Influences
Tribune. Jamal Belahrach : Le Maroc face à l’urgence de la compétence numérique
Il n’y a pas un jour sans que nous lisions sur une révolution technologique nouvelle et son impact sur nos vies. La 4ème révolution industrielle est une réalité à laquelle tous les pays du monde doivent faire face. Si certains ont épousé la cause numérique depuis longtemps, il n’en reste pas moins que notre pays a accusé un retard certain.

Oui le temps numérique n’est pas le temps de l’économie traditionnelle ou le temps politique. Oui, nous sommes à un tournant majeur et je ne suis pas tout à fait convaincu que nous en prenions la pleine conscience, tellement les enjeux économiques, financiers et sociaux sont gigantesques.
Cette nouvelle économie numérique a besoin d’ambition sur le court et le moyen terme mais aussi de compétences et de talents avec un écosystème à la hauteur des enjeux de notre pays et de son avenir ainsi que celui de sa jeunesse.
Prendre des risques
Nous voulons jouer les premiers rôles sur notre continent et cela doit passer également par la technologie en investissant très fortement dans ce secteur et en prenant des risques pour espérer jouer dans la cour des players au moins sur notre continent. À commencer par le développement des compétences numériques pour ne pas nous laisser distancer.
Le peu de talents que nous formons actuellement sont chassés avant la fin de leurs études par les compagnies étrangères et on ne peut ni ne doit leur en reprocher. C’est la loi de l’offre et de la demande.
Ceci nous renseigne sur la sensibilité que nous devons avoir sur le volet éducatif pour accompagner l’évolution de notre société et de notre économie.
Nous devons rendre accessible la formation aux métiers numériques pour le plus grand nombre et partout sur notre territoire. Remarquons qu’aujourd’hui, dans nos villages, des jeunes apprennent par eux-mêmes les compétences numériques et se forment à l’anglais en dehors de tout système, hormis Mr Google et Mme YouTube que nous devons remercier.
Notre pays a un dividende démographique dont il ne profite pas. Plus de 16% de la population se situent entre 15 et 24 ans et à peine 16% d’entre eux sont en situation de travail.
Par conséquent, il est urgent de mettre en place un observatoire des compétences numériques pour évaluer les besoins en qualité et en volume et, partant, définir un plan Marshall numérique pour doter notre pays d’une génération de talents numériques avec le savoir-être associé.
Prenons l’exemple de l’Inde, qui a su capter le marché de l’outsourcing américain en créant des centres de formation dédiés. Leur PIB a largement bénéficié de cette stratégie. Le Maroc peut en tirer des leçons pour développer son propre secteur numérique et dynamiser son économie.
Vitesse d’exécution
Le siècle dans lequel nous évoluons est celui du numérique. La vitesse d’exécution est primordiale, et nous n’avons plus le temps de mettre en place des stratégies complexes et bureaucratiques. Il est essentiel de mobiliser les énergies de tous les acteurs, en particulier les entreprises et les institutions publiques, pour mettre en œuvre rapidement les moyens nécessaires à la formation de notre jeunesse aux compétences numériques.
Toutefois, l’État seul ne peut réussir ce pari. Le secteur privé doit jouer son rôle et s’impliquer fortement. D’abord, en exprimant ses besoins et ensuite en s’engageant dans la formation des jeunes et dans le développement de leur employabilité.
Les entreprises ont un rôle fondamental à jouer dans la formation aux nouveaux métiers et de nouvelles compétences. Elles doivent être les locomotives de cette transformation et ne pas se concentrer uniquement sur l’économie traditionnelle. Le rôle de l’État est de créer les conditions pour que les entreprises puissent agir efficacement. Il doit favoriser l’émergence d’un véritable écosystème fédératif avec l’ensemble des acteurs pour répondre aux besoins en compétences numériques.
L’éducation à ces compétences clés doit être accessible à tous, sans nécessiter de diplômes prestigieux. Le Maroc doit saisir cette opportunité pour intégrer ces jeunes dans le marché du travail et leur offrir un statut social. Le numérique est une chance pour notre pays pour répondre rapidement et efficacement aux défis économiques et sociaux qui se présentent à nous. Nous devons veiller à ne pas répéter les erreurs du passé, comme celles commises dans le secteur textile, en nous concentrant uniquement sur les coûts et en négligeant la recherche, l’innovation.
La collaboration entre les acteurs économiques, les institutions publiques et les initiatives privées est essentielle pour réussir cette transformation numérique. Il est temps de travailler en synergie et de fédérer l’intelligence collective, car c’est dans cette collaboration que réside la clé du succès au XXIe siècle. Nous devons adopter une approche agile et flexible pour faire face aux défis qui se présentent à nous.
Repenser l’éducation
Les entreprises marocaines doivent être à l’avant-garde de cette transformation, en reconnaissant l’urgence de la situation et en agissant rapidement pour développer les compétences numériques de notre jeunesse. Les initiatives, telles que celle de Huawei, qui a formé des milliers de personnes aux compétences numériques au Maroc, doivent être encouragées et multipliées. À l’horizon 2025, Huawei vise à former plus de 100.000 talents, conclure plus de 100 mémorandums d’entente, et ce, au travers de son programme de formation et certification aux nouvelles technologies « Digitech Talent », conclu en partenariat avec les ministères et les universités.
L’État, quant à lui, doit créer un environnement propice au développement des compétences numériques en mettant en place des politiques favorables et en soutenant les initiatives du secteur privé. Il est essentiel que les institutions publiques collaborent avec les entreprises pour identifier les besoins et les moyens de les satisfaire.
Nous devons également repenser notre approche de l’éducation et de la formation en mettant l’accent sur l’apprentissage continu, l’alternance et les compétences clés, telles que la communication, la créativité, la coopération et la pensée critique. Les jeunes Marocains sont prêts et désireux d’apprendre ces compétences, et il est de notre responsabilité de leur fournir les outils et les ressources nécessaires pour réussir.
Dans ce contexte, il est impératif que les entreprises marocaines s’engagent activement dans la formation de leurs employés et dans le développement de leurs compétences numériques. Le secteur privé doit être le moteur de cette transformation, en investissant dans la formation et en développant des partenariats avec les établissements d’enseignement et les institutions publiques.
Enjeu social et culturel
En outre, il est important de souligner que le numérique n’est pas seulement un enjeu économique, mais aussi un enjeu social et culturel. En effet, l’accès aux technologies de l’information et de la communication permet de réduire les inégalités, d’améliorer la qualité de vie des citoyens et de favoriser l’inclusion sociale. C’est pourquoi il est essentiel de mettre en place des infrastructures et des services numériques accessibles à tous, y compris dans les zones rurales et les régions les plus défavorisées.
Enfin, il est crucial de reconnaître que la guerre des talents est bel et bien déclarée. Le Maroc doit redoubler d’efforts pour retenir ses talents et éviter la fuite des cerveaux vers d’autres pays. Pour ce faire, il est essentiel de créer des conditions attractives pour les jeunes compétents en leur offrant des opportunités de croissance professionnelle et en valorisant leur contribution à l’économie nationale.
En conclusion, pour rattraper notre retard en matière de compétences numériques, il est crucial que l’ensemble des acteurs marocains – gouvernement, entreprises et institutions d’enseignement – travaillent ensemble dans un effort concerté. Ensemble, nous devons travailler à la mise en place d’un écosystème numérique solide et inclusif, qui permettra à notre jeunesse de s’épanouir et de contribuer activement à la prospérité du pays.
Nous n’avons plus le temps d’avoir le temps.
