Pouvoirs
Elections du 8 septembre : Une année après un scrutin pas comme les autres
Cette deuxième alternance politique n’a pas seulement permis au Maroc de disposer d’une majorité solide composée de trois partis. Mais bien plus…

Dans une semaine, il se sera passé une année après les élections du 8 septembre. Élections historiques, et c’est le mot, à plusieurs égards. Pour la forme, c’est la première fois qu’un triple scrutin est organisé le même jour, avec toute la logistique et l’organisation qu’il faut. Faire élire, d’un seul coup, 395 députés, 678 membres de conseils régionaux et plus de 32 500 conseillers communaux, ce n’est pas rien. Et tout cela dans un contexte de pandémie, et donc l’obligation de respecter les mesures de sécurité sanitaire. Le résultat des élections est également inédit. Dans les trois scrutins, les trois formations arrivées en tête ont raflé près de 70% des sièges. Le RNI, le PAM et l’Istiqlal ont remporté 68,36% des sièges de la première Chambre, 71,69% dans les Conseils régionaux et 68,34% dans les Communes. En toute logique, ce sont les mêmes formations qui composent la majorité gouvernementale et les coalitions qui dirigent l’écrasante majorité des régions et des communes, y compris les grandes villes. Là encore c’est une expérience inédite. Les élections partielles tenues après épuration des recours pour annulation des élections ont confirmé ce choix des électeurs pour les trois partis. La Cour constitutionnelle a, en effet, invalidé l’élection de 17 députés, sur un total de 395, soit moins de 5%. Très peu, si l’on se réfère au nombre considérable d’accusations d’achat de voix, de pressions sur les électeurs et de la non-neutralité de l’Administration, entre autres torts, émanant principalement du PJD, mais aussi de certaines formations de gauche, propagées au lendemain de ces élections. Cela d’autant que plusieurs députés se sont vu invalider leur siège pour… violation de l’état d’urgence sanitaire. Encore une première qui fait, en même temps, jurisprudence.
Mais au-delà de ce constat, et pour reprendre les termes d’un analyste politique, «le Maroc a connu durant ces vingt dernières années deux moments électoraux aussi importants que cruciaux: les élections de 2011 et celles de 2021». Le scrutin de 2011, intervenu dans un contexte régional bouillonnant -et au lendemain de la promulgation d’une nouvelle Constitution- a porté au pouvoir le PJD, un parti qui a failli être dissous en 2003. En 2021, et pour la première et la seule fois dans la région MENA, les islamistes ont été écartés du pouvoir par la voie des élections. Exactement de la même manière qu’ils y ont été portés dix ans plus tôt.
Fin d’un cycle de 50 ans
Il s’agit non seulement d’une débâcle électorale, mais d’un rejet franc et sans appel de «l’islamisme politique». C’est la fin d’un cycle.
Un cycle que ce spécialiste des mouvements islamistes, issu lui-même de cette mouvance, résume comme suit : «En 1972, feu Hassan II appelait à une réislamisation de la société –le pays venait de sortir de deux tentatives de coup d’État- en 1976 ce furent les prémices du mouvement islamique au Maroc. En 1992, c’est l’unification de ses principales composantes et l’entrée dans l’arène politique. En 1997, il a été encouragé à la participation institutionnelle par le biais du PJD qui venait juste de naître. En 2011, ce parti profite d’une tendance régionale et accède au pouvoir à l’issue d’élections libres, démocratiques et transparentes. Dix ans plus tard, il en est éjecté, sans ménagement, également au terme d’un scrutin démocratique et transparent». La boucle est bouclée. «Les islamistes se sont présentés avec un projet de société et de gouvernement et les électeurs leur ont donné leur chance. Deux mandats après, les mêmes électeurs, après avoir constaté la faillite de ce projet ou, en tout cas, son incapacité de répondre à leurs besoins et attentes, les ont débarqués», observe cet autre analyste politique. Pour comprendre ce que cela signifie réellement, osons une comparaison. En décembre 1991, en Algérie, les islamistes participent aux premières élections législatives libres du pays. Le pouvoir en place interrompt le processus électoral au vu des résultats du premier tour, laissant clairement augurer une victoire du Front islamique du salut (FIS) et la mise en place d’une «république islamique». Il s’en est suivi une décennie noire. Une guerre civile qui aurait fait près de 250 000 morts, des dizaines de milliers de réfugiés, des centaines de milliers de déplacés et 20 milliards de dollars de dégâts. Plus récemment, en Egypte, pour déloger les islamistes qui ont accédé au pouvoir en 2011, il a fallu un coup d’Etat militaire, deux ans plus tard, déguisé en contre-révolution. Cela a pris à la Tunisie presque deux décennies. Les islamistes ont été brutalement écartés après le putsch mené par un président civil démocratiquement élu. Mais une fois en place, il a dissous le Parlement et annulé la Constitution pour, ensuite, diriger le pays en dictateur. Au Yémen, en Libye, c’est carrément la déconfiture de l’Etat. En Syrie, la guerre civile fait toujours rage. Tous ces pays ont connu en même temps cette vague qualifiée, à tort, de «Printemps arabe». Pour revenir à notre pays, le 8 septembre ce n’était finalement pas un scrutin banal, mais il s’agit bel et bien d’une deuxième alternance politique.
16 sièges invalidés, aucun impact sur la carte politique
Au terme des délais réglementaires, la Cour constitutionnelle a reçu un total de 72 recours en annulation des résultats des élections législatives du 8 septembre. 27 recours ont été jugés irrecevables et n’ont donc pas été traités. Sur les recours examinés, 28 demandes d’invalidation ont été rejetées. Un total de 16 sièges a été invalidé et la Cour a décidé de réformer le résultat du scrutin dans une seule circonscription.
Pour le moment, les élections qui ont été organisées à ce jour pour occuper les sièges vacants n’ont pas changé grand-chose dans la carte politique. Comme tout le monde le sait, le RNI a reconquis, haut la main, ses deux sièges invalidés à Al Hoceima et Meknès. L’Istiqlal a également récupéré ses deux sièges d’Al Hoceima et de Mediouna. Il en est de même pour le PAM, en ce qui concerne son siège d’Al Hoceima. Par contre, le quatrième siège à pourvoir dans cette circonscription est allé à l’USFP au lieu du MP. A Guelmim, le siège qui a été attribué par erreur au RNI est revenu après recomptage des bulletins à l’Istiqlal. Cela ne change évidemment rien ni au niveau du classement des partis politiques, ni en termes d’écarts entre ces formations. Ce recomptage des votes décidé par la Cour constitutionnelle a toutefois été exploité pour appuyer des allégations de tripotage électoral. Ceux qui sont partis sur cette voie se sont rapidement ravisés dès qu’on leur a rappelé une décision de la même nature, qui date du 13 juillet 2017. Au lendemain du scrutin de 2016, un député PJD a été élu à Boulmane, après recours et recomptage des votes, il s’est avéré que le siège revient, en réalité, au candidat PPS.
Cela dit, pour récapituler, la Cour constitutionnelle a également invalidé, entre autres, deux sièges à Guercif (Istiqlal et PAM) deux autres à Driouch des mêmes partis, deux à Ain Chock, également du PAM et de l’Istiqlal et un à Safi (MDS). De nouvelles élections partielles sont prévues en ce mois de septembre. Notons que certains parlementaires, notamment à Settat et Fès, font actuellement objet de poursuites pénales. Si la justice décide de leur condamnation, ils perdent certes leurs sièges, mais ces derniers reviennent automatiquement à leurs partis, sans passer par des élections partielles.
