Au Royaume
Il abandonne son business de consultant au profit du commerce équitable
Il a travaillé dans les plus grands cabinets d’audit mais sa fibre sociale le mène vers le commerce équitable.
Karim El Abed met son expertise au service des petits paysans d’Afrique
et du Moyen-Orient.
Il exporte déjà en Europe de l’huile
d’olive et d’argan
marocaine et veut faire de même avec le couscous palestinien et le coton
sénégalais.

S’il n’y a pas de recette pour le succès, il est des valeurs qui en balisent le chemin : travail, persévérance, régularité, le tout assaisonné d’un zeste d’intelligence et de créativité. Le parcours de certains hommes donne la mesure de cette équation de la réussite. Karim El Abed en est un exemple. Non pas qu’il ait bâti un empire à la Onassis, mais parce qu’il a mis toute son énergie au service des petites gens, après l’avoir longtemps louée aux multinationales.
Et dire que cet enfant du peuple, né en 1973 à Ouezzane dans une famille très modeste, a failli aller grossir les rangs des laissés-pour-compte. Avant-dernier d’une fratrie de six frères et sœurs, il entre, dès l’âge de trois ans, au m’sid dont le fqih n’est autre que son oncle. Il y reçoit des coups, plus qu’il n’en faut : il faut bien que le maître montre son impartialité. Cette période ne durera pas. Par chance, il est inscrit à l’école à l’âge de six ans. Il se souvient de sa première année, à l’issue de laquelle, par on ne sait quel mystère, dit-il, il reçoit la distinction du meilleur élève de l’institution. Signe prémonitoire ? La suite montrera que c’est à sa ténacité qu’il doit tout. Notamment quand, plus tard, il fera un bout de chemin parmi la crème des consultants, attachés aux services des grands cabinets d’audit internationaux.
Karim El Abed se rappelle qu’enfant il adorait faire des dessins et s’amusait follement avec les allumettes qu’il utilisait en guise de buchettes pour apprendre le calcul. Au collège comme au lycée, le peu d’encadrement qu’il reçoit de ses frères et sœurs n’en fera pas un élève modèle. Et c’est à un parent enseignant qu’il devra d’obtenir de bonnes notes en physique et en maths. Il finira par passer un Bac économie. Faute de moyens et de bourse, il s’inscrit en 1992 à l’Université Mohammed V de Rabat, tout en restant convaincu que son destin ne se jouera pas au Maroc. Surtout que l’un de ses frères est en France pour préparer un doctorat. L’occasion se présentera en 1995, après sa licence. Il s’inscrit à Sciences Po Paris où il obtient un certificat d’études politiques.
Il vend des sandwiches au pied de la Tour Eiffel
En 1999, il revient au Maroc, juste pour passer sa maîtrise en économie du développement et, parallèlement, entame un master en gestion et finances publiques à Paris Dauphine, qu’il obtient en 2000. Entre-temps, raconte-t-il, il a fait tous les petits boulots pour vivre : il vendra des sandwiches au pied de la Tour Eiffel, fera la plonge dans les restaurants parisiens. «J’en ai bavé durant deux années de suite, et les meilleurs petits boulots que j’ai eus étaient les postes d’enquêteur pour des cabinets de marketing».
Son expérience chez Mazard & Guerard et Ernst & Young a ravivé sa fibre sociale
Une autre période s’ouvre devant lui quand il commence à travailler dans les grands cabinets de consultants. Il commence par Mazard & Guerard où il passera 6 mois, avant de rejoindre un autre mastodonte de la profession, Ernst & Young, pour trois ans. Durant cette période, il planche sur les problématiques de positionnement, de restructuration, de délocalisation des grandes multinationales qui s’appellent Danone, Alcatel, Thalès, Airbus… Karim El Abed se souvient de ces quatre années où, comme dans tous les cabinets du genre, il travaillait comme un forçat pour mettre au point des solutions aux problèmes des clients. Un job bien payé – un débutant peut gagner 40 000 euros par an -, mais sa fibre sociale en décidera autrement.
En effet, de cette expérience, il tire l’enseignement que les «opérations chirurgicales» de ces énormes structures avaient souvent des coûts sociaux exorbitants : les travailleurs étaient sacrifiés sans état d’âme pour garantir l’équilibre des grands. C’est alors qu’il envisage de mettre «toutes ces règles pragmatiques au service des artisans ou des paysans, dans le cadre de ce qu’on appelle aujourd’hui le commerce équitable». C’est ainsi qu’avant même de quitter Ernst & Young, il crée, en janvier 2004, une société dénommée Zaytoun International, qui a pour missions de réaliser le montage financier et stratégique des projets sous le label commerce équitable. Chemin faisant, il noue des relations avec Alter Eco, une société spécialisée dans l’importation et la distribution de produits du commerce équitable, active dans le domaine depuis 1999. Pour développer le concept en Afrique, au Maroc en particulier, et au Moyen-Orient, il fonde en juin 2006 Alter Eco Africa & Middle East, une société d’importation et de distribution de produits nationaux vers l’Europe, avec un capital de 30 000 euros, dont la moitié en apport personnel. La société travaille pour l’exportation et la distribution d’huile d’olive et d’argan, d’olives de table, de couscous artisanal…
Alter Eco Africa, qui a commencé avec 30 femmes dans le Rif, a conclu un accord avec 300 d’entre elles. Le contrat stipule que, sur trois ans, la société garantit un prix-plancher de 43 DH pour le litre d’huile d’olive.
Et ce n’est qu’un début car, une fois par mois, Karim El Abed vient au Maroc pour chercher de nouveaux petits exploitants désireux de rejoindre le réseau, bien sûr, après dégustation et audit pour s’assurer de la qualité et de la régularité des livraisons. Il projette déjà de vendre du coton sénégalais et du maftoul (couscous) palestinien en Europe. Le deal se fera toujours avec de petits exploitants. La société de Karim El Abed est rémunérée par une marge supportée par le consommateur final. Le démarrage est très satisfaisant : la première opération d’exportation a porté sur 100 litres d’huile d’olive. Aujourd’hui, Alter Eco Africa & Middle en est déjà à 30 000 litres et voit l’avenir avec optimisme
