Pouvoirs
«Ould flane», sésame ou handicap en politique ?
L’entrée est facile, mais on doit suivre un vrai parcours du combattant pour
asseoir sa légitimité.
Ce n’est pas toujours une garantie de succès.
Plusieurs générations d’une même famille sont fidèles à un parti.
Dans certaines familles on est multi-partisan.

Tous ne sont pas jeunes, et leurs carrières politiques n’ont pas toujours été synonymes de succès. Toutefois, leurs faits et gestes, réels ou supposés, n’échappent pas au regard attentif de leurs collègues et de l’opinion publique, qui n’ont pas oublié le parcours de leurs pères (très rarement leurs mères) avant eux. Dans les médias, la mise en avant de leurs liens familiaux est souvent synonyme de reproche. A la veille des élections législatives du 7 septembre dernier, puis après la formation du gouvernement El Fassi, les noms de Omar Elyazghi, fils de l’ancien premier secrétaire de l’USFP, et celui de Youssef Aherdane, fils du président actuel du Mouvement populaire, avaient ainsi fait la une des journaux, accompagnant des critiques virulentes, qui, elles, étaient adressées à leurs pères respectifs, Mohamed El Yazghi, premier secrétaire de l’USFP et Mahjoubi Aherdane, président du MP, pour différentes raisons. Ces deux épisodes ne sont toutefois pas isolés : en 2002, sous le premier gouvernement Jettou, c’était les Baddou, Ghellab, et autres Douiri qui étaient la cible des critiques, d’autant que, dans plus d’un cas, les concernés n’étaient pas les premiers de leurs familles à accéder au gouvernement. Et si, au bout de cinq ans, ils avaient suffisamment fait leurs preuves pour mériter de nouveaux fauteuils ministériels, les mêmes remarques n’ont pas tardé à ressurgir avec la mise en place du gouvernement El Fassi, à l’arrivée de nouveaux ministres appartenant aux familles de figures politiques connues.
Des militants qui marchent sur les traces de membres de leurs familles, il y en a pourtant beaucoup plus qu’on ne le croit sur la scène politique marocaine. Dans le gouvernement El Fassi, ils sont au moins sept, à commencer par le Premier ministre lui-même. Au Parlement et au sein des partis politiques, le phénomène se confirme : succédant à des membres de leurs familles, siégeant parfois dans la même Chambre, l’on retrouvera parmi les députés et conseillers les Abbou, les Chaâbi, les Tazi, les Kayouh, les Archane et bien d’autres encore, les noms de familles, hérités par définition du côté paternel, ne laissant entrevoir que la partie émergée de l’iceberg. Et si certains patronymes connus sont aujourd’hui absents, ce n’est pas faute d’avoir essayé, comme dans le cas des Aherdane récemment, des Semlali, et bien d’autres encore. Dans ces dynasties, il convient de faire la différence entre les anciens héritiers et les nouveaux.
Ils sont tombés dans la marmite politique quand ils étaient petits
Militantisme héréditaire ou simple opportunisme ? « Vous savez, je n’avais pas vocation à faire de la politique. J’y suis entré par hasard… pas tout à fait parce que j’avais quelques principes, quelques idées, quelques ambitions pour mon pays et mon peuple, mais je ne me voyais pas dans l’arène politique, honnêtement», avoue Ismaà¯l Alaoui, secrétaire général du PPS. Il a pourtant grandi dans le contexte de la lutte pour l’Indépendance, entre un père qui, alors qu’il avait à peine dix ans, lui faisait traduire des articles parus dans la presse française, et deux oncles maternels, Abderrahmane et Abdelkrim Khatib – fondateur du MPDC – fortement politisés, chacun dans une direction différente. Il a également côtoyé Mahjoub Benseddik, Abderrahim Bouabid et d’autres personnalités avant d’être recruté pour le compte du Parti communiste par l’intermédiaire d’un de ses professeurs. Avait-il une chance d’échapper à la politique ? Très infime. Ayant évolué dans un contexte familial marqué par l’Histoire, son parcours se retrouve chez les acteurs de sa génération, ou ceux, plus jeunes, qui ont connu les années de plomb au sein d’une famille de militants. «Nous prenions le café avec la politique, nous mangions à midi avec la politique, nous dà®nions avec la politique, et entre les repas il y avait la politique», raconte ce militant, fils et petit-fils de cadres istiqlaliens, o๠l’appartenance au parti est considérée comme une histoire de famille. «Aujourd’hui, raconte-t-il, après la mort de mon père, quand on se voit entre frères et sÅ“urs, on ne peut parler que de la politique, matin, midi et soir». Idem chez les Elyazghi oà¹, de la visite de personnalités partisanes ou syndicales à la maison, à l’emprisonnement du père, en passant par la surveillance policière permanente du domicile familial ou l’interdiction aux copains de leur y rendre visite, les deux fils n’ont pas tardé à chercher à comprendre ce qui se passait autour d’eux.
Et si l’omniprésence de la politique dans les discussions familiales n’est pas toujours synonyme d’adhésion à un seul et même parti, c’est quand même souvent le cas. Chez les Khairat, o๠Soufiane, ancien dirigeant de la chabiba USFP, a marché sur les pas de son père et de son oncle, lui-même ancien membre de la jeunesse ittihadie et aujourd’hui membre du bureau politique, c’est toute la famille qui est acquise au parti de la rose, même si tous n’ont pas leur carte de militant. Ayant fait le saut à son tour, vers l’âge de 15 ans, «avec des copains, vers 1991, à l’époque de la grève générale», ce dernier choisira, sans surprise, l’USFP. «C’était principalement l’influence du père. Il ne m’a jamais dit : il faut rejoindre la jeunesse de l’USFP, mais il y avait une sorte de tendance au sein de la famille», explique Soufiane Khairat.
Intégrant souvent les mêmes formations que leurs parents, ces militants y voient souvent leur entrée facilitée d’office par les relations tissées avec des cadres du parti dans le nid familial. «C’est vrai qu’il y a beaucoup plus de confiance envers eux qu’envers des jeunes qui arrivent et ne sont pas connus au sein du parti», explique ce jeune militant ittihadi, qui ajoute que, s’il jouit d’une certaine légitimité vis-à -vis des camarades pour ne pas avoir sauté d’échelons, la progression est en général plus rapide quand on porte un nom de famille connu. «On évolue assez vite, car l’on dispose de l’information de manière plus rapide, et puis c’est une question de confiance».
Pas de «page blanche» pour les rejetons
Associés à une entrée précoce dans les structures partisanes, ces avantages permettent souvent à ces militants tombés dans la marmite politique encore petits, de se prévaloir d’une ancienneté qui n’a rien à envier à celle de leurs aà®nés. Ainsi, après avoir fait son entrée, à l’âge de sept ans, dans la petite section du parti, après que son père, cadre istiqlalien, lui-même fils de responsable du parti, ait décidé de l’y placer pour le débarrasser de… sa timidité, Toufiq Hejira, actuel ministre de l’habitat, aujourd’hui âgé de quarante-sept ans, peut s’enorgueillir de quatre décennies d’ancienneté dans le parti de Allal El Fassi. Et il en est de même pour Latéfa Bennani Smirès, actuelle présidente du groupe istiqlalien à la Chambre des représentants et fille d’un militant de base, qui, après avoir intégré la jeunesse istiqlalienne à 15 ans, peut se prévaloir de près de 50 ans d’ancienneté.
Toutefois, si un nom de famille peut ouvrir des portes, il peut aussi en fermer certaines, ou du moins gêner la progression des concernés, les collègues du parti n’établissant pas toujours une différence entre les jeunes militants et leurs parents. «Quand je me présentais pour être élu au sein des instances, des bureaux, de la jeunesse, etc., j’étais un peu gêné d’avoir un père responsable du parti. Il y avait des gens qui étaient contre mon père et qui, par exemple, votaient contre moi», explique ce militant istiqlalien qui regrette de ne pas avoir pu bénéficier d’une «page blanche» à l’instar de ses collègues au patronyme moins connu.
On grimpe au début, on trébuche en milieu de parcours
Même son de cloche du côté de l’USFP, o๠l’on fait remarquer la difficulté pour les collègues de faire la distinction entre le jeune militant et son prédécesseur, les paroles de l’un étant interprétées d’office comme venant de l’autre. Une situation qui conduirait certains jeunes militants à contredire systématiquement leur prédécesseur pour mieux établir leur différence, et d’autres à essayer de transmettre leur position personnelle via des écrits.
A cela, il faut ajouter la surveillance accrue dont font l’objet ces militants et leur évolution. «On vous accepte très facilement au début», explique ce militant, «mais après, il est difficile d’avoir ses droits». Face à cette situation, certains des concernés, qu’on croyait pourtant nés à la politique avec une cuillère d’argent dans la bouche, avouent être dans l’obligation de redoubler d’efforts par rapport à leurs collègues pour prouver qu’ils n’ont pas bénéficié d’un traitement de faveur, voire ne pas rester en-deçà du rythme imposé par le reste de la famille. C’est le cas de Fihr El Fassi, fils de l’actuel secrétaire général de l’Istiqlal, qui avoue avoir une fois renoncé à se présenter au comité central de son parti pour montrer qu’il était d’abord là pour travailler. Pour ce dernier, qui indique pourtant n’avoir pas connu de problème de légitimité vis-à -vis de ses camarades, ayant intégré le parti dès l’adolescence, puis une section dès son retour au Maroc au lendemain de l’avènement du Roi Mohammed VI, qu’il a développée pendant cinq ans, insiste sur le fait qu’avoir un nom de famille connu au sein du parti ne suffit pas pour y faire carrière. «Je suis très content d’être issu d’une famille istiqlalienne, mais ce n’est certainement pas suffisant pour faire un parcours au sein du parti», explique Fihr El Fassi. «Je pense que la barre est systématiquement placée plus haut par rapport aux membres de la même famille. Je n’imagine pas qu’un membre de ma famille ne se mette pas la pression pour être à la hauteur. On n’a pas envie de décevoir», ajoute-t-il.
Les choses sont ressenties de la même manière par Asmaa Chaâbi, qui, entrée au PPS en 2002, a su se classer en tête de la course au bureau politique du parti dès mai 2005 : «Le seul moyen pour s’imposer, c’est notre travail. Si on travaille, ça se voit, et si on ne fait que du remplissage, ça se voit aussi», indique-t-elle.
Pas de familles politiques, mais des familles dans la politique
Malgré tout cela, conformément à ce que l’on observe souvent au Maroc, y compris dans d’autres sphères, les familles restent relativement présentes en politique, surtout au niveau des cadres, o๠l’on peut trouver parfois plus de deux générations de responsables. Peut-on pour autant parler de dynasties politiques marocaines ? Pas vraiment, à en croire le politologue Mohamed Darif, pour la bonne raison que, jusqu’à aujourd’hui, aucun fils n’a succédé à son père à la tête d’un parti politique marocain . «Prenons l’USFP. Au début, il avait été dirigé par Abderrahim Bouabid, puis Abderrahmane El Youssoufi puis Mohamed El Yazghi. Prenons l’Istiqlal. Après sa création, il a eu pour responsables Ahmed Balafrej, Allal El Fassi, puis M’hammed Boucetta. Bien sûr, il existe des liens de parenté en ce qui concerne Abbas El Fassi, mais dans aucun cas, le fils n’a succédé au père», souligne-t-il. «Dans le cas du parti de la Choura et de l’Istiqlal, Hassan El Ouazzani avait une personnalité charismatique qui aurait pu faciliter la succession à ses fils, mais cela ne s’est pas produit». Selon lui, une pratique «à la Bhutto» – le filsde Benazir a été nommé président du parti peu après l’assassinat de sa mère avant d’être envoyé poursuivre ses études à l’étranger – n’a jamais été observée au Maroc et n’y serait pas acceptée.
«Le terme de dynastie politique ne convient pas», confirme Ismaà¯l Alaoui, «le terme famille politique non plus, ce sont des familles dans la politique», souligne-t-il, donnant pour exemple la sienne. En effet, si le numéro un du PPS compte plusieurs membres de sa famille parmi les proches de son parti, il en compte également dans d’autres partis. Autre exemple : Lahcen Daoudi, responsable du PJD et ancien militant UNFP, conserve précieusement la carte de militant de son père, qui avait intégré l’Istiqlal dès 1944…
Adaptations de structures de pouvoir plus anciennes à des formes nouvelles ?
Cette présence diffuse des familles en politique amène certains à parler d’une adaptation de structures de pouvoir plus anciennes à des formes nouvelles, comme semble l’indiquer le cas de la famille Kraffes. «Mon grand- père paternel était caà¯d en 1900, puis il a transmis son poste à son frère. Ce dernier en a ensuite fait de même pour son fils, qui est le père de mon épouse, puis c’est mon père qui est devenu caà¯d», explique Haj Ahmed Kraffes, ancien responsable du RNI. S’étant lancé dans la politique dans la circonscription correspondant à l’ancien caà¯dat dès 1970, ce dernier deviendra maire six ans plus tard , puis député dès 1977. Après vingt années passées au Parlement, il verra son épouse lui succéder à partir de 1997, puis, un cousin, sous les couleurs du MP, lequel a vu son propre père lui succéder.
Ce système de réseaux familiaux n’est pas propre à la sphère politique, puisqu’il s’étend à l’économie et aux finances. Il ne se limite pas non plus à la «diaspora» fassie, d’autres critères entrant en jeu, tels les facteurs tribaux ou historiques. En effet, plusieurs des nouvelles «familles politiques» sont apparues sur scène durant les luttes pour l’Indépendance ou les années de plomb. Plus récemment, un nouveau groupe de familles est apparu en politique avec l’entrée dans le jeu de grands entrepreneurs sans doute à la recherche, via la politique, d’une consolidation de leurs intérêts. C’est le cas des Chaâbi : les enfants du self made man Miloud Chaâbi, Mohamed (PJD) Faouzi et Asmaa (PPS) ont tous les trois suivi leur père en politique, quoique dans des partis différents.
Malgré cela, à l’heure o๠le politique a du mal à reconquérir ses lettres de noblesse, le flux des nouvelles générations ne risque-t-il pas de se tarir ? Il faut dire qu’à première vue, aujourd’hui, les militants de seconde génération ou plus semblent moins jeunes et moins nombreux que par le passé à faire leur entrée en politique. Si, autrefois, plusieurs de ces derniers avaient intégré les structures partisanes dès le niveau du primaire ou du secondaire, aujourd’hui, les mutations sociales, l’arrivée de nouvelles sources de distraction semblent faire concurrence aux activités militantes. De même, avec le déclin de la mobilisation politique qui a suivi l’Indépendance et, surtout, les années de plomb, les vocations se font plus rares. Pourtant, interrogés, les cadres partisans de deuxième génération ou plus se disent confiants, même s’ils soulignent à l’unisson leur volonté de ne pas faire de prosélytisme pour l’entrée de leur progéniture en politique. En attendant, la couleur partisane reste plus que jamais un atout dans les CV des concernés, laissant présager que les plus ambitieux se tourneront tôt ou tard vers un parti, et a priori vers celui qui est le plus proche des valeurs héritées au sein de la famille n
