Pouvoirs
Nouveau patron du Parti de l’Istiqlal : Hamid Chabat ou Abdelouahed El Fassi ?
Pour la première fois depuis 1974, l’Istiqlal se retrouve avec plus d’un candidat au poste de secrétaire général. Lequel des deux est le meilleur choix pour le parti ? Forces et faiblesses de chacun.

Après 38 ans de consensus et de culture de compromis, l’Istiqlal succombera-t-il enfin aux charmes de la compétition ? Il y a encore quelques jours, la question ne se posait même pas. Il y a encore quelques jours, Abdelouahed El Fassi (63 ans), fils du fondateur et beau-frère du secrétaire général sortant, était donné, sans conteste, pour futur chef de file du parti. Les «jeunes» prétendants comme Adil Douiri, Toufiq Hejira, ou encore Abdelkebir Zahoud, s’étant abstenus, «par discipline partisane», de se mesurer au fils du fondateur, confie un haut cadre de la formation. El Fassi était donc resté seul candidat officiel. Jusque-là la question, que se sont d’ailleurs posée les militants dans une vingtaine de congrès régionaux, soutient un membre du comité exécutif, était : l’Istiqlal est-il à ce point incapable de produire un autre homme à même de prétendre à le diriger ?. Un autre «El Fassi» à la tête du parti risquerait, craint-on sinon de faire éclater le parti, du moins l’affaiblir politiquement et, par là, électoralement.
C’était sans compter avec le turbulent député, maire de Fès et secrétaire général du syndicat UGTM, Hamid Chabat (59 ans). Il ne pouvait espérer meilleur moment pour annoncer sa candidature, lui aussi, à la succession de Abbas El Fassi. L’annonce officielle a été faite lors d’une conférence de presse, tenue mercredi 27 juin, à Rabat. Et l’un des arguments avancé, étant justement, comme le confie l’un de ses proches, de donner l’occasion aux jeunes cadres du parti de se porter candidats en faisant lui-même le premier pas, en brisant la culture du consensus. Ce faisant, il prend le risque, par ce geste, d’ouvrir la voix à ceux parmi ces mêmes quadras qui souhaiteraient offrir une alternative aux Istiqlaliens outre que «la famille» et le populisme. Les procédures en vigueur au parti ne prévoient pas de date limite pour le dépôt des candidatures, explique un membre du comité exécutif, il est donc tout à fait possible que deux ou trois autres candidats se manifestent à la dernière minute. «Ils peuvent d’ailleurs le faire au moment même du vote», précise cette source.
D’ici là, le doyen des partis politiques s’apprête à vivre un exercice inédit de démocratie interne, une confrontation entre deux écoles : la première prône la légitimité historique et familiale, l’autre la légitimité populaire de la base. «Aucun des deux hommes ne veut se retirer au profit de l’autre. Nous sommes, pour la première fois dans l’histoire de ce parti vieux de 70 ans, en présence d’un exercice politique de très haute facture. Les deux hommes étant des politiques chevronnés», confie cette source de la plus haute instance exécutive.
Les forces et les faiblesses, le jeu des miroirs
Du coup, quelques jours à peine avant le congrès, qui se tient du 29 juin au 1er juillet, à Rabat, l’Istiqlal passe du calme plat à l’agitation qui pourrait déboucher sur des scénarios des plus improbables. Des deux hommes quel est celui qui a le plus de chance de l’emporter ? Quel est celui dont l’élection sera la plus profitable au parti ? Difficile de répondre à cette question, tellement les deux prétendants ont des points forts et des éléments de faiblesse qui s’annulent mutuellement. Une chose est sûre, aucun militant ne peut avancer avec certitude que l’un ou l’autre est le candidat idéal que cherche le parti dans la conjoncture actuelle. Objectivement, confie un responsable du parti, Abdelouahed El Fassi est un véritable «gentleman», un cardiologue respecté, ancien ministre de la santé qui jouit d’une grande estime au sein du parti. C’est un homme de valeurs, un homme de consensus, qui dégage un calme et une sérénité à forcer le respect. Seulement, et ce sont ses points faibles, c’est un «El Fassi, qui de surcroît, manque de punch et de présence». Et pour ne pas arranger les choses, il manque de charisme, ajoute-t-on. Bref, l’Istiqlal à un moment où il est appelé à s’affirmer pour maintenir son rang politique, pourrait pâtir de la situation en donnant l’image d’une formation, sclérosée, aux mains d’une famille, dont le dernier représentant, en la personne d’Abbas El Fassi, a été contesté par la rue.
De l’autre côté, Hamid Chabat est un homme de terrain au verbe facile, un tribun né aux penchants populistes. Il dispose d’appuis un peu partout. Il a des sympathisants dans les quatre coins du pays, mais également dans pratiquement toutes les instances et les organisations parallèles du parti. «Il dispose tellement d’appuis que l’on peut aujourd’hui parler, sans risque de tomber dans l’exagération, d’un courant Chabat à l’intérieur de l’Istiqlal», explique ce dirigeant du parti. De même qu’il est considéré par nombre de militants comme «l’homme de la situation», celui qui saurait donner de la voix. Enfin, son bilan à la tête de la mairie de Fès est plus que parlant. L’homme a transformé la ville.
Seulement, observe cette source du comité exécutif, Chabat a aussi son talon d’Achille. A commencer par son manque de formation académique. Mais, dans ce cas, il peut toujours évoquer pour exemple le cas des syndicalistes polonais Lech Walesa et brésilien Lula Da Silva : les deux ont laissé leur nom à la postérité pour avoir été de simples ouvriers et devenus présidents de leurs pays. Chabat est, de plus, enclin à s’enflammer un peu trop facilement, à avoir la gâchette facile, ce qui risque de créer trop d’inimitiés au parti. «Ce n’est pas un intellectuel», avoue gêné un membre du conseil national. Enfin, pour ne rien arranger, le maire de Fès part au charbon avec une épine dans le pied. Celles des frasques récentes de ses enfants. L’un de ses fils a, en effet, été condamné en première instance à trois ans de prison pour trafic de drogue et l’autre est sous le coup d’un procès judiciaire pour faux et usage de faux. La sympathie du parti n’a jamais été au delà d’une déclaration de soutien dans les colonnes de son organe de presse Al Alam.
Pour ne pas rester dans l’ombre du PJD
Cela étant, au parti, on se demande même si la direction d’un aussi vieux parti que l’Istiqlal n’est pas une affaire qui dépasse le maire de Fès, aussi populaire soit-il. Cela d’autant que, depuis la promulgation de la Constitution de 2011, le poste de secrétaire général d’un parti politique peut déboucher directement sur celui de chef du gouvernement.
Maintenant, lequel des deux candidats a le plus de chances d’être élu ? Abdelouahed El Fassi a, rappelons-le, toujours été élu à l’unanimité à chaque fois qu’il s’est présenté à un poste de responsabilité. Il recueille systématiquement le plus grand nombre de voix lors de l’élection des membres du comité exécutif à l’issue de chaque congrès. A Casablanca, son fief, il jouit d’une popularité sans mesure. Lors du dernier congrès, janvier 2009, il a été élu à l’unanimité président du congrès. «C’est vrai que, quand il se présente à un poste, il a toujours été élu à l’unanimité. Mais, il faut dire aussi qu’il s’est toujours présenté seul, sans adversaires», observe-t-on non sans sarcasme. Quant à Hamid Chabat, bien qu’il soit soutenu par presque tout le monde, rien ne garantit qu’il sera porté au poste.
La problématique étant ainsi posée, que gagne le parti dans l’un et l’autre cas ? Pour l’Istiqlal, «ce XVIe congrès est le moment ou jamais de changer complètement de peau. Nous voulons passer à un Istiqlal 2.0, pour parler le langage du temps», affirme ce dirigeant du doyen des partis politiques au Maroc. Cela veut dire : un nouveau secrétaire général, un comité exécutif entièrement renouvelé, un nouveau conseil national, un nouveau comité central et de nouvelles instances régionales et locales. C’est du moins l’objectif que se fixent les Istiqlaliens pour ce congrès. En conséquence, «celui qui sera élu aura la mission de redorer l’image du parti et lui insuffler une nouvelle dynamique», affirme cette source. Or, poursuit-elle, «aussi paradoxal que cela puisse paraître, les deux hommes sont foncièrement bons, mais peuvent représenter une catastrophe pour le parti». Un syndicaliste fonceur et «tête brûlée», est tout à fait capable de sortir le parti de l’ombre du PJD. «Nous avons besoin d’un secrétaire général qui fasse le poids devant Abdelilah Benkirane», affirme ce membre du comité exécutif, réputé proche de Chabat. Sauf que l’Istiqlal n’a pas du tout besoin de batailler sur tous les fronts, Chabat ayant eu, par le passé, maille à partir avec le PJD, puis avec l’USFP et plus récemment avec le PAM. Ce qui fait beaucoup d’ennemis à la fois.
Et si l’on créait des postes sur mesure ?
Un dilemme donc. Comment l’Istiqlal, qui, comme dans une famille, finit toujours par résoudre ce genre de problématiques par consensus pourra-t-il, cette fois, départager les deux prétendants à la plus haute fonction du parti ? Nous ne somme plus en 1998, où même si Abbas El Fassi faisait face à deux rivaux de taille, Abdelhak Tazi et Abdelhamid Aouad, il a fini par l’emporter justement après un consensus. Nous ne sommes pas non plus en 2009 quand M’hammed El Khalifa a fini par jeter l’éponge à la dernière minute pour permettre le maintien du même Abbas El Fassi, alors Premier ministre, à la tête du parti. Nous ne sommes pas non plus, pour remonter un peu plus loin, en 1989 lorsque le jeune Hamid Chabat, syndicaliste issu de la tribu des Branss dans la région de Taza, du haut de ses 36 ans, avait décidé de se mesurer à un certain M’hammed Boucetta alors au sommet de sa carrière politique. Les temps ont changé.
«On ne peut pas gérer ce congrès comme si rien ne s’est passé au Maroc», affirme ce membre du comité exécutif, en faisant référence aux changements historiques qu’a connus le Maroc et toute la région depuis début 2011. «La politique du compromis n’est plus acceptable. Le secrétaire général sera élu démocratiquement».
Pas de consensus, donc, et «il n’y aura pas non plus de pressions du conseil de la présidence», assure-t-on. Tout le monde en a convenu lors de l’ultime réunion du comité exécutif avant le congrès, la procédure démocratique sera appliquée à la lettre. Un autre dirigeant confirme que le conseil de la présidence réduit à trois membres, M’hammed Boucetta, M’Hammed Douiri et Abdelkrim Ghellab, après la disparition de feu Hachmi Filali et Aboubaker El Kadiri, refuse de prendre position.
Cela étant, l’Istiqlal risque de surprendre, encore une fois. Une tendance au sein du parti rejette les arguments des uns et des autres et considère que l’après-congrès sera, ni plus ni moins, une phase de transition pour gérer l’après-Abbas El Fassi. Le parti, qui n’est pas connu pour manquer de ressources, peut tout aussi bien départager les deux candidats en créant un poste de président du conseil national ou encore, et pourquoi pas, celui de secrétaire général adjoint.
A Lire aussi :
Comment l’Istiqlal élit son secrétaire général.
Istiqlal : Après 70 ans, l’essoufflement d’un mode de gouvernance.
