Pouvoirs
Politique et religion, séparer ou distinguer ?
Le débat sur la relation entre le religieux et le politique qui s’est développé depuis les attentats du 16 mai reprend de plus belle.
La clarification apportée par le discours du Trône a mis le PJD mal à l’aise.
Une première : la leçon inaugurale des «Causeries hassaniennes du Ramadan» a été consacrée cette année au sujet éminemment politique et encore tabou, il y a seulement quelques années, des rapports entre politique et religieux. Lundi 18 octobre, Ahmed Taoufiq, ministre des Habous et des Affaires islamiques, a donc choisi «la gestion de la relation entre la politique et la religion» comme thème et a prôné un «modèle intégré du politique et du religieux».
Politique et religion ? Un sujet récurrent qui a investi le débat public au lendemain des attentats du 16 mai 2003, autour d’une question centrale : quelle est la place de la religion dans la vie publique ?
Il faut dire que les islamistes du PJD ont tenté, depuis le début, de priver le débat d’objet en affirmant que cette question est déjà tranchée par la consécration constitutionnelle de l’islam comme religion d’Etat, et du Roi comme Amir al Mouminine (Commandeur des croyants). Peine perdue. Les modernistes ont répliqué que l’irruption du terrorisme religieux impose l’ouverture du débat sur le statut de la religion dans la société, la politique et l’Etat au Maroc.
Deux récents discours royaux ont clarifié la position étatique dans ce domaine. Le premier portait sur la restructuration du champ religieux (30 avril 2004) et le second sur la relation entre la politique et la religion (discours du Trône du 30 juillet 2004), sans oublier le projet de loi sur les partis politiques, interdisant la constitution de partis sur une base religieuse.
La trêve estivale n’a fait que reporter le débat sur une prise de position marquée, contenue dans un bref passage du dernier discours du Trône, qui est passé presque inaperçu. Évoquant le chantier de la restructuration du champ religieux, le Souverain affirmait en effet qu’une «nette séparation doit être faite entre le religieux et le politique, eu égard à la sacralité des dogmes véhiculés par la religion, et qui doivent, de ce fait, être à l’abri de toute discorde ou dissension, d’où la nécessité de parer à toute instrumentalisation de la religion à des fins politiques. En effet, sous la monarchie constitutionnelle marocaine, religion et politique ne sont réunies qu’au niveau de la personne du Roi, Commandeur des croyants».
Religion et politique ne peuvent être réunies qu’au niveau du Commandeur des croyants
Il y a deux assertions clés et lourdes de conséquences dans cet extrait du discours royal : la volonté d’une «nette séparation» entre le religieux et le politique, et l’affirmation selon laquelle la seule institution où les deux sphères peuvent être réunies n’est autre que le Roi en tant qu’Amir al Mouminine.
Le débat qui, en fait, a toujours porté sur ces deux assertions, a repris de plus belle dès la fin du mois de septembre, porté par le quotidien islamiste Attajdid et par le Collectif Démocratie et modernité. La clarification apportée par le Souverain gêne de toute évidence le PJD. Une gêne perceptible dans les écrits, les déclarations et les réactions des dirigeants du PJD et d’Attawhid wal Islah (Mohamed Yatim, Saâd Dine El Othmani et Ahmed Raissouni) sur ce sujet.
Mohamed Yatim, dirigeant du PJD et d’Attawhid wal Islah, loue l’exception marocaine en matière de gestion des affaires religieuses et des relations entre les champs politique et religieux, dans un long article publié par Attajdid, le 24 septembre 2004. Mais, pour M. Yatim, «il serait inconcevable de séparer l’Etat et la religion dans un Etat dont la Constitution proclame que l’islam est religion d’Etat, que le Roi est Amir al Mouminine et que les articles relatifs à l’islam ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle».
Saâd Dine El Othmani, secrétaire général du PJD, campant le rôle de l’homme politique responsable et modéré, fait dans la nuance. Ainsi, lors du colloque organisé par le Collectif Démocratie et modernité à Casablanca, jeudi 30 septembre 2004, sur le thème «Politique et Islam», il a déclaré : «Nous sommes d’accord sur le principe de la distinction entre la religion et la politique (…). Le discours du Trône de 2003 parlait d’ailleurs des fonctions religieuses (prédication, mosquées, conseils des oulémas et fatwas officielles), qui doivent rester à l’écart de la politique, au sens institutionnel du terme, c’est-à-dire des partis politiques, et ne pas faire l’objet de la compétition politique».
M. El Othmani présente l’acceptation du «principe de la distinction entre la religion et la politique» comme une concession de son parti, alors que la distinction fonctionnelle et organisationnelle entre les fonctions religieuses et politiques tombe sous le sens et qu’elle est déjà entrée dans les faits depuis longtemps.
Plutôt que de «séparation entre le politique et religieux», les islamistes du PJD préfèrent parler de «distinction». Ce qui revient à parler d’un processus inexorable, à l’œuvre dans toutes les sociétés musulmanes, à des degrés divers en fonction de leur développement, celui de la sécularisation et qui n’a rien à voir avec le débat en cours.
D’ailleurs, Ahmed Raissouni, figure emblématique d’Attawhid wal Islah, refuse de prendre pour acquise cette volonté de «nette séparation». Il estime qu’il faut la replacer dans son contexte, dans le cadre des précédents discours du Roi, et qu’il faut attendre sa mise en œuvre pour porter un jugement définitif sur cette affaire. Un débat qui ne fait que commencer.
