Pouvoirs
2004, une année riche en événements
Années de plomb, nouvelle moudawana, champ religieux et dossier du Sahara ont été les sujets les plus abordés.
La loi sur les partis et celle concernant la libéralisation de l’audiovisuel ont constitué les deux temps forts pour le législatif.

L’année 2004 s’achève comme elle a commencé, sous le signe des droits de l’homme. Le 7 janvier, le Roi
Mohammed VI présidait, au Palais royal d’Agadir, la cérémonie d’installation de l’Instance équité et réconciliation. Les 20 et 21 décembre étaient organisées les premières auditions publiques, retransmises en direct sur la RTM, des victimes des années de plomb (voir article en p. 32).
2004 fut indéniablement une année féconde en événements : entrée en vigueur du nouveau code de la famille, poursuite de la restructuration du champ religieux, nouveaux développements dans l’affaire du Sahara, succession à la tête du PJD, adoption de la loi sur la libéralisation de l’audiovisuel, réchauffement des relations maroco-espagnoles, tenue du Forum de l’avenir à Rabat et lancement du débat sur la loi organisant les partis politiques.
Lorsque, le 19 mars 1999, le premier ministre Abderrahmane Youssoufi avait présenté le Plan national d’intégration de la femme au développement, personne ne pouvait imaginer l’ampleur de la mobilisation islamiste et conservatrice contre les dispositions de ce plan relatives à la condition juridique de la femme. Cette mobilisation a débouché sur une polarisation de la société marocaine en deux camps inconciliables. Il s’ensuivit des manifestations gigantesques le 12 mars 2000…
La nouvelle moudawana a presque un an, l’heure d’un premier bilan
Pour éviter que les dérapages ne deviennent plus sérieux et étant donné le manque de sens des responsabilités du gouvernement, on demanda l’arbitrage royal. Il aura fallu une Commission consultative royale, deux présidents et deux ans et demi de travail acharné et de débats houleux pour boucler la révision de la moudawana du statut personnel, avec un second arbitrage royal.
Le résultat fut un texte révolutionnaire, le plus avancé du monde arabe, exception faite de la Tunisie : l’égalité juridique entre l’homme et la femme consacrée, la tutelle matrimoniale supprimée, la polygamie sévèrement réglementée et le divorce judiciaire généralisé… Ce sont-là les mesures phares de la réforme. Sur toutes ces questions, le texte est allé aussi loin que le permettait l’interprétation dominante dans le rite malékite, avec des emprunts à d’autres rites.
Le résultat en est un produit hybride où s’imbriquent référentiel religieux et valeurs universelles, et reflétant l’état du rapport de forces socio-politique dans le pays. La nouvelle moudawana, appelée Code de la famille, a été publiée au Bulletin officiel le 5 février. Elle est immédiatement entrée en vigueur et, dans un mois, on fêtera la première année de son application. Ce sera l’occasion d’un premier bilan pertinent de la mise en œuvre de ce texte.
L’historien Mohamed El Ayadi analyse ainsi cette réforme socio-juridique majeure et la replace dans son cadre global : «Le Roi Mohammed VI a fait inscrire au compte de la monarchie la réforme sociale la plus marquante dans l’histoire contemporaine du Maroc, à travers la réforme de la moudawana, dans le sens de la revendication de l’équité et de l’égalité entre les sexes. Le projet moderniste et démocratique de la monarchie trouve là sa principale concrétisation durant ces premières années du règne de Mohammed VI».
La séparation entre le politique et le religieux, au centre des débats
Autre sujet, moins «grand public», mais qui n’en a pas moins meublé les débats et les réflexions tout au long de l’année écoulée, celui de la restructuration du champ religieux, ponctuée par deux dates-clés : le 30 avril et le 30 juillet. Ainsi, les grandes lignes de la nouvelle politique religieuse de l’Etat ont été annoncées devant un aréopage d’oulémas, vendredi 30 avril, au Palais royal de Casablanca. Dans son aspect institutionnel, cette politique s’est déclinée par la création de trois nouvelles directions dans le département dirigé par Ahmed Tawfiq, celles des Affaires islamiques, des Mosquées et de l’Enseignement originel. Seize délégations régionales des affaires islamiques ont également été créées. En outre, le Conseil supérieur et les conseils locaux des oulémas ont été très largement renouvelés et leur nombre a augmenté en vue d’une action religieuse de proximité.
Il a fallu, selon M. Tawfiq, près d’un an pour sélectionner les oulémas correspondant au profil recherché pour siéger dans ces conseils d’oulémas. Un profil dont les traits ont été dessinés par le Souverain lors du discours du 30 avril : «Des théologiens connus et reconnus pour leur loyauté aux constantes et aux institutions sacrées de la nation et pour leur capacité d’allier érudition religieuse et ouverture sur la modernité». D’ailleurs, on assiste à un très large renouvellement des membres des conseils. Ainsi, sur les trente présidents des conseils locaux, vingt-deux sont nouveaux. Quant au Conseil supérieur, sur ses quinze membres, onze sont nouveaux.
Évoquant le chantier de la restructuration du champ religieux, le Souverain affirmait le 30 juillet, lors du discours du Trône, qu’une «nette séparation doit être faite entre le religieux et le politique, eu égard à la sacralité des dogmes véhiculés par la religion, et qui doivent, de ce fait, être à l’abri de toute discorde ou dissension, d’où la nécessité de parer à toute instrumentalisation de la religion à des fins politiques. En effet, sous la monarchie constitutionnelle marocaine, religion et politique ne sont réunies qu’au niveau de la personne du Roi, Commandeur des croyants».
Il y a deux assertions lourdes de sens et de conséquences dans cet extrait du discours royal : la volonté d’une «nette séparation» entre le religieux et le politique, et l’affirmation selon laquelle la seule institution où les deux sphères peuvent être réunies n’est autre que le Roi, en tant qu’Amir al Mouminine. C’est là un thème récurrent, qui a surgi avec force dans le débat public depuis les attentats du 16 mai, autour d’une question centrale : quelle place pour la religion dans la vie publique ?
Impasse et statu quo dans le dossier Sahara
La question du Sahara était également à l’ordre du jour durant toute l’année écoulée. Elle était pour ainsi dire ponctuée par les prorogations de la mission de la Minurso (janvier, avril et octobre). La dernière en date, celle d’octobre, s’était appuyée sur les résultats de la tournée diplomatique du nouvel envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU au Sahara, Alvaro de Soto.
Ainsi, avait-il qualifié de «prise de contact» sa visite au Maroc, le 6 septembre 2004. C’était en effet la première fois qu’il rencontrait, depuis sa nomination à ce poste, les responsables marocains. Dans les jours qui ont suivi, il s’était rendu à Tindouf, puis à Alger et à Nouakchott.
C’est sur la base des conclusions de cette tournée de son envoyé spécial dans la région que Kofi Annan a élaboré le rapport qu’il a présenté, sur la question du Sahara, au Conseil de sécurité, le 20 octobre. «Lorsque j’ai présenté mon précédent rapport, en avril 2004, il n’y avait pas d’accord entre les parties sur le Plan de paix [Plan Baker II] pour l’autodétermination du peuple du Sahara occidental. Un tel accord semble plus lointain aujourd’hui. Il n’existe pas non plus d’accord quant aux mesures qui pourraient être prises pour surmonter l’impasse actuelle».
Ce passage du rapport du secrétaire général de l’ONU sur la situation au Sahara a fait le tour de toutes les agences de presse. Il exprimait le pessimisme de M. Annan quant à une solution négociée rapide du conflit du Sahara, ainsi que la lassitude de l’ONU devant un conflit qui dure depuis plus de 30 ans. La mission de la Minurso au Sahara a été néanmoins de nouveau prorogée de 6 mois (jusqu’à la fin avril 2005).
Quelles sont, aujourd’hui, les positions des parties concernées ? Le Maroc rejette toujours le Plan Baker II mais affirme qu’il est prêt à négocier un statut d’autonomie mutuellement acceptable, qui permettrait aux populations du Sahara d’administrer leurs propres affaires, dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Royaume. Quant à l’Algérie et au Front Polisario, ils maintiennent leur appui au Plan Baker II. Ils sont opposés à l’examen d’un aspect quelconque de ce plan, à moins que le Maroc n’accepte de le soutenir. C’est l’impasse et le statu quo.
Loi sur les partis, de longs mois de concertation
Par ailleurs, l’année 2004 a connu au moins deux temps forts dans la vie législative de la nation : le premier texte relatif à la libéralisation de l’audiovisuel a été adopté par le Parlement et sa publication au Bulletin officiel est imminente. Quant au second, le texte concernant l’organisation des partis politiques, il est au début du processus d’adoption officiel.
Adoptée en conseil de ministres le 3 juin, la loi sur la communication audiovisuelle a été adoptée par la Chambre des représentants le 13 juillet et par la Chambre des conseillers le 26 octobre. Cette loi peut être résumée en une phrase : la fin du monopole de l’Etat. Les critiques sur ce texte ont porté sur les problèmes de formulation, la protection des libertés, les conditions d’exercice du journalisme professionnel et la mission de service public.
En quoi consiste cette réforme ? D’abord, la réglementation du secteur. Le gouvernement préconise ainsi le passage du monopole de l’Etat à une libéralisation progressive et contrôlée. Ensuite, la RTM changera de statut juridique. Elle passera du statut d’établissement public à celui de société anonyme au capital public. Au final, on débouchera sur un paysage audiovisuel démonopolisé, contrôlé et régulé par la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA).
Pour ce qui est de l’avant-projet de loi sur les partis politiques, il a fait l’objet d’une très large consultation : partis politiques, organisations des droits de l’homme, spécialistes. Remis par le ministre de l’Intérieur, Mostafa Sahel, aux partis politiques, à la fin du mois d’octobre, ces derniers devaient remettre leurs remarques, observations et critiques au plus tard avant la fin de l’année.
Les tiraillements internes du PJD apparaissent au grand jour
C’est maintenant chose faite. Il restera à intégrer ces remarques au texte et à le mettre dans le circuit habituel d’adoption officiel : conseil de gouvernement, conseil de ministres et Parlement. Les critiques de cet avant-projet de loi ont porté sur trois questions essentielles: les conditions de constitution des partis, leur financement et leur suspension ou dissolution. A ce sujet, s’il y a une question qui fait l’unanimité de tous, c’est bien celle du rejet des articles 42 à 45, c’est-à-dire les dispositions relatives à la suspension et à la dissolution des partis politiques. Tous estiment qu’en démocratie, des décisions aussi graves ne peuvent pas être prises par l’administration ou le pouvoir exécutif, mais doivent être du ressort exclusif de la justice.
On ne peut tracer une rétrospective de l’année 2004 sans évoquer la tenue du Ve congrès national du PJD (10-11 avril), qui a triomphalement élu Saâddine Elotmani au poste de secrétaire général du parti, succédant ainsi à son aîné Abdelkrim Khatib.
En outre, deux traits saillants ont caractérisé ces assises. Le premier concerne la machinerie électorale interne, qui a fonctionné à plein régime et a permis au congrès de terminer ses travaux dans les délais. Le second concerne les débats, qui se sont focalisés sur deux thèmes. Il y a, d’abord, le positionnement du PJD sur l’échiquier politique national et donc la question des alliances du parti. Il y a, ensuite, la question de la réforme constitutionnelle, remise sur le tapis par la sortie médiatique de Mostafa Ramid, relative aux prérogatives du Roi et à Imarat al Mouminine (Commanderie des croyants), à la veille du congrès.
Il a été décidé, à cet effet, de consacrer une journée d’étude à cette question, mais la ligne politique adoptée donne la priorité à la réforme politique (transparence électorale, loi sur les partis, réhabilitation de l’action politique…).
Tous les ténors du PJD l’ont martelé, la réforme constitutionnelle n’est pas encore à l’agenda politique du parti. Mais le score réalisé par Mostafa Ramid lors de l’élection du secrétariat général (il s’est classé deuxième, avec 141 voix sur 150) en dit long sur la popularité de l’homme et de ses positions politiques parmi ses camarades !
Enfin, ce tour d’horizon de l’actualité politique de l’année écoulée ne saurait faire l’impasse sur le retour des socialistes espagnols au pouvoir. Leur victoire électorale, en mars dernier, a été une bonne nouvelle pour les relations entre les deux pays. La nomination récente d’Omar Azziman au poste de nouvel ambassadeur du Maroc en Espagne a été très chaleureusement accueillie à Madrid, étant donné la bonne réputation de l’homme. Toutes les décisions et les initiatives prises depuis mars 2004 ont démontré le réchauffement puis l’amélioration réelle des relations entre les deux Royaumes, qui avaient été au bord de la rupture des relations diplomatiques du temps de José Maria Aznar.
Code de la famille, restructuration du champ religieux, Sahara, libéralisation de l’audiovisuel, loi sur les partis, réchauffement des relations avec l’Espagne… Le Roi Mohammed VI a été sur tous les fronts de la réforme et de l’action en 2004.
