Pouvoirs
Constitution : les équations d’une réforme complexe
Ministères de souveraineté, nomination des hauts dirigeants de l’administration, organisation des pouvoirs entre monarchie et gouvernement sont
les principaux sujets de débat.
Unanimité sur le fait que le Roi doit continuer à gouverner,
mais nécessité d’un gouvernement responsable.
Réformer avant ou après les élections ? Un argument derrière
chaque choix.

Dix ans après la dernière réforme, la Constitution subira-t-elle son sixième toilettage ? Au fur et à mesure que la date théorique des élections s’approche, la tension monte. Il y a quelques jours, un collectif d’ONG a relancé le débat, alors que l’on attend toujours les propositions des partis politiques, notamment la Koutla et le PSU. Questions : que réformer ? et si réforme il y a, doit-elle se faire avant ou après les législatives de 2007 ? Les avis sont partagés, mais une chose est sûre : le besoin se fait sentir d’une nouvelle charte fondamentale qui établirait un meilleur équilibre des pouvoirs entre le Roi, le gouvernement et le Parlement, qui définirait clairement les responsabilités de chacun de ces pouvoirs et renforcerait particulièrement ceux du Premier ministre. Dans le même temps, on met l’accent sur le fait que le chef de l’Etat doit continuer à gouverner. Equilibre délicat,sur lequel les partis politiques gardent un silence de circonstance… électorale.
Silence qui fait réagir Noureddine Ayouche pour qui «certains partis sont hésitants quant au timing de la demande d’une réforme constitutionnelle». Le président de 2007 Daba enfonce le clou en affirmant que dans le cadre de la mobilisation qu’il a initiée avec d’autres, presque tous les partis politiques rencontrés (excepté un qui demande l’application d’abord de la Constitution en vigueur) ont affirmé vouloir une réforme constitutionnelle, «en concertation et avec l’accord du Roi. Mais qu’attendent-ils pour en faire la demande ?», s’exclame-t-il.
Ministères de souveraineté : un faux débat ?
Parmi les points de réforme qui reviennent, le plus souvent, celui des ministères de souveraineté. Fustigeant les partis, Noureddine Ayouche poursuit : «Ce sont eux qui doivent exiger la fin des ministères de souveraineté. La réforme doit apporter plus de clarification : un Premier ministre issu des partis politiques majoritaires issus des urnes. Il faut donc une redéfinition des pouvoirs entre le Roi et le gouvernement». De fait, dans la Constitution, aucun article ne fait mention des ministères de souveraineté. Mais l’article 24 confère au Roi la latitude de nommer les ministres et de mettre fin en toute liberté à leurs fonctions. Cette formulation lapidaire permet l’existence de ce type de ministères que Mohamed Darif juge «antidémocratiques»: « Je crois, affirme-t-il, qu’il y a un support constitutionnel à la pratique des ministères de souveraineté : l’art. 24 ne le dit pas, mais il y a des coutumes constitutionnelles qui le disent. Cela dit je suis contre les ministères de souveraineté : il faut savoir si on est dans le cadre d’une Constitution démocratique ou pas».
Pour d’autres, le problème doit être posé en terme de répartition des pouvoirs. Ainsi Najib Ba Mohamed fait le parallèle avec la France, arguant que la notion de ministères de souveraineté est «un héritage de la Ve république où le Président a des domaines réservés : défense et affaires étrangères. La Constitution actuelle organise et répartit les pouvoirs, qu’on le veuille ou pas. C’est dans la mise en œuvre de ces pouvoirs où il y a un problème». Najib Ba Mohamed est rejoint par Mohamed El Ayadi pour qui «il s’agit de clarifier nettement dans la Constitution les pouvoirs du Roi et ceux du gouvernement. Si on est dans la configuration d’un Roi qui ne rend pas compte de ses actions et ne peut être critiqué, dans ce cas, c’est le gouvernement qui doit être responsable, et il doit disposer de tous les outils pour mener son travail».
Est-ce à dire qu’on doit réformer la Constitution dans le sens d’un Roi qui règne mais ne gouverne pas ? Sur ce point, il y a unanimité : le Roi doit continuer à gouverner. M. El Ayadi estime même que «ce débat est dépassé». Selon lui, les résultats d’une enquête menée récemment montrent que 84 % de la population souhaite que les pouvoirs du Roi soient renforcés et non diminués. «Le problème, conclut-il, n’est pas celui d’une répartition mais d’organisation des pouvoirs». Mohamed Tozy abonde dans le même sens : «Il y a effectivement un problème d’organisation des pouvoirs. Le Roi, de par la Constitution, a le droit de nommer [aux emplois civils et militaires selon l’article 30, NDRL], mais le texte ne précise pas la liste des postes auxquels il doit nommer». C’est notamment le cas des directeurs de ministères ou des patrons d’entités et établissements publics sous tutelle d’un département donné. Larabi Jaïdi, rejoint en cela par tous les intervenants, met le doigt sur ce manque de précision concernant les nominations : «Le fait qu’un directeur ou un DG d’office soit nommé par dahir le rend inamovible pour le ministre de tutelle. Il y a une dualité dans le référentiel décisionnel du fait qu’un directeur peut très bien refuser de mettre en application la politique du ministre, sans avoir à en subir les conséquences».
La Constitution actuelle est mal appliquée mais la demande de changement n’en est pas moins présente
Mais, avant de réformer la Constitution, ne faut-il pas se demander si l’actuelle est appliquée, exploitée correctement ? Najat Mjid est de cet avis et estime même qu’«une réforme de la Constitution ne suffit pas, il faut l’accompagner de mesures pour son application réelle. S’il y a réforme, il faut penser à celle de l’organisation des ministères. Certains départements sont dilués dans d’autres et des ministères ont été créés ex nihilo sans que leur existence ne se justifie. Le département ministériel ne doit pas exister en fonction de l’homme, mais en fonction de son action, donc il doit disposer d’outils de travail». Mohamed Darif lui aussi estime que la Constitution est mal appliquée. «C’est l’environnement politique et culturel du Maroc qui n’encourage pas l’application optimale de la Constitution, explique-t-il. Dans les faits, celle-ci continue à assurer la suprématie de la monarchie au lieu d’une suprématie de la loi. Même si on la réforme, le problème de sa bonne application restera posé».
Question de mentalités ? Il n’empêche que, mal appliquée ou pas, la Constitution actuelle, selon nombre d’acteurs politiques et membres de la société civile, doit être réformée. Reste le timing. Quand faire cette réforme, avant ou après les législatives ? Avant ou après le règlement de l’affaire du Sahara ? Pour M. Ayouche, la précipitation n’est pas de mise. Il estime qu’il faut un débat national entre partis politiques, société civile et intellectuels sur la réforme. «On parle de régionalisation, argumente-t-il, mais comment va-t-on la mener ? Et quel type de régionalisation ? On parle de délimitation des pouvoirs, lesquels ? Si l’on dit que le Roi doit gouverner tout en déléguant une plus grande partie de ses pouvoirs, il faut savoir jusqu’où, car certains domaines doivent continuer à relever de ses compétences, comme la défense et le religieux. La réforme pourrait intervenir un ou deux ans après les élections.» Il n’y a donc pas urgence, puisque, justifie Najib Ba Mohamed, «il n’y a pas de crise des institutions qui l’impose». Mohamed El Ayadi, lui, préfère dissocier élections et réforme de la Constitution. Il pense qu’«il n’y a pas de corrélation entre les deux». A noter que, selon l’article 103, l’initiative de la réforme de la Constitution revient soit au Roi, soit à la Chambre des représentants et à la Chambre des conseillers, initiative devant être soumise par dahir au référendum (article 105).
Nomination du Premier ministre : trop de précision tue la précision
Tel n’est pas l’avis de M. Jaïdi, pour qui la réforme est souhaitable avant les élections. «Ma crainte est que sans réforme on n’arrive pas à corriger les dysfonctionnements de la pratique constitutionnelle. Si on perd encore un ou deux ans, il faut attendre la fin d’une législature, à moins que d’envisager des élections anticipées. D’ici juillet, on a la possibilité et le temps d’engager un débat et de réformer. Le point le plus important est de déterminer comment un gouvernement doit conduire les affaires de la gestion publique. La question, en fait, n’est pas celle du mode du partage des pouvoirs, mais celle du mode de fonctionnement des institutions qui a besoin d’un réajustement constitutionnel rapide». Même son de cloche chez M. Darif qui soutient aussi une révision avant les élections. «Il y a des révisions tactiques et il y a des révisions stratégiques : la régionalisation et la réforme de la deuxième Chambre s’inscrivent dans la première catégorie. Quant à la deuxième, elle est censée instaurer un système doté de mécanismes bien définis tant au niveau de l’organisation que de la répartition des pouvoirs. C’est d’une révision stratégique que le Maroc a besoin. Des élections selon les actuelles dispositions constitutionnelles seront sans enjeu. Il faut consacrer la séparation des pouvoirs car actuellement il y a une répartition des fonctions législatives et exécutives, toutes deux sous la houlette du Roi. Il faut également normaliser le principe de l’alternance en changeant l’article 24 dans le sens où il permettrait au Premier ministre d’émaner des urnes et non du bon vouloir du Roi».
Sur ce dernier point, le constitutionnaliste qu’est Najib Ba Mohamed réagit : «Je ne crois pas qu’il faille réviser l’article 24 en spécifiant que le Premier ministre doit émaner de la majorité parlementaire. Dans les Constitutions les plus démocratiques, il n’y a pas cette mention, car la majorité parlementaire n’est pas toujours acquise, donc on laisse la porte ouverte à toutes les éventualités. » En dépit de ce clivage, on retiendra l’unanimité sur le fait que la Premier ministre doit émaner des urnes.
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Depuis l’indépendance, le Maroc a connu cinq Constitutions. La première remonte au cinq décembre 1962. Elle instaurait un Parlement, dont l’une des deux Chambres était élue au suffrage universel, et un gouvernement responsable devant elle. La deuxième Constitution date du 24 juillet 1970 : un simple remodelage par rapport à la première, mais les constitutionnalistes l’avaient jugée très en retrait par rapport à la première puisqu’elle renforçait les pouvoirs du Roi au détriment du gouvernement et du Parlement. Le Maroc connaît sa troisième Constitution le 1er mars 1972. Principale nouveauté : un Parlement avec une seule Chambre dont les deux tiers des membres sont élus au suffrage universel et l’autre tiers au suffrage indirect, pour un mandat de quatre années au lieu de six. La quatrième réforme remonte au mois de septembre 1992 : elle renforce les prérogatives du Parlement et du gouvernement. La dernière Constitution (encore en vigueur) date du 13 septembre 1996. Cette dernière réinstaure le bicaméralisme : une Chambre des représentants élus au suffrage direct et une Chambre des conseillers au suffrage indirect. Dans toutes les Constitutions, c’est le Roi qui nomme le Premier ministre et les ministres et peut mettre fin à leur fonction. Le gouvernement est responsable et devant le Roi et devant le Parlement, et le Roi peut dissoudre ce dernier. L’article 19 faisant du Roi Amir Al Mounine et représentant suprême de la Nation a existé dans toutes les Constitutions. |
