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Pouvoirs

Al Qaïda est-elle de retour ?

Du point de vue militaire, Al Qaïda a perdu la guerre, mais elle est gagnante sur les plans politique et idéologique
Son cauchemar, aujourd’hui, c’est Barak Obama
Il n’existe pas de profil lambda du terroriste d’Al Qaïda.

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Au début de l’année 2009, les services de renseignements jordaniens arrêtent un médecin qu’ils soupçonnent de sympathie avec les réseaux islamistes extrémistes. L’homme se met à table facilement et avoue ses méfaits. Les services jordaniens flairent un bon coup et convainquent Humam Khalil Al Balwi de travailler pour eux. Il devient ce qu’on appelle dans le jargon un «agent double». Le médecin obtempère et collabore avec ses nouveaux amis qui quelque temps après le confient aux Américains qui sont mis en confiance, d’autant plus que l’officier traitant d’Al Balwi n’est autre que l’officier Ali Bin Zeid, cousin du roi Abdallah II.
Tout semble bien se passer. L’homme se montre d’un apport précieux. Il abreuve la CIA d’informations précises sur les réseaux d’Al Qaïda en Afghanistan. Personne ne doute de sa loyauté…ni les Jordaniens qui l’ont recruté ni les Américains qui l’utilisent. Al Balwi, lui, sait ce qu’il veut. Sur ordre de Aymen Zawahiri, il entreprend le 30 décembre 2009 de se faire exploser dans une base militaire à Khost en Afghanistan. Il tue sur le coup 8 agents de la CIA et des agents jordaniens et afghans. L’addition est salée pour tout le monde. L’image de la CIA et des Etats-Unis est encore une fois traînée dans la boue…par Al Qaïda.

Un label plutôt qu’une organisation unique

Le réseau qu’on disait moribond, terrassé, fini, a montré qu’il existait toujours et qu’il pouvait encore nuire. Quelques jours auparavant, soit le 24 décembre 2009, un jeune Nigérian en provenance de Lagos, embarqué à bord d’un vol devant relier Amsterdam à la ville de Détroit échoue lamentablement à se faire exploser. Si la tentative d’attentat a échoué, le jeune homme a pu tout de même embarquer à bord d’un avion se rendant aux Etats-Unis avec des explosifs. Alors Al Qaïda ne serait-elle pas vaincue ? Ses réseaux sont-ils toujours actifs ? L’hydre est-elle de retour ?
D’après Jean Pierre Milelli, spécialiste du monde arabe et enseignant à Sciences-Po, parler d’un retour d’Al Qaïda supposerait qu’«Al Qaïda se serait absentée. Rien n’est moins vrai. Si la traque des chefs historiques de l’organisation peut réussir, cela ne signifie pas que dans tel ou tel pays des groupuscules ne continueront pas de se réclamer de l’organisation fondée par Ben Laden». Un avis que semble largement partager Dominique Thomas, chercheur spécialiste des mouvements islamistes, pour qui «Al Qaïda est un label utilisé aujourd’hui par plusieurs organisations s’activant dans le monde musulman même si elles n’ont pas vraiment d’affiliation historique avec Al Qaïda d’Oussama Ben Laden. C’est le cas par exemple d’Al Qaïda au Maghreb».

Son point fort : un discours globalisé

Mais, à regarder les derniers développements survenus dans plusieurs pays, certains observateurs se posent la question de savoir si Oussama Ben Laden a pu réorganiser ses troupes et s’il est en train de planifier une nouvelle vague de terreur. Cette question Jean Pierre Milelli la balaie du revers de la main. «Aujourd’hui, dit-il, il n’y a pas de cerveau qui planifie toutes ces opérations. Il y a par contre un corpus idéologique que tous les gens qui se revendiquent d’Al Qaïda partagent». Il est vrai que, depuis ses débuts, Al Qaïda a été une nébuleuse qui fusionnait beaucoup d’organisations d’obédiences différentes. Le seul point commun qui rassemblait tout ce beau monde était le Jihad contre les despotes, mais également contre l’impérialisme occidental et américain en particulier. «La grande force d’Al Qaïda, c’est qu’elle dispose d’un discours globalisé qui peut éventuellement de manière très locale et parfois élitiste arriver à capitaliser de la sympathie», explique Dominique Thomas.

La menace zéro ? Une illusion

Cela dit, les états-majors des services de renseignements occidentaux, en alerte maximale, depuis le mois de décembre, ont relevé quelques similitudes entre les modus operandi des terroristes qui ont perpétré les attentats du 11 Septembre contre le Twin Center et celui du Nigérian appréhendé sur le vol à destination de Détroit. Cela veut-il dire que les services de sécurité ont relâché leurs efforts? Arnaud Blin, spécialiste dans l’étude des conflits et en particulier le terrorisme, pense que «la métamorphose qu’a connue Al Qaïda ces dernières années avec l’explosion en  cellules diffuses et éparpillées a fortement gêné une lourde bureaucratie qui traite des milliers d’informations par ordinateur». De là à dire que la CIA n’a pas tiré les leçons qu’il fallait de la tragédie du 11 Septembre, il n’y a qu’un pas que Dominique Thomas ne franchit pas. «La menace zéro n’existe pas tant que le discours d’Al Qaïda aura des adeptes un peu partout. Les profils actuels qui ont essayé de perpétrer des attentats ou qui ont réussi à le faire sont des profils extrêmement difficiles à détecter parce que les processus de radicalisation sont très compliqués. De plus, le profil lambda du terroriste d’Al Qaïda n’existe pas. Le militant jihadiste type n’existe pas. Si l’on prend la centaine de jihadistes qui sont passés à l’action dans les pays musulmans et qui se proclament du label d’Al Qaïda, on peut dire qu’il existe autant de profils types que de jihadistes».
Le monde est-il condamné à vivre avec la menace terroriste d’Al Qaïda ? Ce n’est pas si sûr. La grande victoire d’Al Qaïda est idéologique, politique plus que militaire. Même si elle manque cruellement d’une base arrière sociale pour pouvoir capitaliser de la sympathie auprès des masses arabo-musulmanes, Al Qaïda a pu marquer des points et continue d’en engranger.
Jean Pierre Milelli et Dominique Thomas tirent en chœur la sonnette d’alarme : «Militairement, Al Qaïda est défaite, mais sur le plan politique et idéologique elle a gagné. Elle a remporté une victoire contre l’islamo-nationalisme du Hamas et du Hezbollah et son idéologie continue de se propager». Un constat qui nous renvoie au verre à moitié vide et à moitié plein.