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Pouvoirs

A vingt mois des législatives, le jeu des alliances démarre

Trois pôles émergent : celui conduit par l’USFP, celui de la Mouvance populaire et un autre
dans lequel figure le PJD.
Le RNI partagé entre une alliance avec le PJD et un deal avec l’USFP.
Le PPS de plus en plus isolé.
Mohand Laenser confirme : la fusion entre PND, MP et MNP aura bien lieu.

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Bouznika, samedi 3 décembre, dernier congrès du PSD. Succédant à son secrétaire général, Aïssa Ouardighi, Mohamed El Yazghi, son homologue de l’USFP, déclare au micro sa flamme aux congressistes du PSD venus entériner l’intégration du parti dans l’USFP. La salle, plutôt calme jusque-là, croule sous les applaudissements. C’est la fin heureuse d’une aventure qui aura duré le temps de deux scissions successives, celle qui a donné naissance à l’OADP, en 1983, puis celle du PSD, en 1996. Les nouveaux venus, désormais impliqués «à tous les niveaux» dans les structures de l’USFP, apporteront du sang neuf au parti de Ben Barka.

Solidarité de la gauche oblige, on aura remarqué la présence du secrétaire général du PPS au premier rang. Pourtant, la cérémonie marque une nouvelle déception pour le parti d’Ismaïl Alaoui puisqu’une fusion PPS-PSD était prévue avant 2007. Pire, quelques mois avant ce 3 décembre 2005, l’association Fidélité à la Démocratie avait, elle aussi, choisi de mettre entre parenthèses son rapprochement avec le PPS et de s’unir à la GSU, Gauche socialiste unifiée (au sein du PSU, Parti socialiste unifié), alors que cette dernière n’avait même pas encore fini d’organiser ses courants. Résultat des courses, au conseil national du PSU qui se tenait le même jour, à Casablanca, deux courants de l’ex-GSU avaient choisi de boycotter la rencontre : l’Action démocratique, d’Ahmed Herzenni, et Liberté de l’initiative démocratique, de Omar Zaïdi.

A l’heure des marquages de territoire pour la gauche, le doute n’est plus permis. Si un gagnant émerge, il s’agit bien de l’USFP. D’ailleurs, certains n’hésitent pas à le décrire comme le grand parti de gauche tant attendu. Même le mammouth istiqlalien, après des mois de silence radio, se dit aujourd’hui prêt à coopérer avec lui aux prochaines élections, invoquant leur histoire commune.
«Nos alliances ont toujours été faites avec l’USFP. […] En 1969, nous avions boycotté les élections ensemble, aux élections de 1970 et 1972, nous avions travaillé ensemble. En 1989, nous avons eu des positions communes au Parlement. Nous nous sommes toujours accordés. Le couronnement a eu lieu en 1993, lorsque nous avions présenté un seul représentant pour chaque arrondissement», explique Larbi Messari, porte-parole de l’Istiqlal. Ainsi, les deux grands de la Koutla ont choisi de s’entendre à nouveau. Même si les retournements sont monnaie courante entre eux, les frères ennemis ayant la vilaine habitude de se poignarder dans le dos aux moments les plus cruciaux. Dernière illustration en date : la bataille pour l’élection du président de la Chambre des représentants qui s’était soldée par un nouveau mandat de Abdelouahed Radi (USFP).

Un grand parti ou une fédération de gauche ?
Pourtant, les choses ne s’arrêtent pas là. La réconciliation entre l’Istiqlal et l’USFP n’est pas achevée que l’on évoque déjà son élargissement. L’alliance doit-elle être élargie «à gauche et à droite pour devenir le creuset de tous les partis politiques croyant en la démocratie», comme le préconise Ismaïl Alaoui ? Possible, mais il y a un bémol, selon Ali Bouabid, secrétaire général de la Fondation Abderrahim Bouabid, «il ne faudra pas oublier que si elle est élargie à droite (RNI…), elle devra perdre à gauche», une idée confirmée par l’ex-leader de Fidélité à la démocratie, Mohamed Sassi. Pour lui, «aujourd’hui, l’USFP veut mettre en place une Koutla qui entend toujours gouverner [ndlr : être du bon côté ?], cela signifie un élargissement à droite.Possiblement avec le RNI».

Certes, l’élargissement de la Koutla à droite n’est pas la seule option existante. Il est tout aussi possible de considérer la mise en place d’un front de gauche, mais, là encore, cela implique aussi la clarification des règles du jeu. «Il existe des divergences, il faut se mettre d’accord sur une plateforme minimale avec le PI, le PSU, le PPS, l’USFP », précise M. Bouabid qui explique que les partis concernés ne sont pas obligés de s’entendre sur tous les points.
Mais, avant d’en arriver là, il faudra que les différents partis parviennent à panser les blessures produites par les scissions mêmes qui leur ont donné naissance. «Le pôle de gauche doit voir le jour mais avec les précautions d’usage», prévient Ismaïl Alaoui.«Il y a aujourd’hui beaucoup de partis de gauche qui sont les fruits de scissions, qui ont généré leur lot de blessures […], et qui font que le caractère subjectif domine», poursuit-il.

Mouvements populaires, que cherche Aherdan ?
Il faut reconnaître quand même que la gauche n’est pas la seule à se trouver dans cette situation. En effet, du côté de la Mouvance populaire, l’historique de manipulation des élections qui a entraîné le détachement successif du MNP et de l’UD du Mouvement populaire a favorisé la mise en place de partis peu différenciés au niveau des programmes mais relevant chacun d’une des personnalités du trio Laenser-Aherdan-

Ikken. Et ce ne sont pas les coups bas qui ont manqué lors de la constitution de ces partis.
Voici sans doute une des raisons pour lesquelles l’union des partis haraki n’a pas pris jusque-là, mais il semble aujourd’hui que chacun des dirigeants ait mis son ego de côté. «Nous avons une commission qui planche sur le sujet depuis deux mois. Le congrès de fusion aura lieu vers janvier 2006. Il s’agit non plus d’une alliance mais d’une fusion», annonce Mohand Laenser, secrétaire général du Mouvement populaire. Cette fusion traîne les pieds. Annoncée pour la première fois dès le mois de mai dernier, elle serait restée en stand-by à cause de la réticence de l’UD, dont les cadres auraient eu peur pour leur position. «Ce que la presse a dit n’était pas exact : lors de la dernière réunion de la commission, M. Ikken a réitéré son engagement [pour la fusion]. Les divergences ont porté sur la constitution des organes. Il existe une vision selon laquelle, pour cette première opération, les membres de l’UD risquent d’être sous-représentés dans les organes du parti. Certains veulent donc des quotas pour assurer la présence de chaque parti dans chaque organe. M. Ikken veut une union par cooptation, où chaque parti peut désigner les membres qui siégeront dans les nouveaux organes», ajoute M. Laenser qui se veut rassurant. Un tel processus, s’il était accepté par les autres partis, ne marcherait bien sûr qu’une seule fois puisque les trois partis seraient ensuite dissous.

Son de cloche similaire du côté de Bouazza Ikken. En fait, à en croire les propos des deux secrétaires généraux, les divergences se limitent au nom du nouveau parti : faudra-t-il garder l’appellation
«Mouvement populaire», comme le préfère Laenser, pour rester fidèle aux cinquante ans d’histoire du parti, ou faut-il plutôt un nouveau nom, comme «Union des mouvements populaires» ou «Mouvement populaire unifié», qui prenne davantage en compte les scissions ? Surprise. Interrogé à propos de la fusion, Mahjoubi Aherdan introduit une fausse note : «L’alliance entre le MNP et le MP avance, pour l’UD, je ne sais pas»… Pourquoi l’Amghar fait-il mine d’ignorer les progrès passés ? S’agit-il d’une concurrence pour le leadership du parti alors qu’il est presque certain que le poste de secrétaire général du nouveau parti sera attribué à Laenser ?

Le PJD décidé à constituer un axe
Face aux doutes qui agitent et la gauche et la Mouvance populaire, le PJD a l’air plutôt sûr de lui. «Le PJD n’a pas encore d’option claire, mais un axe USFP-PI est en train d’apparaître, et il serait de bonne guerre que d’autres axes apparaissent», annonce d’emblée Lahcen Daoudi, porte-parole du parti islamiste. Renforcé par l’accord passé avec Forces citoyennes, le PJD concocte-t-il d’autres alliances ?
Un chose est sûre, le parti islamiste ne fait plus figure de paria politique. Avec son assise électorale, il ne serait pas étonnant que les candidats se bousculent au portillon. Au point que ce dernier considère la création d’un axe ? «Il n’y a rien pour le moment, il reste un an et demi, même si quelque chose doit se faire, il faut une préparation au niveau de la base. Nous avons une base très difficile qui a des exigences ; pour Forces citoyennes, la base a accepté, mais il a fallu beaucoup de temps. Il y a un problème d’image», explique M. Daoudi. Autrement dit, le PJD n’est pas ouvert à n’importe quelle alliance. Qui sera l’heureux élu dans ce cas ?
On ne peut s’empêcher de faire le lien avec une petite phrase d’Ahmed Osman. Interrogé à propos des alliances en cours, le leader du RNI – encore lui – répond qu’elles sont encore à l’étude, et ajoute : «Nous avons d’excellents rapports avec (tous) les autres partis politiques. Nous avons actuellement une grande tendance pour nous concilier avec le PJD»…
Y aura-t-il donc un axe PJD-RNI ? Il est encore trop tôt pour le savoir. Mais on ne peut pas s’empêcher de remarquer que les alliances qui se font cette fois-ci ont, pour la plupart, tendance à se faire sur des bases politiques, et qu’elles sont en train de se faire beaucoup plus tôt que pour les élections précédentes. «Les gens ne veulent pas attendre la sanction des urnes pour négocier des alliances», explique Mohamed Tozy, professeur de science politique à l’université Hassan II de Casablanca, qui reste pessimiste : «On va se retrouver avec une situation similaire à ce qui s’est passé lors des législatives précédentes, il y aura la même chose, seulement les groupes seront plus grands. Il reste aussi un risque de revirement». Et d’ajouter : «A ce jeu-là, les petits partis vont être très forts». Normal, ils joueront un rôle déterminant dans la formation des majorités…

Lors des législatives de 2007, les petits partis joueront un rôle déterminant dans la formation des majorités.

Le PPS hors jeu ?
Lâché par Fidélité à la démocratie, puis par le PSD, le PPS se retrouve doublement affaibli. Non seulement il a perdu des alliés au Parlement, mais il ne pourra pas renforcer sa position vis-à-vis de l’USFP, restant ainsi relégué à un rôle secondaire au sein de la Koutla. On le voit d’ailleurs déjà avec la reprise des discussions entre l’Istiqlal et l’USFP, qui se fait sans lui, alors qu’il avait été le premier à les relancer en septembre dernier… Si Fidélité à la démocratie explique son geste envers le PPS par sa proximité politique avec la GSU, le PSD renvoie la faute au PPS lui-même : ce dernier, qui s’était engagé pour une fusion en 2005, aurait préféré son report, ou l’établissement d’une simple alliance entre les deux partis aux prochaines élections, alors que le PSD n’avait pas les moyens de participer. Pour Mohamed Tozy, cependant, le problème est plus profond: «Il ne faut pas se leurrer, le PPS est un parti doté d’une forte identité qui remonte aussi loin que le mouvement national. Par conséquent, il est difficilement soluble dans un autre parti. Le PSD était proche de l’USFP, il n’avait pas d’identité particulièrement forte. Mais le PPS, lui, ne peut pas exister en tant que courant». L’ex-parti communiste finira-t-il donc par se réduire comme peau de chagrin, à l’instar de plusieurs de ses équivalents ou parviendra-t-il à trouver une solution propre à sa spécificité ? Dans les deux cas de figure, les alliances et mésalliances finiront par générer un flot de mécontents suffisamment important pour que l’on assiste à un mouvement de troupes entre le PPS et l’ex-PSD.