Pouvoirs
Le RNI revoit son logiciel
En 1978, le Maroc était dans une impasse politique, le RNI a été créé pour constituer une alternative. Comme il l’a fait à sa création, le RNI s’en retourne aujourd’hui vers ceux qui ne se retrouvent plus dans l’offre politique actuelle. L’action, la politique de proximité et l’intérêt du citoyen avant tout, c’est désormais le credo du RNI «new age».

Vendredi 19 mai, la nouvelle direction du RNI aura tenu son pari. Douze organisations régionales des jeunes ont été mises en place. Douze structures régionales des femmes ont été créées. Des organisations professionnelles ont été constituées. Des congrès régionaux ont été tenus et des responsables régionaux (13 coordinateurs régionaux, en réalité, considérant les MRE comme une région), provinciaux et locaux nommés. C’est un travail colossal de restructuration qui a été entamé depuis le 29 octobre, exécuté dans le strict respect des normes de la démocratie interne et surtout finalisé dans les temps, comme promis. Rappelons-nous, mi-janvier, à l’issue d’une tournée lors de laquelle il est allé à la rencontre des militants du parti dans toutes les régions du Royaume, le nouveau président annonçait une feuille de route pour la restructuration du parti et la redynamisation de son action avec comme principal objectif de «mieux servir les citoyens et les intérêts suprêmes de la Nation». Aziz Akhannouch, le nouveau président du parti, avait promis que la priorité serait donnée à la dynamisation des structures locales et régionales afin de faire entendre la voix des militants et renforcer la proximité avec le citoyen, réhabiliter l’action politique, et renforcer le rôle des organisations parallèles du parti, notamment celles des jeunes, de la femme et des professionnels. Pour ce faire, des mesures concrètes avaient été annoncées pour combler le déficit en communication au sein du parti ainsi qu’en termes de mise en valeur de ses réalisations et celles de ses ministres. Aujourd’hui, le RNI a amplement mis à profit les nouvelles technologies pour soigner sa communication, faciliter le contact entre ses militants, s’ouvrir sur son environnement, mettre en valeur les actions de ses ministres et, surtout, relayer son message dans la société et exprimer ses positions sur les différentes problématiques et préoccupations des citoyens. Il est clair que le parti est, pour ainsi dire, complètement sorti de la logique d’un parti travaillant uniquement pour les élections à une formation dynamique et constamment à l’écoute des citoyens. Ce faisant, le parti ne perd pas le cap, ni le temps pour l’atteindre dans de bonnes conditions. L’impératif est de consolider la gouvernance interne et la démocratie participative et les échéances de 2021 constituent l’horizon pour le parti.
Du regroupement au rassemblement
Une étape est donc franchie avec succès et le RNI s’apprête à négocier, avec autant de réussite, le virage de son sixième congrès. Un congrès qui intervient dans des conditions similaires, sur certains points, à la conjoncture ayant prévalu lors de sa création. Les spécialistes de l’histoire politique du Maroc d’après l’indépendance s’accordent à dire que la création du RNI «était un cas exceptionnel dans la scène politique marocaine de l’époque». Nous sommes à la fin des années 70, le Maroc sort à peine de l’Etat d’exception (1965-1970), mais les tensions politiques étaient encore si intenses que la pratique politique s’en est trouvée dans une impasse. La preuve, il fallait attendre des réformes constitutionnelles (en 1972) et de nouvelles élections (en 1977) pour que la situation revienne progressivement à la normale. Entre-temps, il fallait surtout réfléchir à un nouveau mode d’exercice de la politique. Un nouveau procédé qui garantirait une meilleure interaction entre différents acteurs politiques et une participation de la population à la chose publique. Selon les spécialistes de l’histoire politique du Maroc, cette période, entre 1974 et 1980, a ainsi connu une inflexion dans l’action politique et une reconfiguration de la scène partisane. Cela a pu être possible grâce à une évolution dans les positions des acteurs politiques. «Le Pouvoir avait ainsi consenti à revoir sa politique d’exclusion des partis qui ne partagaient pas ses convictions et, de leur part, les partis politiques ont mis de côté leur culture de confrontation», estime-t-on. Cette nouvelle approche avait permis de dégager un paysage politique plus lisible avec une nouvelle opposition formée, entre autres, de partis comme l’USFP et le PPS et une nouvelle majorité. C’est donc dans ces conditions exceptionnelles de reconstruction de la scène politique, cinq ans après la promulgation de la Constitution de 1972, juste après la Marche verte et le recouvrement de l’intégrité territoriale du Maroc (novembre 1975) et à l’occasion des élections de 1977, que va naître une nouvelle formation politique, le Rassemblement National des Indépendants. Une majorité des citoyens qui ne se retrouvaient pas dans l’offre politique de l’époque ont néanmoins tenu à participer au processus électoral initié en 1976 avec des élections locales et qui a pris fin l’année suivante avec l’organisation du scrutin législatif.
Le régime électoral le permettait alors, en tout cas avec beaucoup plus de facilité qu’aujourd’hui, à l’issue des élections communales (novembre 1976), les «sans-appartenance politique», SAP, sont arrivés premiers en nombre de candidats et en nombre de sièges remportés (8607 sièges, contre 2181 pour l’Istiqlal arrivé deuxième). En juin 1977, des élections législatives ont été organisées et ont permis l’élection de 141 candidats SAP sur 264 (contre 51 pour l’Istiqlal, deuxième et 44 pour le MP, troisième). Ces élections auront démontré que les partis politiques traditionnels étaient incapables d’encadrer les citoyens et de leur présenter une offre politique intéressante. Un nouveau parti politique avait toute sa place dans ce contexte. Il était donc évident qu’une telle force politique, aussi bien au niveau local que national, ait pensé à se constituer en parti politique dans ce «Maroc nouveau» d’après l’état d’exception, la nouvelle Constitution et la Marche verte. Pour ce faire, il fallait d’abord regrouper ces élus dans un seul groupe parlementaire, lancer un travail de regroupement au niveau local, organiser un congrès constitutif, chercher une identité intégrant tous les courants culturels, sociaux, économiques et intellectuels qui composent cette nouvelle entité. Il faut le préciser, ces nouveaux élus sont certes SAP, mais ils ne sont pas pour autant déconnectés de la réalité partisane de l’époque. Certains d’entre eux sont même issus de l’Istiqlal et du PDI, mais au moment de leur candidature, ils avaient coupé les liens avec leurs anciens partis dans lesquels ils ne se retrouvaient plus. Du point de vue sociologique, la composition de la nouvelle formation politique en instance de constitution était diversifiée. On y retrouvait, naturellement, des cadres et militants issus d’autres partis mais aussi des hommes d’affaires et des industriels, produit de la marocanisation de 1973, convaincus de l’intérêt de l’action politique. On y retrouvait également des agriculteurs et de grands propriétaires terriens qui vont tenter, plus tard, de convaincre la direction du parti et finissent par obtenir gain de cause, de l’exonération fiscale de l’agriculture, des personnes issues des fonctions libérales en quête de réseaux et donc de notoriété, ainsi que des fonctionnaires et des enseignants, principalement des jeunes, qui croyaient en le changement politique et souhaitaient voir leur parti conduire ce changement. Ainsi, le RNI était formé pour ainsi dire, en grande partie, de militants issus de la classe moyenne des acteurs économiques et sociaux qui n’avaient, à l’époque, aucune activité politique.
Ni de gauche, ni de droite
Dans la pratique, après la formation du groupe parlementaire, un colloque a été organisé, en mars 1978, et s’est soldé par des recommandations dans les domaines organisationnel, politique, culturel, économique et social. Il a également été décidé à l’issue de cette rencontre de réunir un congrès constitutif. Le rendez-vous eut lieu en octobre 1978 avec la présence de 3500 congressistes et 4000 participants. Ahmed Osmane a été désigné président du RNI à la fin du congrès et un conseil national élu. Il a été formé de 350 membres, soit les 141 parlementaires, trois ont été élus pour chaque province et préfecture en plus de 100 membres élus par le congrès. De même, il a été désigné un comité central composé de 61 membres et un bureau politique formé de 15 membres élus par le comité central. Le RNI aura donc été le premier parti, il l’est resté jusqu’à très récemment, à avoir fait élire son président directement par le congrès. Cela dit, si la nouvelle formation a été irréprochable sur le plan organisationnel, il n’en a pas été de même sur la question de l’idéologie et de la doctrine politique. Le RNI s’est inspiré, au début, du référentiel politique de l’Union du centre démocratique en Espagne, mais, officiellement, il a toujours rejeté toute idéologie importée. L’UCD, présidé par l’ancien premier ministre Adolfo Suarez, pour rappel, a joué un rôle majeur dans la transition démocratique en Espagne entre 1977 et 1983. Il s’est auto-dissous en 1983. Bref, le RNI a fini par élaborer ses propres principes généraux: se conformer aux constantes sacrées du Royaume, œuvrer à préserver les acquis constitutionnels, consacrer l’expérience démocratique et en approfondir l’exerce et assurer aux citoyens les moyens d’une vie digne et de prospérité. Avec le temps, le RNI s’est positionné en tant que parti du centre progressiste. Et lors de la tentative de polarisation de la scène politique du début des années 90 avec la création de la Koutla et du Wifaq, le RNI a décidé de rester à égale distance des deux pôles. Plus tard, avec les grands changements qu’a connus le monde après l’effondrement du Mur de Berlin, le RNI a clairement opté pour la démocratie sociale. Ce n’est pas par hasard qu’aujourd’hui le RNI a, certes, reconquis une légitimité populaire au fil des élections, surtout depuis celles de 2002, mais, faute d’une communication adéquate, n’avait toujours pas pu se défaire de quelques griefs dus aux circonstances de sa création.
Un parti tourné vers l’avenir
Pourtant, bien des partis avant le RNI sont passés par là. Le célèbre et historique parti de UNFP a été créé, rappelons-le, alors que son fondateur, feu Abdellah Ibrahim, était président du conseil du gouvernement, le PJD a été créé autour de feu docteur El Khatib, réputé proche du pouvoir, même l’Istiqlal a prospéré dans l’entourage de l’Administration, Ahmed Balafrej, son dirigeant de l’époque était également président du conseil…
Il n’en demeure pas moins que le RNI est aujourd’hui en passe de choisir un nouveau positionnement idéologique pour accompagner sa restructuration, son ouverture sur la société et la démocratisation de ses structures. On le reconnaît d’ailleurs au sein même du RNI, le parti n’a pas encore réussi à bien communiquer aux Marocains son projet de société. Cela dit, on estime qu’il est désormais temps de se concentrer sur l’amélioration des conditions de vie des citoyens sans attendre le scrutin législatif de 2021. En parallèle, le RNI prévoit une refonte de son socle idéologique, en se présentant comme le nouveau rempart contre les inégalités sociales. Le credo du RNI dans sa forme actuelle est de coller aux préoccupations quotidiennes des citoyens et remédier aux problèmes d’exclusion avec la mise en place d’une politique de proximité efficace pour améliorer la vie quotidienne des gens. Son président l’a souvent répété, martelé : le RNI n’a pas d’ennemis politiques, ses vrais ennemis sont le chômage, l’exclusion, les inégalités, la précarité et la pauvreté. Pour le RNI d’aujourd’hui, rien ne remplace l’action, le citoyen a besoin de solutions et pas d’une instrumentalisation populiste de ses problèmes. Le parti qui s’est choisi comme devise «Agharass-Agharass» se veut une voie alternative, basée sur l’action et pas sur les déclarations d’intentions et les slogans.
D’ailleurs, il n’y a qu’à voir dans l’entourage géopolitique du Maroc, là où il faut faire face aux partis d’extrême droite (et, de notre côté, à un islam politique rampant), il a fallu des idées nouvelles et beaucoup d’action. C’est ainsi qu’un mouvement alternatif, à la gauche et à la droite (traditionnelle et extrémiste), vient de gagner les élections présidentielles en France. Plus près, en Espagne, des mouvements comme «Podemos» et «Ciudadanos», qui ont su prêter oreille à la société et détecter ses changements et ses attentes, sont en train de chambouler la scène politique. Plus loin en Grèce comme dans d’autres pays d’Europe, ce sont les structures proches des citoyens, et souvent sans idéologie, qui ont été choisies pour gérer les affaires publiques.
[tabs][tab title = »Quarante ans d’une vie qui n’ont pas été un long fleuve tranquille « ]Depuis sa création en 1978, le RNI a connu des hauts et des bas. Il a été tantôt dans l’opposition et plus souvent dans le gouvernement. Au moment de sa création, son président occupait encore le poste de Premier ministre (1972-1979). Les premiers problèmes allaient commencer juste après. Les évènements de 1981 et surtout la conjoncture économique de l’époque, avec le début d’un cycle de sécheresse, ont permis la montée de certaines tensions, de nature régionale, en surface. Les élites du parti issues du monde rural ont estimé que ses dirigeants n’accordaient pas autant d’attention qu’il fallait à la campagne et ses problèmes. C’est ainsi que le RNI a connu une première scission qui a conduit à la création du Parti national démocrate (PND), avec à sa tête feu Mohamed Arsalane El Jadidi. C’est en cette année que le RNI, qui soutenait la majorité gouvernementale à sa création, a choisi d’aller dans l’opposition pour la première fois. Il ne voulait pas faire partie, avec le PND, d’une même majorité gouvernementale. Ces deux années dans l’opposition lui ont permis se s’affranchir du gouvernement et de produire un discours critique par rapport à l’Exécutif et à son action. Le deuxième congrès, tenu dans ce contexte, en avril 1983, a fait office d’une véritable naissance du parti avec la précision de son identité idéologique. Vingt ans plus tard, en 2001, la formation connaîtra sa première scission. Une divergence de point de vue sur la gestion du parti a conduit un groupe de dirigeants conduits par Abderrahmane El Kohen à quitter le RNI pour créer le Parti de la réforme et du développement (PRD). A l’approche du quatrième congrès, tenu en 2007, le parti a vécu des circonstances similaires, mais sans avoir conduit à une nouvelle scission. Cette fois, c’est le président qui a cédé les commandes et Mustapha Mansouri, soutenu par Mohammed Aoujar, a remporté une élection très serrée face à feu Mustapha Oukacha, alors président de la deuxième Chambre. Le mandat de Mustapha Mansouri n’aura duré que trois ans. Il a dû renoncer face à un courant réformiste dirigé par Salaheddine Mezouar en 2010. Ce dernier est resté au poste jusqu’au lendemain des dernières législatives du 7 octobre 2016. Il devient, ainsi, le premier patron du parti politique au Maroc à démissionner juste après avoir perdu les élections.[/tab][/tabs]
