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Sahara : ballet diplomatique sur fond d’impasse

Le nouvel envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU au Sahara, Alvaro de Soto, a entamé au Maroc une tournée diplomatique dans la région qui le mènera ensuite à Tindouf, Alger et Nouakchott.
Confortée par une conjoncture économique favorable et une situation politique intérieure apaisée, l’Algérie ne semble pas disposée à faire des concessions.

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«Une prise de contact». C’est en ces termes que le nouvel envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU au Sahara, Alvaro de Soto, a qualifié sa visite au Maroc, lundi 6 septembre. C’était en effet, la première fois qu’il rencontrait, depuis sa nomination à ce poste en juin dernier, les responsables marocains. Le 12 septembre,
M. de Soto se rendra à Tindouf pour s’entretenir avec les dirigeants du Polisario. Puis, dans les jours qui suivront, il se rendra à Alger et à Nouakchott.
C’est sur la base des conclusions de cette tournée diplomatique de son envoyé spécial dans la région que
Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, élaborera le rapport qu’il présentera sur la question du Sahara au Conseil de sécurité, avant la fin d’octobre. Date à laquelle arrivera à échéance le mandat de six mois de la Minurso.
Quel est le mandat dont M. de Soto a été chargé ? Le texte de la résolution votée en avril dernier par le Conseil de sécurité est clair. Il s’agit de «poursuivre avec les parties et les Etats voisins la recherche d’une solution politique définitive et acceptable par tous». La mention d’«Etats voisins» est une nouveauté. Elle est destinée à contourner le refus officiel de l’Algérie d’être considérée comme une partie au conflit. Par ailleurs, rien ne sera imposé. La solution devra être négociée et acceptée par toutes les parties. Cela ne signifie qu’une chose : le Plan Baker II est mort et enterré. On passe à autre chose.
Lors de l’audience accordée à Alvaro de Soto, le Souverain l’a rappelé. Il a ainsi insisté sur «l’engagement du Maroc à œuvrer de bonne foi avec les Nations Unies et les différentes parties concernées pour parvenir, au plus tôt, à une solution politique négociée dans le cadre de la souveraineté du Royaume, du respect de son intégrité territoriale et de ses principes fondamentaux».
Mais il semble qu’Alger persiste dans son obstination à vouloir regarder dans le rétroviseur. Alors que, geste de bonne volonté, le Maroc pratique la politique de la main tendue en décidant d’annuler (le 30 juillet 2004) la décision – prise au lendemain de l’attentat de l’Atlas Asni, à Marrakech, en 1994 – d’instaurer un visa pour les ressortissants algériens, l’Algérie réagit quelques jours plus tard en considérant que cette décision a été «une action unilatérale du Maroc».

En un mois, Alger signe
le retour à la case départ
Pire, le 3 août 2004, dans une lettre adressée à Kofi Annan, le président algérien Abdelaziz Bouteflika revisite la position d’antan en déclarant que «l’Algérie continue de considérer la question du Sahara occidental comme un problème de décolonisation, déjà pris en charge en tant que tel par les Nations-Unies, et devant trouver son dénouement à travers l’exercice de son droit à l’autodétermination par le peuple sahraoui».
M. Bouteflika rejette ensuite toute idée de négociation entre les deux pays : «Ce conflit mettant en cause le peuple sahraoui et la puissance occupante, c’est-à-dire le Maroc, tout règlement doit nécessairement intervenir par accord entre ces deux parties. Nous considérons donc comme un procédé purement dilatoire toute tentative d’inscrire le problème du Sahara occidental dans un contexte algéro-marocain». Il puise sans modération dans le jargon diplomatique algérien des années soixante-dix : «décolonisation», «puissance occupante», «droit à l’autodétermination du peuple sahraoui»… Tout y est. Et ce n’est pas fini.
Le 10 août, en recevant le chef du Polisario avec les honneurs réservés aux chefs d’Etat, Alger réaffirme son hostilité à l’égard du Maroc. Et puis, cerise sur le gâteau, le ministre des Affaires étrangères algérien, invité au Festival d’Asilah, où se trouvaient ses homologues marocain et espagnol, fait faux bond à la dernière minute. Bref, en une phrase, c’est le retour au statu quo ante dans toute sa splendeur. Et pourtant, les deux grands pays du Maghreb avaient pris des initiatives qui pouvaient être considérées comme un début de solution de ce conflit.

Les pressions «amicales» de Washington restent sans effet
Mais au moment où les Etats-Unis, la France, l’Espagne (depuis le retour des socialistes au pouvoir) et l’ONU sont unanimes à reconnaître le caractère bilatéral de ce conflit vieux de trente ans et encouragent l’ouverture de négociations directes entre le Maroc et l’Algérie, cette dernière se rebiffe et rejette toutes les médiations visant à la pousser à se mettre à la table des négociations.
Ceux qui avaient espéré que la situation s’éclaircirait au lendemain des élections présidentielles en Algérie (avril 2004) ont rapidement déchanté. Avec un triomphe électoral (réélu à 85% des voix), une marge de manœuvre accrue (après la démission du chef d’état-major Mohamed Lamari) et une situation économique favorable due à la flambée des cours du pétrole, Abdelaziz Bouteflika, plus que jamais rassuré sur le plan intérieur, abonde en déclarations belliqueuses. La résolution du conflit du Sahara est donc passée au second plan, malgré les pressions de Washington. L’establishment algérien n’est de toute évidence pas prêt, pour le moment, à faire des concessions et à ouvrir des négociations avec le Maroc.
En clair, l’Algérie se sent en position de force et le fait savoir de manière ostentatoire. La course à l’armement menée est probablement un élément de cette stratégie. Notre voisin de l’Est détiendrait le troisième parc mondial d’avions de chasse russes Sukhoï ! De plus, la presse française avait récemment fait état de l’acceptation par la France – avant de démentir cette information – de vendre à l’Algérie des avions Rafale, fleuron de la technologie aéronautique militaire française. Une vraie fausse information révélatrice de l’état d’esprit au sommet de l’Etat algérien. Et puis, il y a la menace nucléaire algérienne ! Ainsi, selon un rapport de l’Institut portugais des études stratégiques et internationales (IESI), dont la presse nationale s’était fait l’écho, l’Algérie dispose de deux réacteurs nucléaires. Le plus important est celui de la centrale «Essalam», fourni par la Chine et construit dans la région de Aïn Oussara, à quelque 150 kilomètres au sud d’Alger. La capacité de cette centrale (15 mégawatts), peut être portée à 60 mégawatts, ce qui permet de produire annuellement jusqu’à cinq kilogrammes de plutonium susceptibles d’être utilisés à des fins militaires.
Cela signifie que l’Algérie pourrait acquérir la capacité de fabriquer une bombe nucléaire par an. Enfin, la centrale «Assalam» est protégée par des batteries de lancement de missiles Sam de grande capacité. Le pouvoir algérien la considère donc comme un site militairement stratégique et la défend ainsi de toute tentative de destruction aérienne. Si cela prouvait quelque chose, ce serait que les velléités d’hégémonie régionale sont encore vivaces au sommet de l’Etat algérien.

Une vision du XXe siècle avec des moyens du XXIe siècle
De toute évidence, il s’agit d’une vision géopolitique et géostratégique d’une autre ère. En fait, on peut parler d’une vision du XXe siècle, avec des moyens du XXIe siècle. Elle serait alors encore plus dangereuse et destructrice. Le surarmement conjugué au sous-développement peut mener aux pires folies. Aujourd’hui, le secret de la puissance réside plutôt dans l’intégration dans de grands ensembles régionaux et non dans l’enfermement nationaliste.
On connaît désormais les relations étroites – économiques, commerciales, militaires, sécuritaires – liant chacun des deux grands pays du Maghreb aux Etats-Unis. Pourquoi alors l’administration Bush s’abstient-elle de faire pression sur les deux parties pour les amener à une solution politique négociée ? D’abord parce qu’elle considère que le conflit du Sahara est un conflit de basse intensité qui ne menace pas ses intérêts dans la région.
Ensuite, comme le reconnaît l’ex-envoyé spécial de Kofi Annan au Sahara, James Baker, lors d’une interview accordée à la chaîne américaine PBS, le 19 août dernier, «la vérité est que le Maroc et l’Algérie, les deux principaux protagonistes, collaborent étroitement avec les Etats-Unis dans sa guerre contre le terrorisme. Il est donc particulièrement difficile pour Washington de favoriser l’un ou l’autre parce qu’elle veut rester proche des deux».
Alors, quelle solution pour le conflit du Sahara ? De toute manière, comme le reconnaît M. Baker, dans la même interview, «le Maroc a remporté la guerre et contrôle le territoire». Il reste la question de la légitimité internationale. Le Maroc est prêt à négocier une large autonomie de ce territoire, mais dans le cadre de la souveraineté marocaine. Il est bon de le redire.
Toutefois, d’autres observateurs voient dans le blocage actuel une responsabilité commune du Maroc et de l’Algérie. Khadija Mohsen-Finan, responsable d’études à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et auteur d’une thèse sur les relations maroco-algériennes, estime que, fondamentalement, chaque partie au conflit campe sur ses positions.
«Engagés dans un conflit majeur en Irak, les Etats-Unis souhaitent se débarrasser des conflits mineurs qui constituent des poches de résistance à la pacification des régions. À la recherche d’alliés sûrs dans le monde arabe, Washington a signé un accord de libre-échange le 2 mars 2004 avec le Maroc tout en essayant, de concert avec Paris, d’infléchir les positions des acteurs au conflit saharien en vue de clore ce conflit vieux de trente ans.
Inversement, Alger et Rabat souhaitent bénéficier d’un partenariat plus appuyé avec les Etats-Unis. Dans leur course à la séduction vis-à-vis de Washington, les deux grandes capitales du Maghreb ont donné des signes de bonne volonté qui pouvaient être interprétés comme un début de règlement du dossier saharien. Mais en réalité, fondamentalement, chacun campe sur ses positions.
Le Maroc se dit disposé à négocier un statut d’autonomie “large, viable, crédible et définitif dont bénéficierait tous les habitants de la région du Sahara”. Mais Rabat précise bien que cette disposition s’accompagne de “lignes rouges à ne pas dépasser et relatives au respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale du Maroc”. En écartant définitivement l’autodétermination, le Maroc rompt avec la politique saharienne définie par Hassan II et énoncée à Nairobi en 1981.
Devant l’échec de la politique de séduction, les deux capitales pourraient être tentées de substituer la peur à la séduction en liant, par exemple, la lutte internationale contre le terrorisme à la “zone grise” qui existe dans le Sahel.
En effet, selon certains observateurs, cette région serait devenue une “zone grise” où évoluent, en toute liberté, terroristes et bandits. Alger met en avant l’implication du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) dans ces opérations de banditisme et de terrorisme, le Maroc, lui, semble associer des éléments du Front Polisario, basés à Tindouf, à ces groupes incontrôlés.
Les Etats-Unis ne sont pas insensibles à ce genre de menace même si, pour l’heure, ils disposent de peu d’éléments crédibles faisant le lien entre l’existence de ces groupes et Al Qaïda. Dans le cadre d’un programme baptisé “Initiative pour le Sahel”, ils ont accru leur coopération militaire et policière dans les pays de la région.
Sous cet angle, Washington pourrait vouloir clore à tout prix ce conflit de basse intensité et se débarrasser de toutes les poches d’insécurité dans la région. La stratégie de la menace pourrait alors s’avérer plus productive que la politique de la séduction pour mettre un terme à ce conflit».
Et pourtant, ces liens et cette menace ne sont pas une simple vue de l’esprit. Des chercheurs en géopolitique comme Aymeric Chauprade (voir interview accordée à La Vie éco et publiée le 16 avril 2004) l’ont démontré. Il estime en effet qu’une complémentarité s’instaure de plus en plus entre des franges du Polisario, le GSPC algérien et des éléments islamistes radicaux, essentiellement des vétérans d’Afghanistan installés dans le grand sud saharien. Il n’est donc pas exclu que le Polisario puisse s’autonomiser de l’emprise algérienne pour tomber sous celle d’un islamisme radical transnational. Al Qaïda n’est pas loin

En l’absence d’élément nouveau, le statu quo risque de durer longtemps encore.

Comme le reconnaît James Baker, «le Maroc a remporté la guerre et contrôle le territoire et il est particulièrement difficile pour Washington de favoriser l’un ou l’autre parce qu’elle veut rester proche des deux».

Le 6 septembre, Alvaro de Soto rencontrait officiellement S.M. Mohammed VI, à Meknès, avant de se rendre en Algérie et Mauritanie. C’est sur la base de ses conclusions que Kofi Annan élaborera le rapport qu’il présentera au Conseil de sécurité en octobre.