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A l’UGTM on s’entre-déchire, l’Istiqlal ne se mouille pas

L’activité du secrétaire général Mohamed Benjelloun Andaloussi, SG de l’UMT, a été gelée par le comité exécutif, qui lui reproche ses sorties médiatiques contre ses membres.
Les critiques qui lui sont faites ressemblent étrangement à  celles qui ont servi à  déboulonner Afilal en 2005.
Quel rôle l’Istiqlal joue-t-il dans ce conflit ?

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L’UGTM est-elle victime d’une malédiction ? Trois ans après avoir éjecté Abderrazzak Afilal, et à un mois seulement de son premier congrès ordinaire depuis 1999, la centrale syndicale vient de confirmer le gel de l’activité de son secrétaire général actuel, Mohamed Benjelloun Andaloussi. Effective depuis le 21 décembre, date à laquelle le comité exécutif du syndicat s’était réuni à Marrakech sous la présidence de Hamid Chabat, maire de la ville de Fès et président de la commission de préparation du congrès, la décision est essentiellement motivée par les sorties médiatiques du secrétaire général à l’encontre de certains de ses collègues.Quelques jours plus tôt en effet, le concerné, resté injoignable au téléphone depuis, avait protesté via la presse contre sa mise à l’écart de la direction du syndicat, se présentant comme la victime d’une machination ourdie par Hamid Chabat.
A l’origine du bras de fer entre les deux hommes, un désaccord sur la date du congrès de l’UGTM. En effet, le clan Chabat avait réclamé que l’événement soit organisé avant le congrès de l’Istiqlal, prévu du 9 au 11 janvier, tandis que M. Benjelloun Andaloussi souhaitait que la grand-messe du syndicat se tienne après. Pour certains, toutefois, la crise est due à un simple quiproquo: «Le bureau exécutif avait décidé la tenue de notre congrès les 12, 13 et 14 décembre. Or, les commissions chargées de préparer les documents du congrès avaient pris du retard dans leur travail. Nous nous sommes alors réunis à nouveau sous la présidence du secrétaire général, et nous avons décidé de reporter le congrès du 30 janvier au 1er février», explique Mohamed Titna Alaoui Idrissi, vice-secrétaire général du syndicat. La gestion du syndicat a alors été confiée à la commission préparatoire du congrès en attendant son organisation, de manière à rassurer les militants quant à la tenue de la rencontre à la date prévue. Un geste que M. Benjelloun Andaloussi aurait interprété comme une mise à l’écart, d’où ses sorties médiatiques. «M. Andaloussi a cru qu’il avait été écarté, mais il ne l’a jamais été: selon les statuts, le comité exécutif a le pouvoir de limoger le secrétaire général, mais cela n’a pas été fait», précise M. Titna Alaoui Idrissi.

Hamid Chabat, numéro un de l’UGTM ?
Quoi qu’il en soit, le communiqué de Marrakech n’aura pas changé un détail-clé : conformément à la décision du 4 décembre, et jusqu’à la date du congrès, l’UGTM sera gérée par la commission de préparation du congrès, et, de fait, dirigée par un Hamid Chabat qui a toutes les chances d’hériter du poste de secrétaire général. Pendant ce temps, les préparatifs du IXe congrès se poursuivent. Prévue à Rabat, la rencontre devrait réunir, selon les organisateurs, un millier de participants.
En attendant, les dirigeants de l’UGTM font le tour des régions pour présenter leur projet de réforme de la centrale : présents à Tanger le 14 décembre, ils étaient à El Jadida le 20, à Marrakech le 21, et prévoyaient cette semaine de se rendre à Laâyoune, puis à Taza samedi 27 décembre.
Une tournée d’autant plus nécessaire, explique-t-on, que les membres du comité exécutif affichent de grandes ambitions qui vont de la modernisation des structures à une plus grande transparence en matière de gestion financière, en passant par la révision du dossier des revendications, ou encore la limitation des mandats du secrétaire général, tant au niveau du nombre que de la durée. Et ce n’est pas tout, puisqu’ils comptent même proposer d’introduire la dimension régionale dans la structure du syndicat, via la mise en place d’un système de secrétaires nationaux. «L’idée est de partager le Maroc en quatre zones d’intervention, gérées par des secrétaires désignés par le congrès, financièrement autonomes et soutenues par des équipes. Ces secrétaires seraient directement responsables de ce qui se passe dans leurs régions respectives et auraient la latitude d’intervenir auprès des administrations pour s’attaquer aux problèmes des travailleurs», explique M. Titna Alaoui Idrissi. En plus des responsables des quatre zones, il est également prévu de nommer, entre autres, un secrétaire national à la Fonction publique, et un autre au privé. Enfin, l’UGTM serait tentée d’élire ses dirigeants via le scrutin de liste, qui avait donné du fil à retordre à l’USFP cet été.
Ambitieux, le projet de réforme de l’UGTM ? Certainement. Reste que les circonstances qui entourent le départ de M. Benjelloun Andaloussi, tout comme le timing de ce changement de direction, ne manquent pas de susciter quelques interrogations.
Flash-back. Le 27 juillet 2005, Abderrazzak Afilal, secrétaire général de l’UGTM depuis 1960, exclut quatre membres du bureau exécutif de l’UGTM : Hamid Chabat, Mohamed Benjelloun Andaloussi, Mohamed Titna Alaoui Idrissi et Khadija Zoumi. Ces derniers s’érigent en comité de redressement et brandissent l’étendard de la modernisation pour mobiliser leurs troupes contre le zaïm. Parmi leurs accusations à l’égard de M. Afilal : des méthodes de gestion dépassées et un manque de transparence, surtout sur le plan financier. Le concerné proteste, notamment contre une opération téléguidée par des partisans d’un troisième mandat de Abbas El Fassi à la tête de l’Istiqlal… Moins de six mois plus tard, après une période de tensions, le congrès extraordinaire du 29 janvier 2006 consacre la défaite de M. Afilal, remplacé, sur décision du comité exécutif, par Mohamed Benjelloun Andaloussi. Les dirigeants du syndicat se donnent alors un an pour organiser le congrès ordinaire qui permettra la réforme en profondeur du syndicat, un délai qui ne sera pas respecté.

Même scénario qu’il y a trois ans, du temps du puissant Afilal
Aujourd’hui, le successeur de M. Afilal est, à son tour, accusé par ses anciens alliés de manquer de vision, voire d’être derrière les retards enregistrés au niveau de la préparation du congrès et le blocage de certains changements. Mais, surtout, sa gestion financière du syndicat est présentée comme douteuse par un Hamid Chabat, qui n’a pas attendu les résultats de l’audit de l’UGTM pour se montrer accusateur. «Quand je vois qu’au début de l’année 60 000 cartes sont sorties, alors que les recettes ne sont que de 16 millions de centimes, il y a de quoi se poser des questions», explique Hamid Chabat, «M. Afilal, lui, avait laissé près de 1 million de DH de recettes».
La situation financière de l’UGTM est-elle aussi grave que M. Chabat le laisse entendre ? Trois ans après le départ de M. Afilal, le syndicat a payé ses dettes, et une visite rapide de son siège, remis à neuf, montre une amélioration sensible, d’autant plus que, par voie de presse, le secrétaire général sortant annonce que le syndicat a remboursé pas moins de 810 000 DH de loyers impayés depuis 1986. Ce dernier a également pour lui le fait qu’une gestion «amateur» des comptes, favorisée par ce que des militants présentent comme une trop grande confiance des uns envers les autres, pourrait être responsable de l’opacité dont il est accusé.

La mauvaise gestion financière du syndicat reste à prouver
Au-delà, l’on ne peut s’empêcher de remarquer la forte similarité entre les accusations émises à l’encontre de M. Benjelloun Andaloussi et celles émises contre M. Afilal avant lui. Le gros des arguments n’a pas changé, tout comme les personnes en présence : de part et d’autre, l’on retrouve les mêmes noms, à ceci près que MM. Benjelloun Andaloussi et Afilal ont échangé leurs places, ou presque. En effet, éjecté il n’y a pas si longtemps de son siège de secrétaire général, l’ancien leader de l’UGTM a récemment été approché par l’équipe Chabat qui projette de le réintégrer dans l’organigramme du syndicat, en lui accordant un poste honorifique. Une donnée confirmée par le concerné qui laisse quand même planer un doute sur sa disposition à accepter l’offre.
Aussi véridiques que soient les arguments des uns ou des autres, les évènements qui secouent l’UGTM depuis un mois laissent songeur. Si Benjelloun Andaloussi a bien commis les écarts dont il est accusé, pourquoi les trésoriers, installés en janvier 2006 pour éviter de tels abus, n’ont-ils pas réagi ? Quid des membres du conseil exécutif du syndicat, et à plus forte raison des cadres aux côtés desquels il avait mené la guerre contre M. Afilal ? De même, pourquoi avoir attendu la veille du congrès de l’Istiqlal pour changer de direction alors que certaines voix ne manquent pas de souligner que M. Chabat était déjà l’homme fort du syndicat au lendemain de la chute de Afilal? Faut-il voir, encore une fois, dans cette affaire la main des partisans d’un troisième mandat El Fassi à la tête du parti?
Hamid Chabat, le principal adversaire de Benjelloun Andaloussi, est certes ouvertement favorable à la réélection du Premier ministre à la tête du parti (voir entretien). Mais pas de conclusions hâtives : dans une lettre datée du 16 octobre 2008 et adressée au président de la commission réglementaire du parti, portant le sceau du secrétaire général et du comité exécutif, M. Benjelloun Andaloussi indiquait aussi approuver et soutenir sans réserve le maintien du Premier ministre à la tête du parti.

La neutralité de l’Istiqlal risque de nuire à son image
Interrogé sur la position de l’Istiqlal sur cette affaire, Mohamed Saâd El Alami, porte-parole de l’Istiqlal et ministre des relations avec le Parlement, se contente de rappeler que le parti et le syndicat sont des structures séparées et que, les concernés étant membres du parti, l’Istiqlal peut tout au plus les appeler à résoudre leurs désaccords de manière plus tempérée.
Reste que cette affaire aura forcément des répercussions sur l’Istiqlal. En se rendant à son congrès en tant que chef du bras syndical du parti, même à titre temporaire, Hamid Chabat renforce sa position dans le parti de manière significative. Mais qu’en est-il de Abbas El Fassi ? Ce dernier a-t-il vraiment besoin du soutien de Hamid Chabat pour être réélu à la tête du parti, ou ce dernier se sert-il seulement de lui comme couverture ? En attendant, des anciens de la formation ne voient pas d’un très bon œil ce qui se passe au syndicat. «Il existe une chose qui s’appelle la subtilité : on n’aurait jamais vu une telle chose à l’époque de MM. Boucetta et Douiri», indique cet ancien du parti, qui souligne qu’il aurait «préféré assister au même combat autour du référentiel intellectuel du parti ou concernant son bilan, sa présence ou sa productivité.
Mais un combat pour le positionnement de personnes physiques, c’est décevant. Je ne me retrouve plus dans le parti de l’Istiqlal». Ainsi, une fois de plus, le parti risque de payer pour le syndicat aux yeux de l’opinion publique.