Pouvoirs
Premier ministre : lui ?… ou lui ?
Ce n’est pas forcément le chef du parti qui sera chef du gouvernement. Le Roi peut nommer l’un de ses dirigeants. Politiquement, c’est Abdelilah Benkirane qui devrait être désigné, mais des considérations liées à son caractère pourraient favoriser Saà¢deddine El Othmani.
Q ui sera le futur chef du gouvernement ? La question interpelle fortement. Au PJD, premier concerné, on préfère rester prudent. Le secrétaire général Abdelilah Benkirane n’a jamais caché son ambition de devenir chef de l’Exécutif. Mais la réponse n’est pas simple. L’article 47 de la nouvelle Constitution stipule que «le Roi nomme le chef du gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants, et au vu de leurs résultats». Il n’est pas spécifié que le futur chef du gouvernement soit forcément le secrétaire général, il peut être l’un des dirigeants du parti arrivé en tête, ou même un simple militant de base.
Un responsable du parti islamiste a spécifié, néanmoins, sous couvert d’anonymat, que «d’un point de vue logique et politique, ce serait le secrétaire général. Ce fut le cas avec la nomination d’Abderrahmane Youssoufi et d’Abbas El Fassi. Pourquoi ce ne serait pas le cas aujourd’hui ?». Le parti est-il tenu de présenter une liste de candidats ? «Il n’existe aucune procédure en ce sens», précise ce responsable du parti islamiste. Une réunion du secrétariat national du PJD s’est tenue samedi 26 novembre et il est même probable qu’il soit nécessaire de tenir une session extraordinaire du conseil national pour débattre de cette question, entre autres. Au sein du PJD, c’est cette instance qui nomme aux postes de responsabilité.
Un parcours commun, des personnalités différentes
Dans les faits, le choix se limite à deux noms : Abdelilah Benkirane, le secrétaire général et Saâdeddine El Othmani, le président du conseil national. Deux personnalités au parcours diamétralement opposés qui se sont rencontrées aux début des années 80 autour d’un même projet : la Jamaâ Islmiya. Mais rien ne les prédisposait à mener un bout de chemin, de plus de 30 ans, ensemble. Abdelilah Benkirane (57 ans), natif du quartier populaire Akkari à Rabat, d’une famille istiqlalienne, est issu d’un des mouvements les plus radicaux et les plus violents de l’islam politique, la Chabiba Islamiya d’Abdelkarim Moutiî. Saâdeddine El Othmani (55 ans), né à Inezgane, près d’Agadir, est, lui, issu d’une famille de oulémas dont la notoriété dépasse sa petite localité natale. Son père et son oncle paternel étaient connus dans le Souss notamment en raison d’une émission de prédication qu’ils animaient sur les antennes de la radio. Le jeune El Othmani a flirté, lui aussi, avec la Chabiba Islamiya, durant ses premières années à la faculté, à Casablanca, mais il a fait vite de s’en éloigner pour intégrer un nouveau groupe mené par Abdelilah Benkirane : la Jamaâ Islamiya, devenue entre-temps Mouvement pour la réforme et le renouveau (1992), puis, en 1996, Mouvement unicité et réforme (MUR), matrice du PJD.
En 1992, deux dirigeants ainsi que d’autres compagnons de route avaient déjà essayé de créer un parti politique, le Parti du renouveau national, mais le ministère de l’intérieur avait fait avorter cette tentative. Quatre ans plus tard, en 1996, le MUR intègre le MPDC de feu Abdelkrim Et Khatib pour donner naissance au PJD. Depuis, les deux hommes se sont relayés à la direction de la nouvelle formation politique. Abdelilah Benkirane en a été président du conseil national de 2004 à 2008, alors que Saâdeddine El Othmani était au poste de secrétaire général. Depuis 2008, c’est l’inverse. Mais contrairement à l’affable et diplomate S. El Othmani, A. Benkirane est plutôt connu par son franc-parler et son penchant pour la confrontation. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que M. El Othmani occupe, en plus de ses charges de président du conseil national, le poste de président de la commission des relations extérieures. Un poste qui lui a permis de nouer de nombreuses et solides relations à l’étranger et vendre l’image du parti islamiste modéré que son partenaire ne cesse d’écorcher par ses sorties médiatiques virulentes, rétrogrades et souvent impromptues.
Il faut dire que M. El Othmani est considéré comme le symbole même de la tolérance et du dialogue prônés par l’islam modéré. Contrairement à M. Benkirane, il est connu par un discours cohérent et une bonne capacité d’écoute. Il lui arrive même d’exprimer des idées très progressistes. On n’attend, d’ailleurs, pas moins de ce médecin psychiatre doublé d’un véritable alem. Il est notamment lauréat de Dar Al hadith Al Hassania et auteur de plusieurs ouvrages dans le domaine du fiqh (la jurisprudence islamique), de l’islam politique et de la médecine. Ce côté studieux fait défaut à M. Benkirane, qui s’est contenté d’un passage à l’Ecole normale supérieure, après une licence en sciences physiques, pour lancer après son propre projet d’école privée. Quand M. El Othmani était directeur du parti, de 1998 à 2004, ou même quand il était secrétaire général, il a toujours été considéré par ses pairs comme «l’homme des équilibres entre toutes les composantes du parti».
M. Benkirane renvoie l’image d’un leader alors que M. El Othmani donne celle d’un homme de consensus et de conciliation. C’est sans doute pour cela que son passage à la tête du parti a été unanimement salué contrairement à celui d’Abdelilah Benkirane qui a, lui, fait l’objet il y a quelques mois d’une tentative de destitution qui n’a toutefois pas abouti.
Pour le reste, M. Benkirane ne manque pas, lui non plus, d’atouts. Ses traits d’humour et son sens de la répartie ont fait sa popularité. Mais on lui reproche souvent d’adopter un double discours. Il a toujours été pour une participation au gouvernement. Son éventuelle nomination à la tête du gouvernement serait considérée comme le couronnement de cette quête.
