Protestations «sociales» : Pourquoi toutes ces manifestations aujourd’hui ?

• L’investissement, l’école, l’emploi, la protection sociale…, des dossiers sur lesquels planche le gouvernement.

Le gouvernement vient à peine de boucler les quarante premiers jours de son mandat et plusieurs manifestations ont déjà éclaté dans la rue. Deux décisions qu’il a prises semblent avoir suscité la contestation. Celle d’imposer le pass sanitaire et celle toute récente du ministère de l’éducation nationale de revoir les critères d’admission au concours des enseignants-cadres des AREF. Une lecture superficielle des événements pointait sans doute le gouvernement qui aurait pris, à peine son mandat entamé, des décisions jugées impopulaires.

C’est une analyse simpliste. La réalité est autre. On pourrait reprocher à l’Exécutif de ne pas communiquer assez sur ses actions, mais cela ne veut pas dire qu’il aurait agi  contre l’intérêt des citoyens. Ce qui se passe actuellement en Europe, frappée de plein fouet par une cinquième vague, encore plus virulente, du Coronavirus donne raison aux autorités qui cherchent par tous les moyens à atteindre sans grand risque l’immunité collective par le seul moyen aujourd’hui possible, soit la vaccination. Quant à la décision du ministre de l’éducation nationale, elle n’a pas besoin d’être défendue, puisqu’elle découle de source. N’oublions pas, en parlant du seul aspect contesté, la limitation d’âge à 30 ans que c’est l’ancien gouvernement qui avait, le premier, limité l’âge d’accès aux filières de formations des enseignants dans les universités à 22 ans.

Une circulaire qu’il a adressée aux présidents des universités sous le numéro 02/451, le 22 septembre 2020, en atteste. Et personne ne l’a contestée. Pour prendre la mesure des choses, au moment où les anti-vaccin protestaient dans la rue, plus de 24 millions de Marocains s’étaient déjà vaccinés. De même, quatre jours à peine après le lancement de l’avis du concours du ministère de l’éducation nationale, plus de 47 000 candidats avaient déjà présenté leur candidature, soit une moyenne de 3 candidats pour un poste à pourvoir. Le fait est que sur les réseaux sociaux, les membres de l’alliance «islamo-extrême-gauchiste», qui date déjà de quelque temps, s’enthousiasment à l’idée de voir ces manifestations auxquelles cette entente objective ne serait pas étrangère, déboucher sur autre chose.

Pour elle, la sortie dans la rue d’abord des enseignants-cadres des AREF, puis de groupes dénonçant l’obligation du pass sanitaire et plus tard des étudiants universitaires pour contester la dernière mesure du ministère de l’éducation nationale augure d’une recrudescence, dans les semaines à venir, du mouvement protestataire qui pourrait se développer et passer d’un cadre sectoriel et corporatif à un cadre local et régional, à l’image des manifestations d’Ifni en 2009 ou Jerada plus tard. Ensuite, dans un an ou deux, ces manifestations devraient prendre une dimension nationale avec comme épicentre Rabat et Casablanca et puis, dans quatre ans ce serait un nouveau «20 février»! Voilà en gros ce qui se projette à travers les récentes sorties dans la rue dont l’identité idéologique des instigateurs n’échappe à personne. Bien sûr, ce ne sont que des spéculations. On ne peut pas fabriquer un nouveau «20 février».

C’est un contexte révolu et ne se reproduira plus jamais. Toujours est-il que, dans le contexte actuel, le pass sanitaire et les conditions exigées pour passer le concours des AREF, ou d’une manière générale les décisions du gouvernement, ne sont finalement qu’un prétexte. Même un accident de circulation dont les causes et les circonstances n’ont pas encore été élucidées par la justice, pourrait aussi faire l’affaire. C’est pour dire que ce qui est visé en fait n’est pas le gouvernement, mais, semble-t-il, l’Etat et donc d’autres institutions. Tout le monde a vu comment lors des protestations contre l’obligation du pass sanitaire un courant idéologique a été particulièrement présent, et l’on remarque dans certains cas qu’il a même tenté de mettre en avant, comme boucliers, des enfants en perspective d’un éventuel accrochage avec les forces de l’ordre. Seulement ces dernières ont vite lu dans cette stratégie et ont réagi en conséquence.

Plus récemment, lors des manifestations contre la décision du ministère de l’éducation nationale, ce sont les étudiants qui se sont démarqués et plus particulièrement dans le campus de Fès où, tout le monde le sait, les islamistes et les courants d’extrême gauche dominent la scène. Également très impliqué, le mouvement estudiantin qui relève du PJD se targue même d’avoir énergiquement participé, et même encadré, les contestations au niveau des établissements universitaires. Même après avoir adopté officiellement une position plutôt raisonnable, le PJD qui n’a, semble-t-il, pas encore digéré sa débâcle électorale du 8 septembre s’active au niveau de ses organes parallèles, la jeunesse estudiantine dans ce cas, mais aussi le syndicat, pour saper l’action du gouvernement.

On notera que les partenaires du RNI au gouvernement ont gardé, pendant ce temps, une neutralité douteuse pour ne pas dire une attitude négative. Ce qui filtre de l’Istiqlal par exemple indique que certains dirigeants ont même profité de l’occasion pour régler des comptes. Certaines personnalités, déçues de l’issue des négociations de formations du gouvernement, se sont même exprimées, notamment au Parlement, contre les décisions du gouvernement. Dans le cas des concours des AREF, les syndicats, pourtant en pourparlers avec le ministre depuis sa nomination, ont également choisi le silence. Pendant ce temps, le gouvernement est déjà à l’œuvre. Aziz Akhannouch a tenu deux réunions de suite en moins de deux semaines sur l’investissement, la première, fin octobre, avec une commission ministérielle réduite et la deuxième , le 10 novembre, avec les directeurs des CRI.

Cette semaine, il a présidé sa première réunion de la commission nationale de l’investissement. Entre-temps, il a présidé un conseil de gouvernement consacré presqu’exclusivement à la mise en œuvre de la protection sociale. Les premiers effets sont attendus à partir de janvier. Le ministre chargé de l’inclusion sociale apporte, lui, les dernières retouches au programme de chantiers qui seront lancés dans pas moins de 30 provinces et qui permettront d’embaucher quelque 125 000 personnes. De son côté, Chakib Benmoussa est sans doute le seul ministre de l’éducation nationale à avoir entamé son mandat avec des rencontres avec les syndicats les plus représentatifs dans le secteur de l’enseignement.

Plusieurs dossiers ont été ouverts, et les deux parties, syndicats et ministère, sont sur le point d’en clore définitivement une grande part. Le nouveau ministre a sans doute compris qu’il fallait d’abord assainir la situation et régler le passif social des deux précédents gouvernements pour pouvoir partir sur de bonnes bases. Le cap étant évidemment de relever le niveau de l’école publique. Et pour ce faire, il fallait commencer par l’élément clé, à savoir les ressources humaines et donc l’enseignant. D’où cet impératif de rendre le métier de l’enseignement plus attractif pour les profils de qualité en jouant, entre autres, sur les conditions d’accès à la profession.