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Pouvoirs

Après l’Alternance, puis le consensus, le gouvernement de la normalisation

Deux technocrates, ministres délégués, pour cadrer deux départements clés : l’Intérieur et les Affaires étrangères. Le PJD et l’Istiqlal ont partagé la poire en deux, le premier hérite de l’Equipement et le second des Finances.

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Gouvernement Benkirane 2012 01 06

La formation de l’équipe d’Abdelilah Benkirane aura tenu en haleine l’opinion publique  pendant 35 jours avant que le gouvernement le plus attendu de la nouvelle ère ne voie le jour, mardi 3 janvier 2012. Il aura tenu parole. Son équipe n’excède guère trente membres, dont une seule femme. Un ministre d’Etat, 21 ministres, 7 ministres délégués et un secrétaire général du gouvernement. Ils en sont, dans leur majorité, à leur première expérience gouvernementale. Une autre promesse tenue. Seuls 9 membres de la nouvelle équipe, dont un vétéran, Mohand Laenser (69 ans), ont, en effet, déjà fait partie de l’Exécutif.
Ceci pour la forme. Sur le fond, c’est la première fois que le ministère de l’intérieur quitte le cercle des ministères de souveraineté, limité aujourd’hui aux Habous, au Secrétariat général du gouvernement et à l’Administration de la défense nationale. De même pour le département des Affaires étrangères. Toutefois, si ces deux ministères clés sont occupés respectivement par le secrétaire général du MP, Mohand Laenser et l’ancien secrétaire général du PJD, Saâdeddine El Othmani, ces deux dirigeants politiques sont flanqués de deux ministres délégués, Charki Draiss, ancien patron de la DGSN, pur produit de l’Intérieur et Youssef Amrani, ancien secrétaire général du ministère des affaires étrangères, deux hommes qui ont fait toute leur carrière dans leurs départements respectifs. La nomination de Charki Draiss constitue en elle-même une surprise. Et l’on sait combien, au sein du ministère de l’intérieur, peut être étendu le pouvoir d’un ministre délégué au point même de surpasser celui du ministre lui-même. Cela d’autant que ce sécuritaire a déjà coiffé la très sensible Direction des affaires générales (ex-direction des affaires intérieures), avant de prendre la tête de la DGSN. Un choix dicté sans doute par la nature des chantiers qui attendent le nouveau ministre de l’intérieur. Les prochaines élections, locales, la mise en œuvre de la régionalisation et la lutte contre le crime organisé et le terrorisme ne sont pas, en effet, une mince affaire.
La nomination de Youssef Amrani débarqué de Barcelone, siège de l’Union pour la Méditerranée qu’il préside depuis le 25 mai 2011, a également surpris plus d’un. Ce natif de Larache, d’une famille istiqlalienne, qui a gravi les échelons du ministère des affaires étrangères avant d’en devenir secrétaire général, est un expert des relations avec l’Union européenne et fin connaisseur du monde ibéro-américain. Son ministre, Saâdeddine El Othmani, n’est pas non plus totalement étranger au domaine. Ayant le sens de la diplomatie, réputé sage, il a été pendant plusieurs années responsable de la commission des relations extérieures de son parti. Il a pu étoffer son réseau international en siégeant à la commission des affaires étrangères au Parlement. El Othmani prend ses fonctions dans un poste qui était déjà vacant, puisque son ancien titulaire, Taieb Fassi Fihri, a été promu conseiller du Roi, vendredi 30 décembre dernier. Le tandem El Othmani-Amrani devrait s’atteler sans tarder à la préparation, entre autres, de la visite du nouveau chef du gouvernement espagnol, sa première dans un pays étranger, une coutume chez le voisin du Nord. Autre urgence : il faut capitaliser vite sur l’installation du Maroc, le 1er janvier, en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité.

Trois nouvelles dimensions

L’Agriculture revêt un statut particulier. Aziz Akhannouch, désormais sans étiquette politique après avoir démissionné, dimanche 1er janvier, du RNI et renoncé par la même occasion à son mandat de député, reprend les affaires du ministère là où il les a laissées avant sa démission du gouvernement vendredi 23 décembre. Il concrétise ainsi un vœu ouvertement exprimé par le PJD.
La Justice redevenue ministère de souveraineté, sous le gouvernement El Fassi après un passage dans le giron de l’USFP avec feu Mohamed Bouzoubaâ et Abdelouahed Radi, revient au politique et cette fois entre les mains de l’un des représentants de l’aile dure du PJD, Mustapha Ramid, avocat, ancien député et fondateur du Forum de la dignité connu pour sa défense de la cause des détenus salafistes. En reprenant des couleurs politiques, le ministère s’étend à une nouvelle dimension en devenant ministère de la justice et des libertés. Un message sans doute à ceux qui prêtent aux islamistes, trop à cheval sur les valeurs, un penchant liberticide.  Mais il n’est cependant pas précisé de quelles libertés il s’agit.

L’Istiqlal reprend un vieux chantier des années 1980

Ce n’est d’ailleurs pas la seule nouvelle dimension apportée par le gouvernement Benkirane. Ce dernier qui a fait sienne la mission de lutter contre la corruption, et la rationalisation de la gestion des affaires publiques, intègre la gouvernance dans les prérogatives du ministre chargé des affaires générales confié à un autre faucon du parti, l’économiste Mohamed Najib Boulif, donné par tous les pronostics comme titulaire du département des finances. Nabil Benabdellah, secrétaire général du PPS, en charge du ministère de l’habitat et de l’urbanisme, se voit, pour sa part, confier la gestion de la politique de la ville, une autre nouveauté de ce gouvernement. Et pour finir, les relations avec la société civile ne se limitent plus aux rapports entre le ministère de la jeunesse et quelques associations actives dans le domaine. La société civile s’est vue accorder une importance notoire. La nouvelle Constitution ayant instauré la législation populaire, il a été décidé que les rapports avec la société civile, censée exprimer les besoins de la société en matière législative, soient gérés par le ministère chargé des relations avec le Parlement confié à l’ancien député de Ghriss, dans la région d’Errachidia et l’ancien président de la commission de la justice, la législation et des droits de l’Homme, Lahbib Choubani.
Pour le reste, l’intitulé des autres départements n’a pas changé depuis plus d’une décennie. Le PJD aurait voulu en conserver les plus importants, la Justice, les Finances et l’Equipement, plus particulièrement. Ce dernier département a été au centre de la première crise de la majorité. L’Istiqlal le voulait coûte que coûte, alors que le PJD ne voulait pas le lâcher. Les deux partis en sont finalement arrivés à un compromis. L’Istiqlal hérite des Finances et le PJD garde l’Equipement. Les islamistes n’ont toutefois pas lâché complètement les finances puisqu’il a été créé un ministère délégué au Budget. Outre les Finances, l’Istiqlal hérite de deux autres départements de taille : celui de l’Energie et des mines qui revient à un certain Fouad Douiri, débarqué du monde des assurances, et celui de l’Education nationale confié à Mohamed El Ouafa, un sérieux prétendant au poste de secrétaire général du parti, qui vient de rentrer d’un long périple après avoir été en Inde, puis au Brésil en tant qu’ambassadeur. L’Istiqlal récupère par la même occasion un département à la métamorphose duquel il a contribué pendant les années 80 avec la nomination à la tête de ce ministère de feu Azzeddine Laraki. Concernant toujours l’Istiqlal, Abdellatif Maâzouz, ministre sortant du commerce extérieur et maire de la petite ville de Sefrou, reprend du service, mais cette fois comme ministre délégué chargé des MRE. Le clan soussi du parti, les Qayouh, qui viennent d’offrir trois sièges parlementaires au parti, aura finalement droit de cité, avec la nomination du jeune Abdessamad au ministère de l’artisanat. Une faveur déniée aux protégés du puissant dirigeant syndicaliste Hamid Chabat et au clan des Ould Rachid, au Sahara. Ce qui n’a pas manqué d’attirer des ennuis au secrétaire général sortant, Abbas El Fassi. Mais ceci est une autre histoire.
Le PPS, grand gagnant de cette nouvelle équipe, n’aura pas été déçu par le chef du gouvernement. Ce dernier lui avait promis un nombre de portefeuilles qui prend en compte, non pas ses maigres 18 sièges remportés aux élections du 25 novembre, mais son poids politique. Il aura désormais la charge de quatre départements, un nombre jamais espéré depuis qu’il a quitté les rangs de l’opposition en 1998. Son secrétaire général hérite du très problématique ministère de l’habitat de l’urbanisme et de la politique des villes. Son compagnon, depuis le début des négociations de la formation du gouvernement, le banquier ancien directeur général du CIH, Abdelouahed Souhail, chapeaute un département non moins problématique, celui de l’Emploi.
Quant au doyen de la Faculté de médecine de Casablanca, expert auprès de l’OMS et chef de service des urgences au CHU de la même ville, El Houcine El Ouardi, il prend en charge le département de la santé. Quatrième département pour le PPS, la Culture, a été confiée à un certain Mohamed Amine Sbihi, un statisticien chargé du développement au sein du parti.

100 jours, 100 mesures

Urbanisme, Santé, Emploi et Culture, les camarades de Nabil Benabdellah auront du pain sur la planche. C’est le moins que l’on puisse dire. Ils auront à mettre à profit leur fibre sociale et tout le capital sympathie dont le parti dispose pour mener à bien leur mission. La situation n’est pas aussi compliquée pour le MP, qui, lui, a hérité de secteurs moins problématiques. Outre l’Intérieur, le parti gérera le ministère du tourisme, celui de la jeunesse et des sports, deux ministères pour lesquels le gouvernement sortant a tracé une stratégie à long terme. Quant au titulaire du ministère chargé de la modernisation des secteurs publics, les Marocains ne découvrent habituellement son visage qu’au moment du changement, deux fois par an, de l’heure réglementaire, mais il aura à gérer la lourde réforme des statuts de l’administration qui piétine encore.  
La première étape de la formation du gouvernement prend fin ainsi. La majorité devrait soumettre son programme à l’approbation des députés. Ce n’est qu’après le vote positif du Parlement qu’il entre effectivement en fonction. Elle aura ensuite 100 jours pour convaincre, les traditionnels 100 jours de grâce. Un délai que l’équipe Benkirane compte mettre à profit pour lancer 100 mesures phare promises et grâce auxquelles elle espère conquérir la confiance des Marocains.