Sahara : pourquoi le Maroc marque des points

Devant la poussée terroriste, aussi bien les Etats-Unis que l’Europe
ont ressenti l’urgence d’encourager la construction d’un Maghreb
pacifié.
L’issue la plus rapide réside dans l’amorce de négociations
directes entre le Maroc et l’Algérie, le plan Baker II étant
dans l’impasse.
«Les Etats-Unis encouragent le Maroc et l’Algérie à entreprendre des négociations directes pour parvenir à un règlement politique de la question du Sahara». C’est Colin Powell, secrétaire d’Etat américain, qui s’exprimait en ces termes à l’issue de sa visite au Maroc mercredi 3 décembre 2003. Cette déclaration résume à elle seule tout le chemin parcouru depuis juillet dernier, lorsque l’ambassadeur permanent des Etats-Unis à l’ONU, John Negroponte, soutenu par la présidence espagnole, avait soumis au Conseil de sécurité un texte cherchant à imposer le Plan Baker II comme solution définitive au conflit du Sahara.
C’est là une évolution indéniablement favorable au Maroc, mais dont les principaux jalons avaient déjà été posés par la visite (à la fin du mois d’octobre 2003) de William Burns, secrétaire d’Etat adjoint pour l’Afrique et le Moyen-Orient, dans les pays du Maghreb. M. Burns avait alors déclaré que «les Etats-Unis encouragent la poursuite du dialogue entre le Maroc et l’Algérie pour une solution dans un contexte bilatéral». Il avait également annoncé que l’aide économique américaine au Maroc serait quadruplée (40 millions de dollars) et l’aide militaire doublée (20 millions de dollars).
Le président George W. Bush a confirmé ce changement d’attitude dans son discours du 6 novembre sur la démocratie au Moyen-Orient, en saluant les progrès réalisés en matière de démocratisation et de respect des droits de l’Homme dans certains pays arabes, notamment au Maroc et au Bahreïn. Il a également rendu hommage au Roi Mohammed VI pour la réforme du Code du statut personnel.
Colin Powell a de son côté rappelé, lors de sa conférence de presse à l’aéroport de Marrakech Ménara, mercredi 3 décembre, que son pays a «fortement appuyé toutes les mesures prises par le Maroc» pour la consolidation de la construction démocratique. Il a ainsi qualifié les élections communales du 12 septembre de «réussies», avant de saluer l’élection de la première femme maire au Maroc (Asmae Chaâbi à Essaouira) et la réforme audacieuse de la Moudawana. Bref, le Maroc est cité en exemple par les responsables de l’administration Bush.
Reconnaissance du caractère bilatéral du conflit du Sahara
Enfin, sur la lutte contre le terrorisme, le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères n’a pas donné de blanc-seing aux gouvernements de la région. En ce qui concerne le Royaume, il a affirmé : «Notre soutien au Maroc a considérablement augmenté parce qu’il combat le terrorisme tout en entreprenant des réformes (…). Nous avons, bien sûr, souligné que lorsque l’on réprime le terrorisme, cela doit se faire dans le plein respect des droits fondamentaux.»
Comment s’explique le changement d’attitude américain vis-à-vis de l’affaire du Sahara ? En fait, il est plus approprié de parler d’un faisceau de facteurs. Interrogé par La Vie éco, Ismaïl Alaoui, secrétaire général du PPS, estime qu’il s’agit d’abord «de la prise en compte d’une réalité qui a été pendant longtemps occultée sur le plan diplomatique». Mais encore ? Un spécialiste du dossier du Sahara, donne la réponse : «Le conflit du Sahara est essentiellement géopolitique. Notre voisin de l’Est est partie prenante à ce conflit. Et pour cause : il abrite, finance, équipe et contrôle les forces du Polisario et il en fait la promotion dans toutes les instances internationales. C’est l’ambassadeur de l’Algérie auprès de l’ONU qui prend le contre-pied systématique du Maroc dans ce dossier».
Mais les Etats-Unis, tout comme l’Union européenne, n’étaient pas politiquement myopes au point de ne pas se rendre à l’évidence. Si, aujourd’hui, on admet publiquement que les deux principaux protagonistes au conflit du Sahara sont le Maroc et l’Algérie, c’est que tous les autres scénarios de solution ayant fait long feu, on en est venu à reconnaître que seules des négociations directes entre les deux pays sont à même de déboucher sur une solution politique définitive de ce conflit, vieux de 28 ans.
Avec le conflit du Sahara, le Maghreb reste illusoire
Plus que cela, d’autres considérations politiques, économiques, sécuritaires ou tout simplement de bon sens sont venus renforcer cette évidence.
Commençons par le bon sens. Depuis plusieurs années, l’Algérie et d’autres pays ont âprement défendu l’idée selon laquelle on pouvait avancer sur la voie de la construction du Maghreb, indépendamment de la question du Sahara, puisque l’ONU s’en occupait et que seuls le Maroc et le Polisario étaient concernés. «Raisonnement absurde, selon notre spécialiste, car, comment peut-on concevoir une construction du Maghreb fondée sur l’ouverture des frontières et la libre circulation des biens et des personnes, alors que l’Algérie abrite sur son territoire les unités armées du Polisario prêtes à attaquer le Maroc !». C’est comme si on avait demandé à l’Espagne d’adhérer à la CEE (ancêtre de l’Union européenne) dans les années soixante-dix, alors que des milliers de combattants séparatistes basques (ETA) étaient hébergés, équipés, financés et protégés par la France !
Ensuite viennent les considérations économiques. Aussi bien les Etats-Unis que l’Union européenne sont intéressés par un Maghreb uni pouvant constituer un marché de consommateurs de 80 millions de personnes. Pour créer un tel marché à l’échelle maghrébine, il faudrait, là aussi, que les frontières soient ouvertes. Or, si la paix et la sécurité ne sont pas garanties, tous ces projets s’effondreront comme des châteaux de cartes. Ne parlons pas de l’absence de tout conflit important opposant deux membres de ce regroupement, cela tombe sous le sens.
Mohamed Ali El Hassani, membre du bureau politique de l’UC, résume bien ce propos. Il nous déclare que «l’administration américaine est enfin parvenue à une meilleure compréhension des conséquences qu’auraient, sur la stabilité et la sécurité des Etats du flanc Sud de la Méditerranée, des frontières non garanties ni sécurisées».
Depuis les attentats du 11 Septembre, la lutte contre le terrorisme est devenue la priorité des priorités de la politique étrangère américaine. Tout ou presque passe désormais par ce prisme que d’aucuns jugent déformant. Aux Etats-Unis, comme en Europe, on a pris la mesure de la menace qui pèse sur la région maghrébine si l’affaire du Sahara ne trouvait pas une solution politique définitive et rapide.
Risque de transformation de la région en foyer d’instabilité
La concomitance ou la succession d’événements tragiques font craindre le pire. L’administration Bush et l’Union européenne ne peuvent rester insensibles à ces événements au nombre desquels on peut citer la persistance d’une guerre civile latente ou résiduelle en Algérie ; la perméabilité des frontières du grand Sud algérien aux frontières du Mali, aux prises avec la guérilla touareg ; les attentats terroristes au Maroc, en Tunisie… C’est une véritable épée de Damoclès sur la région : le risque de transformation du Maghreb en foyer de tension, d’instabilité, voire en base arrière mobile du terrorisme international. Et alors adieu tous les projets évoqués plus haut.
C’est ce qui expliquerait la multiplication des coopérations et des partenariats entre les deux rives de la Méditerranée occidentale, d’autant plus que les choses se compliquent dangereusement en Méditerranée orientale avec le conflit israélo-palestinien. L’éditorial de la dernière édition du Times intitulé «The Forgotten Front» (le front oublié) exprime peut-être cette prise de conscience aiguë de la nécessité d’un Maghreb pacifié .
Autre facteur explicatif du changement de position américain : la compétition acharnée que se livrent les Etats-Unis et la France dans la région du Maghreb. Même si cela est nié par les deux parties, le ballet diplomatique qui se déploie dans la région – il serait plus approprié de parler de chassé-croisé américano-européen – en constitue la meilleure illustration.
Ainsi, alors que M. Powell effectuait une visite-éclair dans les trois pays du Maghreb (du 2 au 3 décembre), Jacques Chirac entamait une visite d’Etat de trois jours en Tunisie (du 3 au 4 décembre). Vient ensuite le sommet des dix chefs d’Etat et de gouvernement euro-méditerranéens qui se déroule à Tunis (les 4 et 5 décembre). Enfin, le président du gouvernement espagnol, Jose Maria Aznar prend son bâton de pèlerin pour se rendre en visite officielle en Algérie, puis au Maroc (les 8 et 9 décembre).
Autre raison, tout le monde sait que l’Afrique subsaharienne souffre de foyers multiples de revendication séparatiste qui risquent de faire voler en éclats l’unité territoriale de certains pays comme le Sénégal (Casamance), le Soudan (le Sud chrétien et animiste), le Congo, le Libéria ou la Somalie… Laisser se développer un foyer similaire au Maghreb risque de provoquer une onde de choc déstabilisatrice dans toute l’Afrique du Nord, la Méditerranée, le Moyen-Orient et l’Europe.
Enfin, dernier facteur, qui a permis à l’administration Bush de mesurer l’attachement des Marocains à leur Sahara. Rappelons-nous en effet que la volonté américaine d’imposer une solution préjudiciable au Sahara marocain avait provoqué, en juillet dernier, une levée de boucliers de toutes les forces vives de la Nation, scandalisées par ce qui avait été considéré comme un coup de poignard dans le dos porté par l’allié de longue date du Maroc, les Etats-Unis. C’est pourquoi, dans le message adressé par M. Bush au Roi Mohammed VI, le 19 novembre dernier, le président américain affirme que son pays «comprend la sensibilité du peuple marocain sur la question du Sahara et ne cherche pas à imposer une solution à ce conflit».
«Les dirigeants américains se sont rendu compte que l’unanimité autour de la question du Sahara était totale et réelle», nous dira en guise de conclusion Ahmed Harezeni, membre du bureau politique de la GSU.
Voilà le Maroc soutenu, dans son approche, par ses principaux alliés internationaux. Cèdera-t-il pour autant à la facilité ? Selon des sources bien informées «la diplomatie marocaine travaillait avec les pays alliés du Maroc et l’ONU pour élaborer une vision d’une solution politique négociée, fondée sur l’intégrité territoriale du Maroc et le principe “ni vaincu, ni vainqueur”».
Mais il va de soi que, pour avancer rapidement et efficacement sur cette voie et pour entamer des négociations sérieuses avec l’Algérie, il faudrait attendre que les élections présidentielles d’avril 2004 soient menées à leur terme dans ce pays.