Pouvoirs
Afilal raconté par Afilal
Le leader de l’UGTM avoue être fatigué mais ne veut pas lâcher prise.
L’origine des problèmes actuels remonte au début des années
1990.
La perspective d’un divorce avec l’Istiqlal ne lui fait pas peur.

Casablanca, rue du Rif, vendredi 2 septembre. Dans le bâtiment délabré qui fait office de QG de l’UGTM, des petits groupes se sont formés çà et là : les détracteurs d’Afilal ont annoncé leur décision d’organiser sur place un conseil général le surlendemain dimanche, pour déposer le secrétaire général conformément au règlement du syndicat. Ses partisans se préparent à leur barrer l’accès au siège.
Deux volées de marches raides, quelques couloirs jaunis et l’on se retrouve dans le bureau du secrétaire général de l’UGTM. Abderrazak Afilal est là, installé dans un fauteuil au fond de la pièce. Il n’est pas seul : pendant les deux heures que durera la rencontre avec lui, une dizaine de militants se relaieront à ses côtés.
Le problème remonte aux années 90, explique le vieux leader : «J’ai laissé entrer des intellectuels à l’UGTM, dont des médecins et des ingénieurs». Selon lui, il avait forcément dû donner des responsabilités aux nouveaux venus, permettant ainsi à l’UGTM de devenir un syndicat de cadres. A c’est là que ça a grincé. Les anciens militants, dont ceux qui se sont récemment rebellés contre lui, n’auraient pas accepté cela. Pourtant, «si ces gens avaient évolué, personne ne les aurait chassé de l’UGTM», ajoute-t-il. «Des gens qui ne s’y connaissent pas en éducation, en médecine, ne peuvent pas représenter ceux qui travaillent dans ces domaines.»
Concernant le groupe mené par Hamid Chabat, il déclare ne pas avoir de conflit personnel avec eux. «Le problème, c’est qu’ils en soient arrivés aux insultes. La décision [de les chasser] a été prise car nous avions un lourd dossier sur eux, sur leur trahison», due, selon lui, à quelque manœuvre au niveau du Parlement.
Aujourd’hui, ce qu’il veut, explique-t-il, c’est «juste une cohabitation : c’est bien de faire appel à la jeunesse, mais ce n’est pas une raison pour chasser les autres générations. Il faut un système pour que les plus jeunes bénéficient de l’expérience des plus anciens.»
Ironie du sort, Afilal explique qu’il ne se trouve pas vraiment à la tête de l’UGTM de son plein gré : lui voulait être professeur, il avait essayé de décliner l’offre du leader de l’Istiqlal de l’époque, sans succès. «Allal El Fassi m’a envoyé Douiri, Boucetta et Hafid ainsi que deux autres personnes aujourd’hui décédées. Ils m’ont dit : Allal veut te parler. Le lendemain, quand je suis allé le voir, je l’ais trouvé avec Yazidi. Il m’a dit : “ Tu deviens insolent ? Tu me dis non ? Ce n’est pas un honneur que je te fais, c’est une mission que je te donne”. C’est ainsi qu’en 1959, je suis parti à Casablanca et que j’y réside depuis, rappelle-t-il.
Deux ans après la création de l’UGTM en 1960, il avait été placé à sa tête. Depuis, il a été réélu, encore et encore. «En 1999, je voulais partir, mais on m’a pas laissé, car sinon, l’UGTM aurait perdu sa représentativité en Europe et en Afrique. (…) Les analystes avaient dit que ce n’était pas encore le moment de le faire.» Les militants assis autour d’Afilal confirment : la salle entière s’était levée pour scander le nom du vieux leader et, une fois de plus, il avait été élu.
Aujourd’hui, le cap des 70 ans largement passé, Afilal avoue qu’il est fatigué. «Même au niveau de l’organisation de l’UGTM, je ne fais absolument rien, je suis comme un chef d’orchestre, je fais travailler les autres (…) Je jure que si j’avais su que toutes ces personnes se dresseraient contre moi, je serais parti», annonce-t-il. Quelques minutes plus tard, pourtant, il se contredit : interrogé si quarante ans à la tête de l’UGTM, ce n’était pas un peu excessif, Afilal proteste : «Est-ce que je suis le seul dans cette situation ? Il y a aussi Mahjoub Benseddik, secrétaire général depuis le 20 mars 1955, et puis Noubir Amaoui, secrétaire général depuis 1978. (…) Je suis à la tête de l’UGTM de manière légale. Seul le congrès peut me limoger.»
Entre deux déclarations à propos de la crise actuelle, Afilal ne peut s’empêcher de revenir sur son passé : jeune instituteur, il avait été affecté à Meknès, en 1948. Cette année là, l’Istiqlal avait décidé d’organiser la fête du Trône, et c’est lui qui s’était chargé de l’évènement dans la ville. La sanction des autorités n’avait pas tardé à tomber…
Mais les retours fréquents aux souvenirs du vieux leader, qui monopoliseront presque toute l’entrevue, ne semblent pas vraiment du goût des militants installés dans le bureau. Les uns s’empressent d’expliquer les propos d’Afilal, d’autres essaient de terminer ses phrases pour lui. Leur impatience finit par donner l’impression que l’entretien a été expressément accordé pour montrer la bonne santé mentale et physique de leur leader et non pas pour exprimer son point de vue sur la crise qui secoue l’UGTM.
Pourtant, Afilal est impassible. Il trouve le moyen de terminer systématiquement ses phrases avec des mots autres que ceux qu’on a proposés. Malgré le comportement de sa jeune garde, il est apparent qu’Afilal est bel et bien celui qui tient les rênes du pouvoir au sein de l’UGTM. Et il
se montre confiant : non, l’UGTM n’est pas en danger de scission. Au contraire, elle s’élargit : notamment avec la Comanav où aucun autre syndicat n’était parvenu à entrer jusqu’à présent. «Nous avons aussi des idées, même si nous ne bénéficions pas de bourses de travail», ajoute-t-il, à la différence d’autres syndicats.
En fait, le vieux leader ne semble pas du tout craindre l’idée d’un divorce de l’UGTM avec l’Istiqlal. Il a confiance en ses militants, ajoutant qu’ils sont conscients des problèmes et sont restés attachés aux principes de l’Union. «Je suis content que le Maroc ne soit plus un pays de moutons. Je suis fier d’avoir des militants comme ceux qui sont avec moi.»
Après 43 ans passés à la tête de l’UGTM, Abderrazak Afilal fait confiance à ses militants et ne croit pas au risque de scission au sein du syndicat.
