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Carrière

La place de la GRH dans le débat sur le modèle de développement

Au Maroc, la part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée représente un niveau inférieur à la moitié de celle des détenteurs du capital. Ce qui place le Maroc parmi les pays les plus inégalitaires. Une mauvaise gestion des ressources humaines contribue fortement aux inégalités qui se soldent par une faiblesse de la productivité et de l’investissement.

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Hayat El Adraoui, Professeur chercheur à l’Institut supérieur de commerce et d’administration des entreprises (ISCAE)

Le Maroc se trouve sous l’emprise d’un contingent de problèmes socio-économiques qui représentent de vraies limites à son modèle économique. Il s’agit en particulier de la persistance des inégalités et l’incapacité de réduire la pauvreté. Ces inégalités grèvent fortement le rythme du progrès socio-économique. Le facteur humain est donc bel et bien au cœur du développement économique et social. Approfondir ce questionnement sur le développement du pays en considérant ses réalités économiques et sociales, interpelle au plus haut point le rôle que jouent les politiques de gestion de l’humain à tous les niveaux.
À leur origine, il y a des inégalités des chances engendrées par les disparités au niveau de l’accès à l’éducation, à la formation et aux services de la santé et à un logement décent, notamment. Mais ces inégalités s’alimentent aussi de l’augmentation du degré de concentration de la richesse par une répartition primaire des revenus entre la rémunération du travail et celle du capital.

Les rapports de l’Organisation internationale du travail (OIT), notamment celui de 2017-2018, insiste sur la corrélation positive et élevée entre une répartition de la valeur ajoutée créée qui profite aux employés et l’élévation du niveau de développement économique du pays. Le rapport donne aussi l’exemple des parts des salaires dans des pays récemment développés ou émergents comme la Corée du Sud, le Portugal, l’Argentine ou la Turquie qui représentent respectivement 60%, 52%, 51%, 48% de la valeur ajoutée créée. Ce sont des pays auxquels on se permet souvent de se comparer. Le rapport précise que ces parts étaient encore plus importantes au début du processus de leur émergence, ce qui valide pleinement l’idée que les inégalités ne favorisent pas le développement. La logique cambridgienne le corrobore. Des auteurs comme Blecker (2016) affirment qu’une base rétrécie des salaires entraîne une demande insuffisante et défavorable à la croissance économique et à la profitabilité des entreprises, ce qui entache le climat social global et le rend incertain et décourage ainsi l’investissement. Au Maroc, la part de la rémunération des salariés dans la valeur ajoutée représente un niveau inférieur à la moitié de celle des détenteurs du capital (ne dépassant pas les 25%).

Ce qui le place parmi les pays les plus inégalitaires. N’est-il pas légitime de se poser la question, si les DRH et les professionnels de ce domaine sont conscients du rôle de la fonction RH et des enjeux d’une politique nationale des rémunérations ? Pourtant, plusieurs ont choisi de se tenir à l’écart de ce débat… En somme, une mauvaise gestion des ressources humaines contribue fortement aux inégalités qui se soldent par une faiblesse de la productivité et de l’investissement. A ce qui précède s’ajoute une pression pour baisser les salaires qui s’exerce pour encourager la compétitivité extérieure.

On attend souvent des entreprises une amélioration de la productivité et de l’emploi

Théoriquement, des salaires bas devraient réduire les coûts de production et attirer les investisseurs étrangers qui gagneraient à produire au Maroc pour exporter leur production vers l’étranger. Cette stratégie est déclinée dans l’ensemble des accords de libre-échange signés par le Maroc.

Le premier plan industriel en 2005 s’est inscrit dans cette logique d’ouverture mais a abouti à un dumping social et à un déficit commercial qui ne s’est pas corrigé. La production n’a pas réussi non plus à monter en quantité ni en qualité. Des expériences similaires ont échoué également dans des pays où les salaires sont plus bas et les conditions du travail dégradées.

Le problème est que cette stratégie industrielle risque encore d’être poursuivie car nos décideurs et les institutions de conseil et d’orientation influentes au Maroc continuent à y croire ! A l’appui, et bien qu’il pointe du doigt les insuffisances en termes de résultats, comparativement aux objectifs assignés aux différents plans industriels, le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE -2017) sur cette question, ne remet pas en cause la logique sous-jacente de cette stratégie. Tout au contraire, il propose de la pousser à son extrême en rajoutant au dumping social, mobilisé comme levier de compétitivité, une fragmentation du marché du travail où régneraient le travail et la rémunération à la tâche ! Ne serait-il pas temps que nos experts en GRH prennent part à ce débat ?

Si les décideurs dans les entreprises continuent à croire qu’ils sont en dehors de ce débat, ils se trompent! Ces entreprises sont les vrais acteurs du développement économique et social du pays.

Les mouvements enregistrés au Maroc au tournant de 2010-2011, connus sous plusieurs noms Printemps arabe, Mouvement du 20 février, Hirak du Rif et bien d’autres, ont placé de grandes entreprises sous le faisceau du mécontentement populaire. Ils ont exprimé une colère contre le favoritisme sur le marché du travail, la dégradation du pouvoir d’achat et ont revendiqué plus de possibilités d’emploi, dénoncé les pratiques négatives au sein de la société.

Ils avaient révélé au grand jour leurs frustrations envers les comportements jugés inéquitables ou insuffisamment solidaires d’une partie de l’élite économique et politique associée. La capacité de ces grandes entreprises à être des leaders sur la scène nationale est souvent liée à leurs stratégies d’innovation et leurs capacités de recherche et de développement. On attend souvent de ces entreprises une amélioration de la productivité et de l’emploi. Pour le pays, l’enjeu est stratégique, puisque le statut de ces entreprises engage une allocation des ressources publiques qui pourraient servir ailleurs (sous forme de subventions, entre autres).