ! L’Afrique est mon continent, et ma maison». C’est ainsi que SM. Mohammed VI a entamé un discours émouvant prononcé mardi peu avant midi, depuis la tribune du 28e Sommet de l’UA. Le Souverain s’est adressé aux cœurs des chefs d’Etat africains en évoquant la famille et les institutions auxquelles les pays africains sont encore profondément attachés. Il s’est adressé à leur raison en mettant en avant l’argument des réalisations et l’intérêt économique commun.
Le Souverain n’a pas attendu la finalisation des formalités juridiques et protocolaires, au terme desquelles le Royaume siégera de nouveau au sein de l’Organisation. Il était déjà sur place, à pied-d’œuvre, à Addis-Abeba, pour déjouer les dernières tentatives des adversaires de notre pays visant à retarder (parce qu’il est impossible de la bloquer) la réintégration du Maroc. SM. Mohammed VI a tenu ainsi des entretiens en tête-à-tête avec nombreux chefs d’Etat amis et alliés et organisé une réception en l’honneur des Chefs d’Etat et de gouvernement. La délégation marocaine présente sur place était également mobilisée. Il fallait parer à toute éventualité et, surtout, le mauvais coup du clan adverse. Le Polisario, ses mentors l’Algérie et l’Afrique du Sud, mais également, la présidente de la commission qui a œuvré telle une véritable «cinquième colonne» au sein de l’UA, ont tout essayé et mis en œuvre tout leur génie pour contrer la volonté du Maroc et celle également de la majorité des pays africains. Car «la victoire du Royaume est aussi la leur», estime cet observateur. En effet, et pendant des années, «ils ont été contraints, par l’Afrique du Sud et l’Algérie, à jouer les seconds rôles». Prétoria, pays d’origine de l’ancienne présidente de la puissante Commission de l’Union et Alger, siège de l’influent Département Paix et Sécurité (DPS) ont, jusque-là, mené la danse. Les autres devant se contenter d’un rôle subsidiaire. En ce jour décisif, trente-neuf pays africains se sont exprimés en faveur du retour du Maroc à l’UA. Il n’était pas nécessaire de procéder à un vote, l’Afrique était quasi unanime sur ce point. Même ceux qui ont tout fait pour que ce moment n’arrive pas, ou du moins pas encore, ils se sont rendu à l’évidence : il ne pouvaient plus rien faire face à la voix de la démocratie.
Engagement diplomatique
Loin d’être facile, ce retour est le fruit d’une politique proactive et soutenue de SM. Mohammed VI et d’une vision royale en faveur du développement d’une coopération Sud-Sud et d’un partenariat gagnant-gagnant, dans l’objectif de défendre la première cause nationale. L’engagement royal en faveur de l’ancrage africain du Royaume s’est illustré notamment à travers les visites que le Souverain a effectuées dans de nombreux pays du continent. Il en a dénombré 46 dans ce discours devant les chefs d’Etat. Ce sont des visites qui consacrent les principes de solidarité et de coopération, au service du continent africain. Et «au cours de chacune des 46 visites, que j’ai effectuées dans 25 pays africains, de nombreux accords dans les secteurs public et privé ont été signés», a affirmé le Souverain. Avec son entrée triomphale au siège de l’UA à Addis-Abeba, le Maroc a gagné une bataille, mais pas encore la guerre. Après la joie et la liesse du retour, l’heure est au travail et la prise en main des obligations qu’impose l’adhésion à l’UA. Or, il est à constater qu’en dehors du Souverain et de ses proches collaborateurs, ainsi que certains ministères et organismes publics et un pan du secteur privé, il est à se demander si le Maroc est préparé à relever ce défi. Nos parlementaires, qui doivent en principe siéger au Parlement panafricain, sauront-ils être à la hauteur des enjeux que supposent notre nouveau statut de membre de l’UA ? Quels seront les critères qui devront prévaloir lors de la désignation des cinq représentants du Maroc (dont une femme) à cette instance consultative africaine? La logique du partage du butin entre les partis prendra-t-elle, encore une fois, le dessus sur la compétence et l’obligation de résultats et de performances ? Aura-t-on encore une fois recours indûment à ce fameux principe de la «proportionnelle», dont l’usage est pourtant limité par la Constitution, mais étendu par la pratique à presque tout ce qui concerne le Parlement pour nommer n’importe qui, juste parce que son parti dispose du plus grand nombre de sièges, à des postes aussi vitaux pour notre pays ? Ce sont des questions auxquelles le Parlement nouvellement entré en fonction devrait répondre. Le siège du Parlement panafricain est à Midrad en Afrique du sud. Les députés marocains auront donc à opérer dans un terrain hostile. Ils doivent, en plus de maîtriser le dossier et les langues étrangères, faire montre d’innovation et de créativité. Répéter, estime cet observateur, devant les médias le même refrain sur leur «opposition aux manœuvres des ennemis de l’intégrité territoriale» ne sera pas d’une grande utilité.
Un dur travail nous attend
«L’effort doit plutôt viser à rallier à la cause du Maroc de nouveaux amis par des arguments historiques, juridiques et politiques pertinents», ajoute-t-il. La société civile est également fortement concernée. En marge du 28e sommet de l’Union africaine, Addis-Abeba a accueilli, du 26 au 28 janvier, la 7e édition de la «Conférence continentale des citoyens». Un rendez-vous en guise de tribune pour les ONG africaines afin de faire entendre leurs voix auprès des chefs d’Etat. Le congrès de cette année n’a connu la participation d’aucune association marocaine. Ce n’est qu’un exemple. Il existe parmi les instances de l’Union des organes dans lesquels les acteurs sociaux, experts et intellectuels marocains peuvent jouer un rôle important. C’est le cas, entre autres, de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, qui existe depuis 1986, et la Commission de l’Union africaine pour le droit international composée d’experts en droit international élus par les États membres de l’Organisation. Ce dernier organe statutaire a une double mission : celle de conseil des organes de l’Union et une mission de prospection juridique. Elle peut à ce titre suggérer la révision de certains textes déjà adoptés, voire des traités. Le Conseil économique, social et culturel (ECOSOCC) qui est un organe consultatif dont les membres sont issus des différentes couches socio-professionnelles des États membres, est également un lieu où le Maroc pourrait défendre ses intérêts. On peut en dire autant pour l’Union panafricaine des avocats et autres organismes. Les élus et les acteurs de la société civile mais aussi les experts et autres doivent être conscients d’un fait : «Nous n’ignorons pas que nous ne faisons pas l’unanimité au sein de cette noble assemblée», a souligné le Souverain lors du désormais inoubliable discours. Ce qui renseigne combien sera grand l’effort de persuasion que doivent déployer les représentants du Maroc à tous les niveaux et dans toutes les instances, mais aussi, à la marge de l’UA pour expliquer, éclairer et convaincre leurs homologues des autres pays d’Afrique. Le volet économique ne sera pas en reste. Là encore, le Souverain montre la voie. «Nous le savons : ce ne sont ni le gaz, ni le pétrole qui satisferont les besoins alimentaires de base ! Or, le grand défi de l’Afrique n’est-il pas sa sécurité alimentaire ?», note le Souverain. Globalement, et en matière de coopération, la vison de SM. Mohammed VI est claire et constante : «Mon pays partage ce qu’il a, sans ostentation. Dans le cadre d’une collaboration éclairée, le Maroc, acteur économique de premier plan en Afrique, deviendra un moteur de l’expansion commune». Le Maroc étant l’un des pays les plus prospères en Afrique, comme l’a d’ailleurs rappelé le Souverain, il est donc du devoir des acteurs économiques et gouvernementaux de vendre le modèle économique marocain créateur de richesses. Aussi le Maroc a-t-il besoin de se doter d’une structure de coordination de son action en Afrique.
De la lutte pour l’émancipation à la lutte pour le progrès
Dans le passé, entre 1961 à 1963, le Maroc avait un ministère chargé des affaires africaines. Ce département offrait des camps d’entraînement, de l’assistance financière et la logistique aux mouvements de libération dans différents pays d’Afrique notamment l’ANC en Afrique du Sud ou le FLN algérien. A cette époque le Maroc était un carrefour de toutes les figures de la résistance sur le continent. Aujourd’hui, les temps ont changé, l’heure est plutôt à la «lutte contre la pauvreté et la malnutrition, de la promotion de la santé de nos peuples, de l’éducation de nos enfants, et de l’élévation du niveau de vie de tous», avait en effet souligné SM. Mohammed VI dans son message adressé en juillet 2016 à l’ancien président de l’Union Africaine, le Tchadien Idriss Deby. Mais si les impératifs ont changé, le fond est resté le même. L’Afrique est dorénavant une priorité pour le Maroc et le prochain gouvernement devra en faire la sienne comme l’a souligné le Souverain dans son discours du 6 avril, prononcé à Dakar. En conséquence, estime-t-on, un ministère ou un département dédié exclusivement à l’Afrique serait un signal fort adressé aux amis du Maroc et autres pays en voie de le devenir.
En somme, le Maroc est, de nouveau, dans sa famille et parmi les siens. Et, comme l’affirment certains experts internationaux, cette réintégration favorisera, d’un point de vue économique, la canalisation d’investissements importants à même de contribuer au développement des pays du continent. Ce retour favorisera aussi la mise en œuvre de projets de développement bilatéraux dans le cadre de l’UA et multilatéraux avec des pays de l’Europe, grâce notamment au Statut avancé dont bénéficie le Maroc auprès de l’UE. Il ne faut pas oublier en ce sens que le Maroc a signé près de 1500 accords de coopération avec les pays africains depuis 1956, dont près d’un millier depuis 2000.
De même que le Royaume est un exemple à suivre par les pays africains, grâce, entre autres, au processus démocratique engagé depuis plusieurs années et qui a été renforcé à travers la Constitution de 2011. Pour d’autres, «le retour du Maroc au sein de l’Union Africaine est une bonne nouvelle pour l’institution en tant que telle car il lui permettra de mieux traiter les grands sujets du continent, que sont le développement économique, la sécurité, la lutte contre le terrorisme, le changement climatique et l’adaptation de l’agriculture africaine, autant de sujets dans lesquels le Maroc dispose d’une expertise reconnue et qui, désormais, pourra bénéficier à l’ensemble de l’institution africaine». Quelles qu’en soient les retombées, ce retour ne s’est pas fait par la petite, mais par la grande porte. «Nous ne voulons nullement diviser, comme certains voudraient l’insinuer!», affirme le Souverain. Et d’ajouter à l’adresse des chefs d’Etat frères et amis: «Vous le constaterez : dès que le Royaume siégera de manière effective, et qu’il pourra apporter sa contribution à l’agenda des activités, son action concourra, au contraire, à fédérer et à aller de l’avant». Et pour ceux qui avancent que, par cet engagement, le Maroc viserait à acquérir le leadership en Afrique, le Souverain répond que «c’est à l’Afrique que le Royaume cherche à donner le leadership».
[tabs][tab title = »Long était le chemin du retour« ]La réadmission du Maroc s’est faite malgré une âpre résistance des délégations algérienne et sud-africaine. Le Maroc par un travail habile et soutenu a pu démonter tous les obstacles mis sur son chemin les uns après les autres. Tout le monde se rappelle comment la présidente sud-africaine de la commission de l’UA a retardé la transmission de la demande du Maroc aux pays membres. Il a fallu l’intervention personnelle du Souverain auprès du Président de l’UA pour que ce travail, purement administratif, soit fait. Un peu plus tard, quand les réponses, favorables dans leur écrasante majorité, ont commencé à atterrir sur le bureau de la Commission, la présidente, mettant en avant une hypothétique mesure procédurale, n’a pas déclaré le Maroc admis de facto. Elle a ensuite évoqué la nécessité de déposer les instruments de ratification pour retarder encore plus le processus avant de finir par transmettre le dossier à la présidence pour que la question soit traitée en séance plénière. Le jeu de la présidente de la commission était clair. Selon la procédure normale, un avis favorable de 50% des membres plus un (28 pays) est suffisant pour accéder à la demande du Maroc. Mais une fois devant l’assemblée, les décisions de cette dernière se prennent à la majorité des deux tiers, soit au moins 36 Etats. Au final, ils étaient 39 à avoir acclamé le retour du Maroc ce 30 janvier. Mais avant, le 13 novembre dernier, la Commission avait sollicité, en catimini, l’avis d’un conseiller juridique. Il devait répondre à une série de questions sur l’éligibilité du Maroc et la cohérence entre l’Acte constitutif de l’Union Africaine. Un seul point était visé : le respect des frontières mais aussi la situation «d’occupation par le Royaume marocain du Sahara occidental». Les Algériens et les Sud-africains voulaient s’assurer, au mieux, que le Maroc ne remettrait jamais en question les frontières issues de l’indépendance, c’est-à-dire qu’il s’engagerait à reconnaître la pseudo-RASD. Au pire, ils souhaitait que cette question divise les membres de l’Union au point où la réussite du Sommet, et donc le traitement et l’adoption des autres points à l’ordre du jour, soit mise en jeu. Auquel cas, ils comptaient sur un ajournement du débat sur la réintégration du Maroc au moins pour six mois. Mais cela était sans compter sur l’activité débordante de Mohammed VI, à Addis Abeba, recevant tour à tour les chefs d’Etat acquis à l’entrée du Maroc à l’UA. De son côté, celui qui devait prendre la tête de l’UA, le Guinéen Alpha Condé, a tout fait pour rapprocher les positions des uns et des autres. Finalement, lors du Sommet, une dizaine de pays voulaient faire basculer la question de l’adhésion de son aspect technique au volet politique sur les relations entre Rabat et la fantomatique RASD. Peine perdue, puisque sous la houlette du nouveau président en exercice de l’UA, le Président guinéen Alpha Condé, le principe de la majorité l’a finalement emporté et le Maroc a été admis sans condition.[/tab][/tabs]
