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Al Adl Wal Ihssane bientôt parti politique reconnu ?

Les pouvoirs publics ne semblent pas indifférents aux messages du mouvement et en parlent de manière moins virulente. Intégration à  un parti déjà  existant ou création ex nihilo : deux scénarios possibles.

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Al adl wal ihssane 2011 03 14

Casablanca, dimanche 6 mars, au rassemblement auquel a appelé le mouvement du 20 février, les disciples d’Abdessalam Yassine, principalement les jeunes, étaient les plus visibles parmi les quelque 1 500 manifestants. Le même jour, à Rabat, ou dans d’autres villes où eurent lieu des rassemblements du même genre, l’association Al Adl Wal Ihssane a tenu à marquer sa présence. De fait, depuis l’initiation du mouvement du 20 Février, les adlistes ont été de toutes les manifestations et aux premiers rangs. Le 20 février, ils ont même décidé de se retirer bien avant les autres manifestants dans plusieurs villes, dans le seul objectif de faire montre de leur poids et leur capacité de mobilisation. A la nuance près, comme le fait remarquer Mohamed Darif, politologue et spécialiste des mouvements islamistes, qu’«un mouvement qui prône la mobilisation des masses comme moyen de pression et stratégie de changement n’ait pu mobiliser qu’un nombre aussi peu important d’adeptes et sympathisants, cela relève du paradoxe». Al Adl est, en effet, présenté, aussi bien au Maroc qu’à l’étranger, comme le mouvement politique qui compte le plus grand nombre de militants. Un faux paradoxe, selon Mustapha El Khalfi, membre du bureau exécutif du Mouvement unicité et réforme (MUR), également spécialiste des mouvements islamistes, qui estime, lui, qu’«Al Adl a bel et bien veillé à ce que sa présence dans ces manifestations soit plutôt symbolique et plus qualitative que quantitative».
Pourquoi tant de retenue alors que l’association prétendait pouvoir monopoliser la rue ? En fait, Al Adl tient à faire passer un message. Un autre parmi une série de signaux d’apaisement lancés, ces derniers temps, en direction de l’Etat, une manière de dire : «nous sommes là, mais sans pour autant faire de vagues». Dans les manifestations qui ont eu lieu dans différentes villes du Maroc, le mouvement a mis un point d’ordre à ne pas s’écarter de l’ambiance générale. Pas de pancartes et banderoles, ni de slogans spécifiques. Ils ont fait corps avec le reste des manifestants.
On le sent, Al Adl, du moins son aile participationniste, est en train de remettre au goût du jour sa revendication, déjà vieille de quelques décennies, de se muer en parti politique. Toutes ces démonstrations de bonne foi n’ont qu’un seul objectif : rassurer les pouvoirs publics sur ses intentions et décrocher le feu vert des autorités compétentes pour faire son entrée officielle dans l’arène politique. «C’est ce que nous voulions depuis la création de notre mouvement. Nous demandons l’autorisation de création d’un parti politique depuis 1981 et, aujourd’hui, nous sommes prêts à entrer dans le jeu politique», confirme Hassan Bennajeh, membre du cercle politique d’Al Adl wal Ihssane.

Une revendication vieille de 30 ans

Selon Mohamed Darif, Al Adl a déposé, en 1981, une demande d’autorisation de constitution en tant qu’association à caractère politique, «ce qui correspond dans la législation marocaine à un parti politique». Le ministère de l’intérieur n’a pas donné suite à cette requête arguant que le mouvement faisait amalgame entre le politique et le religieux. Près de deux décennies plus tard, le mouvement tente de nouveau sa chance. C’était en 1998, lors de la création, à Marrakech, de son «cercle politique». Depuis cette date, les adeptes de cheikh Yassine brandissent cette revendication ou la taisent au gré de la conjoncture.
Les choses se sont accélérées depuis 2005. L’état de santé d’Abdessalam Yassine, 83 ans aujourd’hui, s’étant quelque peu dégradé, le mouvement envisageait sérieusement l’après-Yassine et la revendication s’est faite de plus en plus incessante. De même que, dans chacune de leurs sorties, et particulièrement depuis 2009, les adlistes ont veillé à transmettre le même message : le mouvement incarne un islamisme, certes contestataire, mais pas radical. Ils reconnaissent les fondamentaux de l’Etat et sont prêts à travailler dans le cadre des normes et de la loi. En d’autres termes, Al Adl ne s’oppose pas au régime, mais aux politiques publiques menées par les gouvernants. Les adlistes espèrent mieux. «Si les conditions actuelles viennent à changer, il sera naturellement de notre devoir, non plus de nous contenter de nous opposer aux politiques publiques, mais de participer à l’édification de notre pays», affirme Hassan Bennajeh. Comme d’autres formations politiques, Al Adl espère beaucoup des réformes constitutionnelles et politiques dont la revendication sur le plan du principe fait aujourd’hui l’unanimité.
Le mouvement est-il pour autant prêt à participer dès à présent à la gestion de la chose publique ? «Nous pouvons constituer un parti politique sans pour autant participer aux élections», relève le membre du cercle politique de la Jamaa, Hassan Bennajeh. Ce qui est sûr, explique Mustapha El Khalfi, c’est qu’Al Adl manifeste, aujourd’hui plus que jamais, son intention d’intégrer une formation politique ou de créer son propre parti. La conjoncture est favorable et toutes les conditions requises sont réunies pour ce faire.
«Du moment que le mouvement a accepté d’agir dans le cadre de la Constitution et vu que les pouvoirs publics ne cessent de faire valoir le choix du Maroc pour le multipartisme, il est temps de permettre à ce mouvement d’intégrer le champ politique, tout comme l’a fait le PJD des années plus tôt. L’Etat devrait tirer la leçon de la réussite de l’intégration du PJD. Ce qui a été fait pour le PJD peut se faire pour Al Adl», note ce responsable du MUR. Qu’est-ce qui empêche donc une telle initiative ? «Il subsiste encore quelques poches de résistance», observe El Khalfi. Mais, comme le constate Mohamed Darif, elles finiront par sauter. Le contexte régional a changé, cela d’autant, fait noter ce politologue, qu’en matière de lois électorales les choses sont devenues plus claires. Les acteurs politiques sont, d’ailleurs, sur le point de mettre en place de nouveaux garde-fous. Parmi les propositions d’amendement à apporter, dans les jours à venir, à la loi sur les partis politiques, l’interdiction pour les partis de toute tentative d’utilisation de l’une des constantes de la nation, l’islam, la monarchie ou l’intégrité territoriale, à des fins politiques. Théoriquement, rien n’empêche de voir naître un parti politique portant l’étendard du mouvement de Yassine.

Et pendant ce temps, les signaux se multiplient

Et comme en politique, les signaux sont parfois plus éloquents que les actes et les paroles, le jeu de la symbolique union entre l’Etat et le mouvement islamiste ne laisse plus indifférent. Le 28 novembre dernier, le Maroc a réussi à organiser une marche gigantesque à Casablanca pour défendre son intégrité territoriale. Al Adl s’était empressé de tirer profit de l’occasion et ses adeptes ont tenu à se faire remarquer ce jour-là. Le message a été clair, Al Adl a tenu à manifester son attachement aux constantes de la Nation. La réponse des pouvoirs publics ne s’est pas faite attendre. Un mois plus tard, à Fès, la justice a prononcé, le 21 décembre, l’acquittement de 8 membres du mouvement qui étaient détenus pour leur implication dans une affaire de séquestration et torture. La Cour a décidé d’abandonner toutes les charges retenues contre eux. Une première, selon les observateurs, dans les rapports plutôt tendus entre l’Etat et le mouvement islamiste. Quelques jours plus tard, depuis l’enclenchement de la révolution tunisienne, puis égyptienne, Al Adl qui a soutenu que le Maroc n’était pas une exception n’a néanmoins pas jugé utile de mobiliser ses masses pour investir la rue. Ce dimanche 20 février, la télévision publique parle, pour la première fois, d’Al Adl Wal Ihssane comme «mouvement non reconnu, mais toléré». Les deux parties font preuve d’efforts de rapprochement, certes encore timides, mais bien palpables.
Et si l’idée de l’intégration politique semble aujourd’hui une réalité tangible, qu’en est-il des moyens pour la concrétiser ? L’on évoque déjà deux scénarios : l’intégration à travers un parti politique déjà existant, comme ce fut le cas pour le PJD ou la transformation d’une aile du mouvement, le cercle politique en l’occurrence, en parti.

Quelles sont les visées réelles du mouvement ? La question qui oppose

Les partisans du premier scénario évoquent des contacts, discrets, entrepris, en ce sens, en novembre dernier avec la formation de Mohamed Khalidi, le patron du Parti de la renaissance et de la vertu (PRV) qui dispose déjà d’un siège au Parlement. Deux faits accréditent cette thèse. D’un côté, le leader du parti dispose déjà d’une expérience en la matière puisqu’il a été le bras de droit de feu Abdelkrim El Khatib au moment où ce dernier négociait le processus d’intégration du MUR dans son parti, le MPDC, qui deviendra plus tard l’actuel PJD. D’un autre côté, et cela remonte à plus de deux ans, le même parti avait tenté un rapprochement avec Al Adl. Fin juillet 2009, le PRV avait lancé un appel à la création d’un «pôle islamique», et Al Adl était parmi les organisations à y répondre, moins d’un mois plus tard. Le projet n’a pu aboutir, mais les contacts entre le PRV et Al Adl n’ont pas été rompus.
«C’est une option valable, mais qui fait partie d’une ère aujourd’hui révolue», commente Mohamed Darif. Le politologue cite le cas d’un autre mouvement, Al Badil Al Hadari, de Mustapha El Mouâtassim, transformé en 2002 en parti politique reconnu en tant que tel en 2005. Al Adl est également fin prêt pour cette option, et ce, depuis 1998. Son cercle politique fonctionne, en effet, comme un parti politique dans l’association. De même que ses cadres ont acquis le savoir-faire nécessaire pour entrer en action dès sa reconnaissance. Depuis quelque temps, le mouvement dispose, grâce au «bureau d’études» qu’il a mis en place au sein du cercle politique, d’une vision claire sur la situation de plusieurs domaines, comme la santé, l’emploi, l’éducation,… C’est aujourd’hui chose faite, le mouvement est doté d’un programme politique clés en main. Subsiste toutefois, parmi la classe politique, des doutes quant aux véritables visées du mouvement de cheikh Yassine. «La volonté de création d’un parti politique et de participation aux élections n’est qu’un leurre», prévient Saïd Lekhal, chercheur et également spécialiste des mouvements islamistes. Ce porte-voix des détracteurs d’Al Adl Wal Ihssane pense plutôt que «le mouvement surfe sur la vague du 20 Février pour arriver à ses propres fins».
Selon Saïd Lekhal, il n’y a pas de doute : la finalité du mouvement est d’instaurer au Maroc un régime similaire à celui des Ayatollahs d’Iran. «L’organisation ne va intégrer le jeu démocratique qu’à une seule condition, si la Constitution permet au parti majoritaire de faire voter une loi qui pourrait changer la nature du régime». Et d’ajouter que «si les jeunes du 20 Février ne se sont pas encore radicalisés, cela n’empêche pas qu’Al Adl en caresse l’éventualité. L’association pourra en ce moment récupérer ce mouvement. C’est pour cela qu’elle a incité ses jeunes à faire partie des coordinations du mouvement du 20 Février à travers tout le pays». Comment donc prévenir un tel danger, si danger il y a ? «La solution réside en des réformes. Des réformes politiques, économiques et sociales qui permettent de répondre aux revendications de larges couches sociales. Avec plus de démocratie et plus de liberté et de dignité, les jeunes et autres couches sociales seront moins réceptifs au discours du mouvement».
Sauf que c’est justement Al Adl et autres composantes de la mouvance islamiste qui bénéficieront, en premier, de cette ouverture politique. D’ailleurs, fait noter M. El Khalfi, si ces mouvements se sentent exclus de cette démocratisation, leur discours va se radicaliser davantage. Or, précise-t-il, même si elle est encore à l’état embryonnaire, il existe une certaine conscience de l’intérêt du pays à intégrer la mouvance islamiste dans le jeu politique. Après, ce sera aux urnes de décider de ceux de ces mouvements qui seront aptes à mieux gérer les affaires du pays.