Pouvoirs
Le RNI joue «M. le président, Acte II»
Du 27 au 29 avril, le Ve congrès du RNI reconduira sans surprise Salaheddine Mezouar. La nouvelle plate-forme présentée au congrès met l’accent sur la nouvelle identité du parti : une social-démocratie rénovée, un parti moderniste en phase avec son temps.

On le disait partant il y a à peine quelques mois. Faux. «Je suis très convaincu de ce que je fais et je n’ai pas à me débiner devant mes responsabilités», tranche, sûr de lui, Salaheddine Mezouar, président sortant du RNI et candidat à sa propre succession, quelques jours avant le Ve congrès qui se tient à Rabat du 27 au 29 avril. Celui qui a mené la fronde au sein du parti de la colombe et détrôné en janvier 2010 Mustapha Mansouri, président élu en 2007, à la place d’Ahmed Osmane, est plus que jamais présent dans la formation créée en 1978. Il a réussi un autre coup de force : convaincre les adversaires du président déchu de la nécessaire unité du Rassemblement national des indépendants (RNI) s’il voulait sortir de la crise où il se débattait.
M. Mezouar est, dans l’entretien qu’il nous a accordé (voir page 42), semble-t-il, quasi sûr d’être reconduit à la tête du RNI. A l’heure où nous mettions sous presse, il n’y avait qu’un seul autre prétendant au poste. Il s’agit du jeune Rachid Sassi qui n’est pas à sa première tentative puisqu’il s’était déjà présenté contre le même Mezouar en 2010, récoltant 8 voix contre 610. Cependant, il semblerait qu’«aucun prétendant ne fera le poids. A l’heure du printemps arabe et des mutations que vit notre pays, on a besoin d’un vrai programme, d’une vision claire, et d’un leader de taille : c’est Mezouar qui incarne tout cela», renchérit Chafik Rachadi, président du groupe parlementaire RNI. Quelques noms circulaient ces dernières semaines comme étant ceux de possibles concurrents, comme celui d’Anis Birou, député et membre de la commission préparatoire du congrès ; Mohamed Aujjar, ancien ministre délégué chargé des droits de l’homme ou encore Rachid Talbi Alami, député de Tétouan, ancien président du groupe parlementaire et ancien ministre. «Jamais je n’ai prétendu à ce poste, corrige ce dernier. Et rassurez-vous, il n’y a qu’une seule plate-forme, un seul programme et un seul candidat, sur lesquels il y a unanimité. Ni Aujjar, ni Birou, ni personne d’autre ne se portera candidat». M. Mezouar, dans l’entretien, confirme : «Au jour d’aujourd’hui, il y a une seule plate-forme et un seul candidat à la présidence, c’est moi-même, mais le congrès reste ouvert. Si un autre candidat veut se présenter, personne ne l’en empêchera».
Ces derniers temps c’est surtout Mohamed Aujjar qu’on a le plus cité comme concurrent de Salaheddine Mezouar et l’intéressé lui-même n’a pas caché son ambition d’être à la tête d’un parti qu’il connaît mieux que le président actuel pour être l’un des plus anciens de ses militants. Il avait déclaré à la presse, en mars dernier (alors qu’il était parmi ceux qui soutenaient le report du congrès), que sa candidature à cette présidence était «chose normale», et qu’il préparait même sa propre plate-forme contenant sa vision d’une vraie réforme du parti. M. Aujjar a bien fait partie, au départ, de la vague réformatrice portée par Mezouar contre Mustapha Mansouri, mais il a déchanté au lendemain des législatives de novembre 2011, arguant que la réforme escomptée n’a pas eu lieu. L’ex-ministre délégué aux droits de l’homme s’est enfermé aujourd’hui dans le mutisme. Jusqu’à l’heure où nous mettions sous presse il est resté injoignable.
Un président élu par les 3 000 congressistes
Une chose est sûre, lors de ce congrès du parti des bleus, le président sera élu cette fois-ci par le congrès lui-même, et non pas par le conseil national comme ce fut le cas auparavant. Il s’agit du moyen, il est vrai, le plus démocratique qui soit pour élire un chef de parti dans les systèmes modernes. Ce n’est pas la seule nouveauté de ce 5e congrès : les structures du parti connaîtront aussi une refonte. Selon la plate-forme présentée aux 3 000 congressistes en conclave à Rabat, le RNI souffrirait d’une pléthore de structures au niveau central, alors qu’il y en a pas assez au niveau régional.
Pour aller vers la décentralisation du parti, souhaitée par la majorité, des «conseils régionaux» ont été créés. Ce sont eux qui élisent leur bureau et chacun d’eux son président. Il y a donc un transfert des prérogatives du national vers le régional, confirme M. Mezouar, «de manière à rééquilibrer l’organisation et impliquer les régions. La loi sur les partis politiques exige d’ailleurs une organisation régionale, il y a donc une adaptation de nos structures à ce texte, mais il y a aussi dans la démarche une amélioration du mode de management du parti. Il est donc superflu d’avoir et un comité central et un conseil national». Il est donc acquis que le comité central (410 membres élus par les 700 membres du conseil national, parmi les représentants des unions des provinces et des villes), ne fera plus partie des futures instances du RNI. De même, le bureau exécutif devrait subir un léger lifting. Une dizaine de vice-présidents seront nommés pour assister le président dans son travail en héritant d’une partie de ses pouvoirs afin d’éviter les situations de blocage qui ont immobilisé l’organisation du parti un certain temps. Le talon d’Achille du RNI a été, en effet, l’immobilisme organisationnel qui inhibait sa bonne marche, se plaint Rachid Talbi Alami. «Comme tous les partis politiques, le RNI à ses points forts et ses points faibles, explique-t-il. Sa force est qu’il a en son sein des gestionnaires chevronnés, qui ont beaucoup appris, et qui sont capables de trouver des solutions en même temps politiques et techniques qui se posent à la société. Sa faiblesse est son organisation interne. Le parti n’a pas tenu de congrès de 1983 à 2001 et il a toujours été géré par consensus».
Troisième nouveauté de ce congrès : une nouvelle identité. Laquelle : Droite ? Gauche ? Centre ? Social-démocratie ? Il faut dire que la question du positionnement identitaire du RNI s’est posée avec acuité au lendemain des élections législatives de 2007 : le fort taux d’abstention et la place que le parti avait occupée (quatrième, avec 39 sièges) ont fait réfléchir ses dirigeants. A la veille de ce Ve congrès, la question est remise sur le tapis. Les réformateurs dans le parti jugent que le monde a changé, que le Maroc devait s’adapter aux réalités nouvelles en élaborant une nouvelle charte. «Celle de 1983 est caduque», juge Talbi Alami. Dans cette nouvelle plate-forme, le parti rejette la mondialisation et le libéralisme sauvages. «Nous ne sommes pas contre le libre-échange et l’investissement extérieur, qui sont un levier pour le développement, mais nous refusons le rejet des spécificités de notre pays et devons défendre sa culture», précise Talbi Alami.
Créer la rupture pour mieux rebondir ?
La social-démocratie est maintenue dans le projet de plate-forme présentée au congrès, mais adaptée aux réalités actuelles du Maroc, ce que Talbi Alami appelle «une social-démocratie actualisée, une troisième voie, une ligne médiane entre le libéralisme et le socialisme, avec une répartition équitable des richesses et des moyens. Avec un nouveau concept de développement qui cadre avec la liberté car il n’y a pas de liberté sans développement. L’individu doit avoir la liberté de choisir en dehors des contraintes économiques, pour y arriver il faut une distribution équitable des richesses».
Il faut dire que la nouvelle situation du parti dans les rangs de l’opposition, alors qu’il a toujours été soit au gouvernement (depuis 1998 jusqu’à 2011), soit soutenant la majorité (sans être au gouvernement), a chamboulé nombre de ses cartes. Alors qu’il ambitionnait la première place aux législatives de novembre 2011 et lorgnait la Primature, le parti se contentera de la troisième place, et à son corps défendant, se rangera dans l’opposition. Mauvais choix ? Mauvais calcul ? Le camp contestataire, en tout cas, le juge ainsi, d’autant que le président actuel aurait pris cette décision sans se référer aux instances délibératives du parti. Le RNI aurait pu bien être au gouvernement, en effet, vu le nombre de sièges qu’il a obtenus en 2011 (52 au lieu des 39 en 2007, avec un électorat qui passe de 410 000 votants à 560 000 aux élections.) Alors ? Ce n’était pas «une décision facile», convient M. Mezouar, d’autant que le parti, comme il le dit lui-même, «a été dans toutes les majorités». Là encore, il fallait, confesse-t-il, créer «une rupture. Un parti n’en est pas vraiment un s’il n’a pas passé l’examen de l’opposition, et c’est un examen très dur qui permet de se restructurer, de se poser des questions et de changer de regard sur le travail politique». Chafik Rachadi, président du groupe parlementaire, en connaissance de cause, abonde dans le même sens : «Le parti peut servir le pays et ses intérêts à partir de cette position, surtout avec la nouvelle Constitution qui renforce considérablement le rôle de cette dernière». Mais jusqu’à quand ?, se demandent les pourfendeurs de Salaheddine Mezouar.
