Influences
Une Africa Town au cœur de Casablanca
Tout est subsaharien dans le marché de proximité de la médina de Casablanca. Les couleurs, les musiques, les odeurs, les mets, les produits et les langues. Bienvenue à une «little Africa» au cœur de la métropole !
C’est sur le boulevard d’Anfa, jouxtant la grande muraille de la médina de Casablanca, où s’érige le «Souk namoudaji al Madina al Kadima» relevant de l’Arrondissement de Sidi Belyout. Un marché de proximité pas comme les autres, puisqu’il s’agit d’un petit concentré de l’Afrique de l’Ouest.
C’est le visage de Natacha qui vous accueille le premier à l’entrée du Marché de la vieille médina. Cette Ivoirienne est au Maroc depuis quelques années et cela fait six ans qu’elle détient un commerce où elle vend principalement des herbes médicinales en provenance de son pays d’origine. Mais pas que. Pour joindre les deux bouts et arriver à payer les 4.000 dirhams de loyer mensuel, Natacha fait aussi partie de ces nombreux restaurateurs des lieux qui préparent des mets aux saveurs ivoiriennes, notamment du poisson au riz. De même que moyennant une chaise et un miroir, elle est aussi coiffeuse sur demande. L’originaire d’Abidjan, qui a lancé une chaîne YouTube pour faire connaître les sites touristiques de la ville blanche à ses compatriotes, compte parmi les nombreux Subsahariens qui «opèrent» dans ce marché et dont l’édification remonte au début des années 2000.
A la base, cette création était une réponse au phénomène des «ferrachas», notamment ceux qui occupaient l’espace de Place Jamaâ Souk, dans les parages de la célèbre coupole Zevaco, qui donnait des cheveux blancs aux responsables de la gestion de la chose locale à Casablanca. Et ce, au moment où on avait pris conscience que l’approche consistant à les évacuer des lieux où ils exerçaient leurs activités commerciales ne pouvait venir définitivement à bout du phénomène. Nous sommes en 2003 quand la Commune a pris sur elle de construire le marché en question. Moyennant 5.000 dirhams d’apport, doublé d’une mensualité à hauteur de 300 dirhams, les bénéficiaires, quelque 220 personnes, pouvaient se prévaloir d’un commerce «respectable» et dans un cadre sécurisé.
Une nouvelle séquence
Une sédentarisation, actée en 2005-2006, plutôt réussie au départ mais qui allait, au fil des ans, connaître un tout autre sort. C’est que vers la fin de la première décennie des années 2000, nombreux étaient ceux qui ont procédé à la location de leurs magasins à des commerçants-immigrés originaires des pays de l’Afrique de l’Ouest.
Si le premier arrivant était un Sénégalais, en 2006, nous raconte ce jeune Dakarois, il fallait attendre quelques années pour assister à la grande ruée qui a totalement transformé le lieu et dont le nom qui circule aujourd’hui est «le marché du Sénégal». Abdoullah, qui semble connaître le lieu et ses occupants dans les moindres détails, nous indique dans la foulée que les Sénégalais sont les plus nombreux sur place. D’ailleurs, le seul drapeau fièrement brandi dans l’une des ruelles du site est celui du Sénégal. Au détour d’une phrase, on apprend que le jeune Dakarois, réalisateur par ailleurs, travaille sur un projet de documentaire dont le sujet est justement l’immigration subsaharienne au Maroc. Le temps passe, mais les commerçants peinaient à y trouver leur compte, nous confie Si Mohamed, un jeune Marocain réparateur de téléphones portables. Et de préciser que plusieurs bénéficiaires avaient contracté des crédits pour s’approvisionner en marchandises qui ne trouvaient pas preneurs.
Lieu de recontres…
Les promesses d’une aventure porteuse se sont vite mues en cauchemardesques banqueroutes. Le bouche-à-oreille a fait l’affaire. D’autres Sénégalais arrivent et, depuis, ce sont des Ivoiriens, des Guinéens, des Congolais et autres Béninois qui leur ont emboîté le pas. Particulièrement à compter de 2013-2014 sur la foi des déclarations d’un gardien de voitures connaisseur des lieux pour y avoir exercé depuis des lustres.
Valeur aujourd’hui, ils sont pas moins de 220 commerces qui marchent plutôt bien et dont l’écrasante majorité est tenue par des Subsahariens, puisqu’à peine une vingtaine de magasins sont encore tenus par des Marocains, mais uniquement ceux qui ont un «métier», dont des réparateurs de téléphones ou encore d’ordinateurs. Ce qui donne un air d’une petite Afrique au cœur de Casablanca, qui plus est s’est transformée en un lieu de rencontres pour tous les Subsahariens résidant dans la métropole. Et pour cause ! Ici, on trouve le concentré de tout ce qui renvoie aux pays d’origine des commerçants. De l’alimentation (poissons fumés, fruits séchés, épices, miel, etc.) aux produits de beauté, en passant par les herbes médicinales, les habits, extensions de cheveux, etc.
Tout est aux couleurs et aux saveurs de l’Afrique subsaharienne avec des fonds sonores aux rythmes des musiques de la sous-région. Signe particulier, acheminés par voie terrestre ou par fret aérien, pratiquement tous les produits proposés proviennent des pays de l’Afrique subsaharienne. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard, compte tenu de l’affluence de plus en plus grande que connaît ce marché depuis l’enclenchement de cette nouvelle dynamique, qu’ils sont nombreux les vendeurs subsahariens qui ont élu domicile dans les parages dudit marché et qui écoulent surtout des bracelets et autres crèmes et pommades à base naturelle. Par ailleurs, les commerçants, à de rares exceptions près, ne sont pas obligés de se déplacer dans ces pays pour s’approvisionner. En fait, il y a toute une chaîne logistique, bien huilée au fil du temps, qui tourne à plein régime, sauf au cours de la parenthèse pandémique qui a lourdement impacté le quotidien des commerçants, nous dit, le ton triste, cette jeune Sénégalaise qui tient un minuscule snack spécialisé dans le poisson fumé. Pour Marie, au Maroc depuis huit ans, l’approvisionnement est le dernier des soucis, tant et si bien qu’elle achète du poisson localement tout en le mettant au goût subsaharien par la voie des divers épices dont elle fait usage. La démarche est toute simple, nous indique la restauratrice. Et d’expliquer : «Quand ce n’est pas un parent qui envoie la marchandise, des intermédiaires font l’affaire. On passe commande, on paie et on attend de réceptionner.» Si, auparavant, il fallait compter entre quatre jours et une semaine, selon le trajet, pour être livré, «ça va plus vite avec l’avion !».
Une bonne et une mauvaise chose à la fois, estime-t-on. Bonne, parce qu’on n’est jamais à court de marchandises, mauvaise, parce que le flux fait aussi que le marché est inondé. Avec, ce sont les prix qui s’effondrent! Côté coût, on parle d’une moyenne de 120 dirhams le kilogramme !
A ces commerces, il faudrait aussi ajouter une multitude de salons de coiffure qui ne désemplissent pratiquement pas et qui sont surtout envahis les week-ends, nous dit, tout en réduisant le son d’une vieille chanson de Bob Marley, ce hair-dresser aux longs dreadlocks. Seydou, commerçant et ancien rappeur sénégalais quand il était au pays de la Teranga, affirme pour sa part que cet air ouest-africain n’attire pas uniquement les Subsahariens habitant de Casablanca, mais aussi d’autres qui vivent dans les autres villes du Royaume, notamment de Rabat. Ceci alors même que ces genres de commerces prolifèrent de plus en plus dans les quartiers périphériques de la métropole, voire dans certaines régions du Royaume, le «Souk Sénégal» n’a rien perdu de son attractivité qui séduit même des joueurs de football qui évoluent dans la Botola, qu’ils soient dans les clubs de Casablanca ou faisant partie d’autres teams marocaines, voire des hauts responsables dans les chancelleries des pays de l’Afrique de l’Ouest, ajoute notre interlocuteur. C’est que, au fil des ans, ce marché est devenu une destination incontournable.
La ruée vers le Marché fait flamber le loyer…
Depuis l’arrivée des Sub-sahariens, le marché de proximité de la médina de Casablanca a connu une sorte de nouvelle naissance. En effet, après des premières années de sa mise en service, mi-figue mi-raisin, sa transformation en a fait une destination de prédilection pour les immigrés originaires de l’Afrique de l’Ouest. D’abord, ceux qui y commercent, mais aussi ceux qui s’y rendent. C’est ce qui a fait aussi que les prix de la location ont connu une évolution notable. En effet, si au départ on parlait d’un loyer de 2.000 dirhams le mois, avec le temps ce prix plafonnait à 4.000 dirhams, voire plus. Tout dépend, en fait, de l’emplacement du magasin. Quant aux bénéficiaires de l’opération de sédentarisation, ils sont censés s’acquitter d’une mensualité symbolique de 300 dirhams.